1 (Version du 17 octobre 2013) Mathématiques et réalité. Introduction. Dans le

1 (Version du 17 octobre 2013) Mathématiques et réalité. Introduction. Dans le titre il y a « mathématiques » et « réalité ». Il sera peu parlé des mathématiques, encore moins de la réalité, mais des liens entre les deux. Il ne sera rien dit de « l'intérieur des mathématiques », comment elles se pratiquent, quels choix philosophiques prévalent dans telle ou telle démarche : constructivisme, dont les représentants contemporains les plus flamboyants semblent être Manin, Serre, Deligne... ; formalisme d'Hilbert et Grothendieck ; ... Il sera aussi très peu dit sur l'existence du réel, simplement une affirmation : il existe un réel en soi ; un réel hors de moi ; il existe une nature objective, indépendante de la pensée qui l'appréhende. C'est sans aucun doute une position a priori, mais elle est en bonne compagnie : « la nature existe et c'est perdre son temps que d'en discuter » (Wittgenstein). Nous allons essayer de décrire les liens entre la « démarche mathématique » et la nature. Naturellement, il doit déjà être possible de le concevoir, la position que nous allons défendre est à l'opposé de l'anti-réalisme, qui voit la réalité comme un ensemble de constructions mentales qui sont notre œuvre, même si, nous le verrons, nous pensons que nous produisons, à propos de la connaissance de la nature, des constructions mentales qui possèdent un certain degré de liberté par rapport à leur sujet. Notre position n'est pas non plus assimilable, nous espérons le montrer, au réalisme platonicien, pour qui la réalité est constituée d'objets mathématiques préexistant dans un univers mathématique. Nous ne pensons pas que les objets (concepts) mathématiques soient le réel, nous ne confondons pas « réalité » et « description de la réalité ». Notre idée est que les mathématiques sont des « règles de grammaire » (Wittgenstein), qu'elles sont nécessaires à la description du réel, mais que ce n'est pas le réel. Notre présupposé de l'existence objective d'une réalité ne nous conduit pas à refuser une certaine autonomie de sa description. Il y a une distance entre le réel et la mathématique. L'activité de compréhension de la nature s'appuie sur des siècles de travaux, qui pour une part conditionnent nos pensées actuelles, mais, au sein de cette dépendance, il y a des degrés de liberté, divers choix possibles, qui relèvent bien souvent des idées dominantes de l'époque. Par exemple, les concepts mathématiques très utilisé aujourd'hui sont ceux « d'algorithme » et de « modélisation », qui sont bien le produit d'une époque qui ne voit pas la science, la production de savoir, comme une activité culturelle, mais comme les outils de « l'économie de l'innovation ». Plutôt que le terme « mathématique » nous préférerons souvent l'expression « méthode mathématique », car nous pensons que le savoir mathématique est d'abord une démarche, pouvant, et même devant, s'appliquer à tous les savoirs humains (1). Il ne s'agit pas ici de dire que les 1 « Accepter une définition très large des mathématiques : tout propos logique ». Jean Leray, « L'invention en mathématiques », in « Logique et connaissance scientifique », La Pléiade, 1967. 2 mathématiques permettent de « tout comprendre » (2), nous argumenterons ceci dans le paragraphe suivant. Bien sûr, nous sommes à l'opposé de la position de Diderot, pour qui « les mathématiques ne font qu'interposer un voile entre la nature et le peuple ». C'est à travers des exemples que nous allons développer nos idées, ceux de la biologie, de l'informatique et du calcul différentiel, pour parler de la « méthode mathématique », celui des mathématiques chinoises pour mettre en évidence l'influence de l'environnement idéologique sur la production de concepts mathématiques. La conclusion sera l'occasion de quelques remarques, nous terminerons par raconter une histoire vraie en guise d'« exercice ». La démarche mathématique. L'idée était fortement répandue dans les années 60, 70 que les mathématiques permettent de tout comprendre (cf l'article de Lichnerowicz déjà cité). Ce n'est pas notre opinion, cependant nous croyons que la démarche mathématique peut s'appliquer partout, à tous les savoirs humains. Nous expliquons ceci. Pierre Cartier avance l'idée dans son article « Mathématiques et réalité » (3) que l'activité mathématique consiste en la recherche d'invariants, de symétries dans la nature et que cela s'accompagne d'un retour sur la compréhension du phénomène étudié, par des explications, des prédictions, par la création d'un savoir cumulatif et reproductif. Cette démarche peut être étendue à tous les secteurs du savoir humain, mais bien souvent ceci est confondu avec l'application à de nouveaux domaines des outils mathématiques que nous possédons aujourd'hui, sans se poser la question d'une nécessaire adaptation, voire de la création de nouveaux concepts. La biologie, au stade du développement actuel de la connaissance de la vie, demande des mathématiques, i.e. demande la recherche d'invariants, de symétries, demande que soient pensés ses acquis « à un niveau antérieur à celui de la recherche et plus fondamental que lui, à savoir celui de la détermination du sens » (4). Dans l'un de ses articles, Gromov (5) donne des exemples où manifestement le besoin de science abstraite en biologie ne peut se résoudre par l'application des mathématiques actuelles. Il nous dit qu'un lent et long chemin, producteur de nouvelles et profondes mathématiques, conduira à la compréhension de la création des cellules, du cerveau... : cellules, ribosomes (assemblages de molécules porteurs de messages), cerveaux, sont l'aboutissement de « choix » (sélection) parmi des milliers de milliers de possibilités... , le simple mot « évolution » n'explique rien, il ne dit rien des raisons qui ont conduit parmi des centaines de milliers de possibilités aux choix conduisant à des organes extrêmement complexes. Cet exemple de la biologie (de fait c'est un exemple en cours de construction) argumente l'idée suivante : si la démarche mathématique peut et doit s 'appliquer dans tous les champs du savoir humain, chaque fois que se fait ressentir le besoin de la détermination du sens, de comprendre pourquoi et comment, pas seulement de décrire, pour autant, ce n'est pas les mathématiques telles 2 André Lichnerowicz, « Remarques sur les mathématiques et la réalité », op. cit. 3 « Qu'est-ce que la vie », Université de tous les savoirs, Odile Jacob éd., 2000 4 Argument attribué à Wittgenstein par Bouveresse dans « Le pays des possibles », Ed. de Minuit, 1988 5 « Chrystals, proteins, stability and isoperimetry », <www.ihes.fr/~gromov/recent.html> ; cet article de Gromov n'est pas toujours facile à lire, mais ce n'est pas dû aux mathématiques et cela vaut vraiment la peine de regarder au moins l'introduction 3 qu'elles sont qui vont nécessairement s'appliquer, il est souvent nécessaire de créer de nouveaux concepts, de nouvelles mathématiques, qui certes s'appuient sur le savoir acquis mais savent aussi le dépasser. L'informatique est un autre exemple récent de l'adaptation/dépassement des mathématiques. Cette nouvelle science est issue des mathématiques, de la linguistique, de la physique... Les mathématiques y ont en particulier contribué en développant la logique, l'algorithmique, la théorie des graphes planaires..., mais pas seulement, aussi à un niveau plus fondamental, celui des critères de vérité : a quel moment de son étude peut-on dire qu'un phénomène est connu ? Les informaticiens considèrent que tout ce qu'il y a dans nos PC ou nos Mac est connu, cependant de temps en temps il faut « rebooter » (comme disent les spécialistes), c'est à dire éteindre sa machine et redémarrer afin de supprimer un programme parasite nuisant au bon fonctionnement, venu on ne sait comment et effacé par l'absence d'énergie. Finalement, un mathématicien de la première moitié du 20ème siècle pourrait dire que le contenu de nos ordinateurs n'est pas totalement connu, mais l'informatique a créé de nouveaux critères de connaissance, qui font que cette science est para- consistante, c'est à dire que l'on y accepte la possibilité de contradictions à condition qu'elle soit repoussée au delà des phénomènes accessibles (par exemple, une propriété attribuée aux nombres entiers et qui ne serait pas vérifiée seulement par des nombres plus grands que celui estimé des particules élémentaires de l'univers, est considérée comme étant vraie en informatique ; en effet, ces nombre ne sont pas accessibles par le calcul, même par des ordinateurs). L'informatique est une « vraie science », qui produit un savoir reproductible et de nombreuses applications, qui a généré de nouvelles mathématiques et en utilise beaucoup, même si elle s'en est éloignée au niveau le plus fondamental, celui des critères de vérité (6). Un autre exemple plus ancien, venant du 18ème siècle, d'évolution des mathématiques, de la création de nouveau concepts, est celui de la maîtrise de la notion d'infini. Il s'agissait de décrire le mouvement des corps dans l'espace, le mouvement des planètes ; il en a résulté la création du calcul infinitésimal. Il a fallu par exemple comprendre (c'est à dire exhiber et définir clairement) la notion de vitesse, i.e. la distance parcourue divisée par le temps mis pour la parcourir. Mais quand la distance devient de plus en plus petite, qu'obtient-on ? Cela a aboutit a de nouvelles notions, celle de uploads/Philosophie/ math-et-realite.pdf

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