Philosophie et histoire de la pensée juive Mini-mémoire et proposition critique

Philosophie et histoire de la pensée juive Mini-mémoire et proposition critique de lecture Maimonide lecteur d’Avicenne ou la constitution du Livre de la connaissance : étude sur l’élaboration d’une métaphysique médicale des mœurs. Une lecture ontologique et éthique du livre I, II, et III sous le prisme du péripatétisme arabe et du paradigme médical. INTRODUCTION « Quiconque se met en l’esprit qu’il va s’occuper de la Loi sans exercer de profession, celui-là profane le Nom, méprise la Loi, éteint le luminaire de la loi, attire le malheur sur lui-même et s’exclut du monde futur. » nous dit Maimonide avant de rajouter : « Aime le travail artisanal plutôt que le prestige du savant, toute étude de la loi qui n’est pas accompagnée d’une profession et d’un agir finit par être stérile et conduire au péché. ».1 A cette affirmation sèche s’ensuit une série de remarques concernant le maitre et l’élève et la manière dont la pratique des mœurs, informée par la théorie de la science des principes, et notamment de Dieu, principe des principes faisant émaner les sphères célestes, se fonde sur une connaissance légale qui ne doit jamais perdre de vue l’horizon de l’agir. Maimonide, dès le XIIème siècle, commence de penser et faire germer ce qu’on pourrait appeler une métaphysique des mœurs, bien que son projet, nous le verrons, n’est que l’embryon de ce que sera l’entreprise kantienne. Toutefois, dans une œuvre comme le Mishné Torah, dont on parle souvent comme d’un manuel raccourci et un concentré du Guide des Egarés sans enjeu métaphysique - postulat faux sous bien des aspects, nous le montrerons - il est curieux de constater que le premier livre intitulé « Des principes fondamentaux de la Loi » traite quasi exclusivement de questions et de problèmes métaphysiques comme le principe divin, le principe des sphères célestes, revendiquant l’héritage d’Aristote et des maitres arabes de la Falsafa afin de faire un exposé théorique convaincant des théories péripatéticiennes, alors même que ce livre semblait avant tout dirigé vers les croyants et la masse voulant se renseigner rigoureusement sur la manière de vivre et de pratiquer la loi des hébreux afin d’être un « juste » – terminologie désignant le bon croyant, c’est-à-dire dans le judaïsme celui qui étudie finement la Loi contrairement au christianisme qui considère, différence majeure entre les deux religions, que l’action de croire peut suffire à l’acte de bonté. Il semblerait en réalité qu’en ce lieu-même qu’est le début du Livre de la connaissance, dont le titre, retranscrit, ne laisse guère de doute sur sa finalité et sa propédeutique intellectuelle, il apparaisse un enjeu métaphysique d’une grande portée : celui de penser une métaphysique pratique dont la Loi juive devra être le ciment initiateur et régulateur. Pourquoi proposer et défendre une telle lecture ? La piste que nous suivons en réalisant une lecture progressive des livres I, II, et III ainsi que quelques extraits du livre V du Mishné Torah2, n’est pas arbitraire et repose : d’une part sur l’intuition de l’élaboration d’un système déductif de la théorie vers la pratique que Maimonide ne cesse de remettre au jour lors de son exposé des règles fondamentales, et d’autre part sur l’idée que, plus que reprendre la philosophie aristotélicienne dont Maimonide se dit le garant et le défenseur comme s’y cantonnent beaucoup de commentateurs du philosophe judéo-arabe, il la modifie profondément car influencé avant tout par un personnage avec qui il aura des liens intellectuels immenses et non négligeables sous le nom d’Avicenne (Ibn-Sina en arabe). Enfonçant toujours plus le clou sur la manière 1 Maimonide, Le livre de la connaissance (Mishné Torah), livre III, chap. 3, §10, Paris, PUF, coll. Quadrige, 1961, trad. N. Nikiprowetsky, A. Zaoui. 2 Respectivement : I. Des principes fondamentaux de la loi ; II. Des attitudes morales et de la Science des mœurs ; III. L’étude de la Loi. dont la théorie doit amener l’étudiant juif à respecter d’autant plus les commandements de la loi divine et humaine, Maimonide pense depuis des racines judéo-arabes aux allures péripatéticiennes une « science des mœurs », comme est appelée la deuxième partie du Livre de la connaissance - encore une donnée qu’on ne peut négliger. Plus encore le lien entre Avicenne et Maimonide, dont nous verrons qu’il a déjà été étudié sous beaucoup de coutures, se prolonge d’autant plus sous le mode d’une même pensée de la métaphysique comme guérison des vivants et des croyants. Là où Maimonide écrit un guide pour soigner les égarés, Avicenne édifie quelques décennies auparavant une œuvre immense intitulée la Métaphysique du Shifa, soit en français le « Livre de la guérison de l’âme ». Maimonide, lecteur d’Avicenne et fondateur d’une métaphysique de la concrétude, donc, mais pas selon n’importe quelle modalité puisque Maimonide est un lecteur contemporain d’Avicenne partageant ce que les historiens ont nommé à cette époque un « paradigme médical ». Maimonide comme Avicenne sont des médecins et ils édifient leur philosophie depuis un contexte avant tout médical qui prend en ligne de compte des connaissances de science naturelle sur les tempéraments de l’âme terrestre, la complexion, les humeurs ( etc…). Nous ferons donc deux lectures du Livre de la connaissance qui, chemin faisant, se rejoindront : en premier lieu une lecture médicale où l’étude du Talmud doit guérir l’âme du perplexe toujours en proie à l’ignorance et au doute sur le fondement de toute réalité et de Dieu, lecture qui sera en second lieu rejointe par l’idée que cette guérison de l’âme est aussi un apport de la théorie pour l’agir humain qui, pris dans une tradition orale judaïque fort complexe, doit pouvoir se convertir vers Dieu et retrouver son chemin afin de reconnaitre quelles sont les véritables règles et commandements que tout bon fils d’hébreu doit suivre. Plus encore, Maimonide ne cessera, au fur et à mesure de ses prescriptions morales et éthiques, d’inverser le chemin en montrant ce que depuis la pratique nous pouvons inférer pour arriver à la théorie ainsi que de préciser sa pensée d’une connaissance prompte à l’agir et incluant une relation d’étude entre l’homme et la Torah, le maitre et l’élève, distinguant le mécréant du sage, le mécréant du juste. Afin de défendre notre position, nous essayerons de légitimer et de fonder en premier lieu, par une comparaison entre le Livre I du Mishné Torah et Le Traité de l’engagement (contenu dans Le Livre de la genèse et du retour et la Lettre au Vizir Abu Sa’d) avicennien, le lien et le partage de paradigme – à la fois péripatéticien et médical - entre Maimonide et Avicenne afin de comprendre ce qui est entendu exactement par métaphysique pratique lorsque les deux penseurs nous immergent dans le monde intellectuel de la connaissance métaphysique. Depuis ces analyses, nous étudierons en second lieu la signification réelle d’une « science des mœurs » en proposant, chemin faisant, une petite comparaison d’avec la métaphysique des mœurs kantienne et la mise en place de l’Ethique spinoziste, pour mieux définir analytiquement la tentative philosophique maimonidienne. Enfin, nous nous engagerons dans une ultime voie conclusive permettant de penser l’articulation entre l’étude de la loi hébraïque (l’universel) et la conversion eschatologique du croyant (le particulier). Maimonide instaurerait ainsi un modèle vertical où de la Loi et de l’intellectualité émanerait un vécu propre au juif, dont on ne sait paradoxalement jamais s’il est élu par Dieu ou s’il est le visage de tous les hommes inférant devant une loi universelle – question que nous essayerons d’éclaircir chez Maimonide. Ainsi, par ces analyses, nous tenterons de répondre à une question principielle sur le plan métaphysico-pratique et médico-moral : que veut dire être un bon juif et un juste selon Maimonide ? I. Maimonide lecteur d’Avicenne et du péripatétisme arabe : détermination des fondements métaphysiques inscrits dans le modèle biologico-médical de la guérison de l’âme. (Livre I) 1. Délimiter la sphère divine de la nécessité et des orbes célestes : une cosmologie préalable à l’étude des lois. Par la façon dont Maimonide introduit son ouvrage, on remarque qu’il reprend exactement le même schème d’organisation et de pensée que les péripatéticiens arabes. Commençant par les principes premiers, c’est-à-dire par le principe divin puis le principe des sphères célestes, intelligences premières, Maimonide a pour horizon de faire un exposé ayant un ordre vertical : comme n’importe quel traité avicennien, dont Gad Freudenthal et Mauro Zontha ont commenté les modalités3 et son influence sur les penseurs médiévaux juifs comme Maimonide, le traité se doit de commencer par le principe de l’Un avant de descendre peu à peu de la sphère du monde supralunaire à la sphère du monde sublunaire, dont la réalité physique est le sujet. En d’autres termes, il s’agit pour tout bon livre ou traité d’opérer une verticalisation du savoir, c’est-à-dire de comprendre la réalité physique et morale du monde sublunaire (allant du corps, du mouvement, aux mœurs, aux actes cultuels). Cet ordre d’organisation, formalisé véritablement par Avicenne, entend comprendre la réalité comme une genèse et un retour, soit comme un commencement qui, une fois connu, nous permet uploads/Philosophie/ maimonide-et-avicenne-une-lecture-du-livre-de-la-connaissance.pdf

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