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/conversion/tmp/activity_task_scratch/602099020.rtf Lyon 8/12/2005 J.M. ELOY Faire découvrir le français parlé à des étudiants en lettres : sur le sens de certaines difficultés Nous voulons revenir ici sur une pratique d'enseignement, menée avec des étudiantes1 de licence de lettres depuis 5 ans, visant à leur faire prendre conscience de la réalité de la langue française telle qu'elle se parle. Elles doivent réaliser une démarche descriptive (non normative) à partir d'un corpus "ordinaire" oral, qu'elles constituent elles- mêmes. Pourquoi un corpus oral ? D'abord, en négatif, parce que l'écrit a pour caractéristique d'être passé plus que l'oral par une normalisation ou un filtrage normatif, l'écrit non normalisé à la Bauche ou Frei étant peu fréquent. Et, en positif, parce que le parler est une modalité d'existence de la langue qui est méconnue : il est justifié de la faire découvrir, en tant qu'une partie de la langue. De ce point de vue, nous suivons la ligne tracée par C. Blanche- Benveniste (1983) : on ne peut vraiment connaître la langue si l'on exclut les usages parlés. En fait, ce qui se donne à découvrir, ce n'est même pas non plus seulement le "système linguistique" : la "langue" que nous rencontrons est un phénomène plus large, qui inclut, indissociablement, des pratiques linguistiques, des "représentations" et attitudes, qu'on peut désigner globalement comme une idéologie de la langue, liée à une institutionnalisation sociopolitique. L'objectif de cette communication, fondée sur la relecture d'environ 50 dossiers réalisés par les étudiantes en 2003 et 2004, n'est pas de produire un bétisier, mais d'essayer de mieux comprendre les obstacles et difficultés rencontrés. Le "corpus situé" demandé aux étudiantes comprend une description sociologique, une transcription (modèle GARS) et des éléments de description linguistique. Nous partirons le plus souvent d'énoncés tirés de la 3e partie et que nous avons jugés erronés. Cependant la question est de savoir ce que ces erreurs nous apprennent au plan épilinguistique ou idéologique, donc sur la "langue" au sens précisé ci-dessus. Cela nous amène aussi à revenir sur l'enseignement donné, en particulier sur nos concepts descriptifs : il faut se demander s'ils ne contribueraient pas à entretenir ces "erreurs", à notre corps défendant. Nous rechercherons des conclusions pratiques - comment faire mieux ? - , mais aussi théoriques : comment comprendre les difficultés rencontrées, et, in fine, quel rôle jouons-nous par rapport à la langue ? Après quelques éléments de description du discours des étudiantes, nous proposerons un cadre de compréhension des difficultés rencontrées. I La normativité Nous sommes toujours frappé de la place très importante de la normativité. Nous avons conscience de mener un véritable combat pour une approche non-normative, la consigne donnée aux étudiantes avec une insistance marquée est de produire un travail non normatif, et pourtant… Voyons rapidement ses expressions, en allant du plus évident au plus voilé. 1 Il s'agit du sexe féminin à plus de 90 % : nous garderons donc le féminin dans ce texte. 1 L'usage du mot "fautes" semble irrépressible, indéracinable, malgré l'interdiction formelle, explicite, répétée, de l'enseignant. Elle est faite parfois en toute (mauvaise ?) conscience, ce qui s'exprime par la modalisation ("En temps (sic) qu'étudiante, je devrais fustiger une telle formulation, qui est une grave faute grammaticale de français. Or…"), ou par les guillemets. On relève ainsi toute une liste d'autres termes normatifs : "erreur, anomalies, confusion, correct, incorrect, pas correct, bonne formulation, mal employée, respecter une règle, devoir, normalement, logiquement, une simple erreur", etc. Avec plus de précaution encore, et pour éviter le mot "faute", une étudiante formule "un décalage entre ce qui devrait être et ce qui est"… Autre figure, plus curieuse : une opposition réel / non réel. Le hors-norme est qualifié de non-réel : "les questions (…) ne sont pas formulées comme de réelles questions", "c'est un verbe qui n'existe même pas", "le mot 'ravancer' n'existe pas" ; Enfin, plus subreptice, une formulation comme celle-ci : "La négation a en effet en français la particularité de se composer de 2 éléments (ne + pas)" suggère que le hors-norme est hors-langue : avec un seul élément, ce n'est pas du français ? Remarquez pourtant que cette phrase, chacun de nous peut très bien la prononcer, s'il oublie de préciser "français normatif" ou "variablement"… Les cours n'ont pas été inutiles, on en retrouve certaines formulations impeccables, très orthodoxes, telles que "reconnus comme des fautes", ou "toutes ces expressions orales ne sont pas des erreurs…". Mais quels sont les objets linguistiques auxquels on a tant de mal à référer de façon non-normative ? II Les "variétés" de langue Les variétés dont on parle sont, tout d'abord, "l'écrit" et "l'oral". On trouve aussi "le code écrit et le code oral", expression où la réification est plus perceptible. Une étudiante note que l'écrit et l'oral "sont presque deux langues différentes". Cl. Blanche-Benveniste, on le sait, s'oppose très nettement à ce point de vue, et notre cours, croyions-nous, devait éliminer cette idée. Une autre catégorie de désignations est celle des "registres" ou "niveaux" : "expressions familières , langage courant, registre populaire", "français populaire et simplifié"", et, quant aux réalisations normées, "français académique, littéraire, scolaire ", "le bon usage"… La norme est aussi désignée par l'outil normatif majeur "le dictionnaire". Désignations critiquées, mais qui restent en usage, quels que soient les efforts que nous fassions pour les invalider. On trouve aussi "langage de jeunes". A propos de l'énoncé "qu'est-ce qu'i nn'a à foutre", une étudiante commente : "on peut noter que cette expression correspond à un langage de jeune d'une certaine manière car une personne de 70 ans par exemple n'utiliserait sans doute pas un vocabulaire tel que celui-ci" La confusion est fréquente entre argot, patois, picard2 ; par exemple, "hein", "i" (= "il"), "là" postposé, sont assez souvent qualifiés de formes picardes, à l'égal de formes effectivement régionales comme "où que c'est qui nn'a qu'on vend" ou "quo qu'i va dire"… Pour citer des énoncés que nous jugeons corrects (car il y en a aussi !), on trouve l'usage de guillemets modalisateurs ("une tournure 'populaire' ") et de tournures attributives 2 Rappelons que la langue régionale, le picard, est couramment dénommée "picard" dans la région Picardie, mais "patois" ou "chtimi" dans la région Nord-Pas-de-Calais. 2 distanciées ("…sont considérées comme populaires") ; le procédé peut rester ambigu, si l'on ne sait pas dans quelle mesure la désignation est prise en charge par l'énonciateur : "Ces constructions définissent notamment l'énoncé comme représentatif du parler populaire". La notion de standard est aussi utilisée, y compris en précisant qu'il existe un standard particulier "dans le Nord de la France". Notre bref commentaire, sur ce sujet rebattu, sera non seulement que la profusion des désignations suffirait à créer la confusion, mais que le cas illustre bien l'impossibilité d'utiliser comme scientifiquement descriptifs des mots de la langue ordinaire. Du point de vue pédagogique, la solution pratique semble simple : il faut se donner un moment de description proprement linguistique, ou technique, du "système", et il faut strictement repousser à un autre chapitre les attributs normatifs, notions de registres inclus ! Frei a montré le chemin… Entrons plus avant dans la description. III Comment sont désignés les écarts entre réalisations et référence normative ? Les écarts, nous enseignons que ce sont des variations, nous insistons sur le fait que les variantes appartiennent toutes également à la langue… Or, massivement, nous trouvons deux tendances dans le discours des étudiantes à propos des écarts : il s'agit a) d'une transformation de la langue de référence normative vers la langue réalisée dans le corpus ; la norme est le point de départ, et la forme du corpus est l'aboutissement ; b) d'une transformation généralement négative : il s'agit bien de dégradation. En voici quelques exemples. "La structure dite standard (…) est ici légèrement déformée", "comme s'il remplaçait le l final du pronom par…", " 'oui' devient 'mouais' et 'ouais' ", etc. On trouve ce type de discours même devant les formes picardes des corpus ; par exemple dans /εl f/ signifiant "le fond", l'article est ramené à l'article français et "le locuteur a tendance à faire l'inversion des lettres l et e …". Mieux encore, trouvant l'article défini picard "chés" /e / , l'étudiante commente : " 'les' se prononce 'chés' ". Quant à préciser en quoi consiste la transformation, la plupart des termes sont négatifs : suppression, réduction, élision, omission, chute, manque, élimination, oubli, absence, ellipse… Les tournures peuvent être plus variées : par exemple "le locuteur 'mange' les débuts de mots", "ce sont parfois des mots entiers qui sont éliminés de l'expression" (à propos de "fait chier"), "certains éléments sont oubliés…". Beaucoup moins nombreux sont les faits dits "ajoutés". Mais une forme, dès lors que "l'emploi qu'en font les personnes n'apparaît nullement dans les grammaires", ou qu'elle est "davantage employée dans des sens inventés que dans les sens académiques", semble bien "en plus" de la langue, et bien sûr illégitime. Il y a donc une catégorie que l'on pourrait dénommer "par ajout" : "le locuteur a tendance à rajouter des mots ou des particules" (ex : uploads/Philosophie/ faire-decouvrir-le-francais-parle-a-des-etudiants-en-lettres-sur-le-sens-de-certaines-difficultes-quot.pdf
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- Publié le Oct 24, 2022
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