L'Homme et la société Le poème, l'éthique et l'histoire Henri Meschonnic Citer

L'Homme et la société Le poème, l'éthique et l'histoire Henri Meschonnic Citer ce document / Cite this document : Meschonnic Henri. Le poème, l'éthique et l'histoire. In: L'Homme et la société, N. 73-74, 1984. Littérature et politique : Orwell 1984. pp. 95-115. doi : 10.3406/homso.1984.2166 http://www.persee.fr/doc/homso_0018-4306_1984_num_73_1_2166 Document généré le 16/10/2015 le poème, l'éthique et l'histoire HENRI MESCHONNIC «Et on changea la valeur habituelle des noms par rapport aux actes, pour la justification» .?. Thucydide, Histoires, III, 82,4 .; «Rien n 'est solitaire, tout est solidaire».. Victor Hugo, Philosophie, . Commencement d 'un livre, (Préface phUosophique), II, II ( 1 860). Ed. J . Massin, Club français du livre r ' t. XII, p. 50. La raison se mime dans ses catégories. Les subdivisions traditionnelles produisent leur effet de réel théorique. Lexique, morphologie,, syntaxe. Psychologie, sociologie. Et c'est pourtant cette chose la plus fragile, disjointe, et plus mal assurée, le sujet, qui peut faire bouger la circularité mimétique des catégories du social et de la raison. L'écriture en est la figure.. Particulièrement celle qu'on range comme poésie. Qui est passée par toutes les situations, et les plus trompeuses, comme sa poétisation romantique, sauf peut-, être par celle où elle se fait le révélateur de l'éthique, et du politique.. Leur mise à nu, leur mise en crise. La banalité, pourtant, dans l'histoire des poètes. Mais qui n'a pas modifié le cloisonnement des subdivisions. Dans l'empirique, l'écriture, chaque fois qu'elle a été l'aventure d'un sujet, a été l'exposition maximale d'un sujet dans le langage. Sa plus grande vulnérabilité. Par quoi elle est la figure du sujet. Non d'un sujet d'exception, seul à l'être, seul à en jouir. Mais la 96 HENRI MESCHONNIC figure de tout sujet. L'effet sujet du langage. Ce que prouve la lecture. Inscription d'histoire, individuelle-collective. Celui qui s'énonce. L'homme, comme dit Humboldt, réellement en train de parler (1). Spécifiquement, il s'énonce de telle sorte que ce n'est plus un message, mais une réénonciation. Le maximum de contrainte, qui fait le mode de signifier du poème, et son effet sujet, est l'incription du maximum de subjectivité par le langage. Seul l'hyper- subjectif fait le trans-subjectif. Rien à voir avec le subjectivisme, ou l'individualisme. Les réductions à l'émotion. Alors l'écriture porte son éthique. Elle la montre. Elle est une épopée du sujet. Cette exposition et figure du sujet dans l'écriture entraîne un effet nouveau. Il y a à tenir compte de la créativité dans la théorie du langage, sans quoi la théorie demeure dans les subdivisions traditionnelles. Dans la théorie traditionnelle. Au sens de Horkheimer. L'écriture a un effet critique sur la théorie du langage. Elle contraint à une théorie critique. Cette théorie critique du langage ne peut pas ne pas opérer une critique des théories du sujet, du social. D'où la nécessité de cette critique du langage, que fait la poétique, pour l'éthique et le poUtique. Pour l'histoire. Chaque fois que l'un manque aux autres, c'est la loi de Sodome. Les variantes de la situation traditionnelle. La poétique seule, c'est le formalisme du signe. L'éthique pour elle seule la pureté ahistorique des valeurs, leur force abstraite qui leur plus grande fragilité, puisqu'elles ne sont pas de ce monde. Au poUtique seul, la force instrumentaliste, la Realpolitik qui mène à la foUe de sa propre raison. L'éthique et le poUtique ont une histoire de Uens et de ruptures. Leur couplage est familier. Il est plus rare de les voir associés à une critique du langage. La postulation d'une impUcation réciproque et nécessaire entre la poétique, l'éthique et le poUtique est à la fois l'utopie du langage, l'utopie du sujet, l'utopie du social, et en même temps le seul statut vivable du langage. Pour la poétique. Pour le sujet. Le seul à ne pas le réduire à la communication, à l'instrumentaUsme, au pragmatisme. Ce n'est pas l'éthique qui le réclame, ou qui peut le requérir. Encore moins le poUtique. Le souci du sujet-langage n'a son apport propre que par la poétique. L'écriture est ce qui tient,, ostensiblement depuis toujours, et, on dirait, in visiblement, pour l'éthique et pour le politique, ce rapport instable qui est la condition banale et méconnue du langage. Rien n'est plus urgent, et actuel, que cette utopie. Par quoi écrire est critique, et tient à une théorie critique des pratiques sociales, et de leurs théories régionales. C'est le Uen, pour les questions du langage, du sujet, du social, entre l 'épistémologie, l'éthique et le politique. D'où l'importance majeure de l'écriture, de la Uttérature, pour l'épistémologie des LE POEME, L 'ETHIQUE ET L 'HISTOIRE 97 sciences humaines. Cette importance est masquée par la situation traditionnelle. ; L'empirisme, l'absence d'une théorie d'ensemble,, et le scientisme précipitent donc ces sciences dites humaines et sociales vers la seule épistémologie censée rigoureuse, celle des sciences exactes et des sciences de la nature. L'instrumentalisme du court terme confond la nouveauté technologique avec l'épis- témologie, au bénéfice du poUtique seul. Il n'y a pas plus grande contradiction actuellement, en ce domaine, que cette continuité XIXème siècle d'un universaUsme de la machine pris pour la modernité, alors qu'il renforce la méconnaissance du sujet* cantonné, comme le langage, dans les catégories vétustés du rationalisme.. C'est donc du point le plus faible, le plus masqué par les subdivisions admises (selon lesquelles il est aussi incongru de rapprocher poétique et poUtique, que monade et Umonade), que vient la nécessité, pour le sujet, d'une entreprise traversière. Du rythme vient une critique du signe. Du corps historique avec sa voix, qui déborde le signe et son modèle culturel, anthropologique. La critique du rythme montre qu'il y a à reconnaître une poétique du politique, une poUtique du poétique. Les stratégies, les enjeux des théories, dans ce qu'elles montrent, dans ce qu'eUes cachent. Ainsi une description du langage. par placage direct des catégories du politique sur les catégories linguistiques ne peut pas tenir Ueu d'une théorie des rapports entre le langage et le pouvoir. A la théorie du langage de se faire aussi théorie de la société, si eUe a le souci du sujet. C'est pourquoi elle passe par la théorie critique. Elle est, à son tour, avec ses questions propres, une critique de la théorie critique. Celle des années trente. Et de sa méthode hégéUenne qui maintient son rationaUsme, jusque dans sa seconde phase, de l'optimisme au pessimisme. * Le statut du langage reste un critère du statut du sujet. Jusque dans les développements plus récents. . C'est pourquoi s'inverse vers la théorie du langage le point de vue . sociologique selon lequel,, comme dit Benveniste, «la société est le tout et la langue, la partie». Benveniste a montré que la réciprocité même de la relation inverse : «seule la langue permet la société. La langue constitue ce qui tient ensemble les hommes, le fondement de tous les rapports qui à leur tour fondent la société. On pourra dire alors que c'est la langue qui contient la société. Ainsi la relation d'interprétance, qui est sémiotique, va à l'inverse de la relation d'emboîtement, qui est sociologique. Celle-ci, objectivant les dépendances externes, réifié pareillement le langage et la société, tandis que ceUe-là les met en dépendance mutuelle selon leur capacité de sémiotisation» (2). Or le langage, la langue, ne se réaUsent que dans le discours. C'est l'effet de théorie majeur de Benveniste^ d'en avoir inauguré 98 HENRI MESCHONNIC et illustré le concept, de multiples manières, par la notion de nécessité apportée à celle d'arbitraire, par l'analyse de la subjectivité dans le langage, comme par ceUe des notions, entre autres, de rythme ou de reUgion, ne tombant jamais dans la séparation dualiste des Unguistiques formelles et des Unguistiques mentalistes. L'ordre du discours est celui de l'empirique dans le langage, celui du radi-< calement historique, et de la pluralité. Activité première, et non plus emploi des signes, le discours est la critique du signe. Du primat de la langue, de l'instrumen- talisme, avec tous les effets du duaUsme. Le plus notoire est l'incapacité de comprendre la Uttérature comme du langage «ordinaire». Avec les accompagnements de la logique du signe logique de l'identité, poUtique de la langue. C'est un propos que la philosophie n'aime pas. Car elle se fonde en partie comme dénégation de l'effet de langage, occultation de sa propre poétique. Hegel a dépassé- surmonté, aufgehoben, en lui toute l'histoire de la philosophie, mais pas la langue allemande, dont il joue, et qui le joue et l'inclut au moment même où il s'en attribue le bénéfice. Heidegger montre sa méconnaissance du discours, et du langage «ordinaire», par son mépris pour das Gerede, bavardage, parole inauthentique amalgame de la logique, de l'ethnique, et du linguistique. Toutes les confusions intéressées entre la convention et l'arbitraire, les réductions de l'arbitraire du signe au hasard, qui ramènent le langage au cosmique, et à l'histoire naturelle, masquent et montrent à la fois leur stratégie de la langue, qui fait obstacle au discours, historicité radicale du langage, et du sujet. Le signe, la langue, la raison, l'identité font un même paradigme. Qui fonctionne comme unité-vérité-totalité. D'où des morales, des lois, la conscience. Des uploads/Philosophie/ meschonnic.pdf

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