1 Pierre Montebello Métaphysiques Cosmomorphes Présentation « Ce qui a manqué l

1 Pierre Montebello Métaphysiques Cosmomorphes Présentation « Ce qui a manqué le plus à la philosophie, c’est la précision. Les systèmes philosophiques ne sont pas taillés à la mesure de la réalité où nous vivons. Ils sont trop larges pour elles. Examinez tel d’entre eux, convenablement choisi : vous verrez qu’il s’appliquerait aussi bien à un monde où il n’y aurait pas de plantes et d’animaux, rien que des hommes. » Henri Bergson, La pensée et le mouvant (1934) Voici une philosophie pour aujourd’hui. Une philosophie en prise avec les enjeux contemporains les plus pressants : la crise écologique et ses formes multiples – réchauffement climatique, sixième extinction, acidification des océans, épuisement des sols… En effet, pour le philosophe français Pierre Montebello, cette destruction généralisée ne remet pas seulement en cause l’action globale de l’homme sur la nature : elle remet en cause la Pierre Montebello Métaphysiques cosmomorphes - La fin du monde humain Les Presses du Réel Collection Drama 253 pages 22 € 2 conception même que les hommes se font du monde. Autrement dit, la crise écologique recèle une crise philosophique, et plus précisément une crise métaphysique : nos manières de concevoir le monde, et la place des hommes au sein de celui-ci, sont en faillite, en tant qu’elles ont conduit à rendre la seule planète à ce jour habitable, en une planète bientôt inhabitable par les vivants. Nous pensions que l’homme était cette exception absolue dans la nature, celui qui se tenait en dehors d’elle, enfin émancipé de toute relation avec le reste du vivant « destiné à être dominé ». C’est d’ailleurs cette conception de l’homme qui nous amène parfois encore aujourd’hui à croire que toutes ces catastrophes écologiques en cours ou annoncées ne nous concernent que secondairement. Or, la crise écologique met précisément en évidence à quel point nous sommes en relation avec les autres êtres vivants et physiques : ce que vivent actuellement les océans, les oiseaux migrateurs, les forêts et les pôles se répercutent directement sur notre existence, sur la possibilité de continuer à vivre sur cette Terre ou du moins, à y bien vivre. L’homme est ainsi confronté à un défi métaphysique majeur que Montebello formule ainsi : « Il lui faut accepter que le monde n’est pas d’abord ce qui est compris par lui, mais ce qui le comprend, lui. » Métaphysiques cosmomorphes se propose ainsi comme une tentative de laisser derrière soi les anciennes philosophies anthropomorphes qui faisaient de l’humain le centre unique du monde : il s’agit de « recomposer un monde », et ainsi d’inventer des métaphysiques cette fois-ci cosmomorphes, capables de prendre en compte la multiplicité des êtres qui composent notre monde – êtres vivants, physiques et cosmiques. En lisant Montebello, nous comprenons à quel point l’idée de solitude comme condition humaine fondamentale est un mythe, un mythe délétère, qui n’est que le résultat du dépeuplement du monde qu’ont opéré les métaphysiques anthropomorphes. L’homme, nous dit Montebello, est pris dans un réseau d’attachements aux autres êtres ; il ne se représente seul que par mépris ou ignorance de ces attachements. Ainsi, par son sous-titre alarmant « La fin du monde humain », Montebello n’annonce pas à la manière d’un Zoroastre une apocalypse imminente : il diagnostique simplement la fin du monde tel que nous le connaissions : un monde composé seulement d’humains et vidé de vivants ; un monde dépeuplé, désertifié, dans lequel le monde n’était qu’une toile de fond inerte ou qu’un ensemble de ressources à exploiter. Dans ce livre important, l’auteur esquisse les contours du nouveau monde à venir que nous permet d’espérer la crise écologique : un monde où l’homme perçoit ses dépendances aux êtres vivants, physiques et cosmiques, non plus comme des liens à trancher pour pouvoir se tenir seul sur la scène désertée du monde, mais comme des attachements précieux qui lui permettent de rendre la vie plus vivante, le monde plus habitable et habité. « Nous nommons monde l’ensemble mouvant d’êtres interdépendants avec lesquels nous sommes imbriqués, que nous composons ou que nous laissons se composer, que nous faisons consister ou que nous livrons à l’inconsistance. » _____ 3 Biographie de l’auteur Pierre Montebello est agrégé de philosophie, professeur de philosophie moderne et contemporaine à l’Université de Toulouse Le Mirail. Il a publié notamment Nietzsche : la volonté de puissance (P.U.F, 2001), Vie et maladie chez Nietzsche (Ellipses, 2001), Deleuze : la passion de la pensée (Vrin, 2008) et Deleuze, philosophie et cinéma, (Vrin, 2008). Son ouvrage majeur, L’autre métaphysique. Essai sur la philosophie de la nature, Ravaisson, Tarde, Nietzsche, Bergson, est reparu aux Presses du Réel en 2015. _____ Table des matières La fin du monde humain 19 Limites 20 Terre et guerre 26 L’ontologie mathématique 31 Le très humain monde sans homme 49 L’invention métaphysique 67 Le récit initial 68 Le Dehors 72 Les modes de connaissance participative 80 Ontologie noire et plan univoque 87 Mystique réaliste 92 L’exception humaine / Responsabilité de la philosophie 99 Cosmo-formes 129 Le schème cosmomorphique de l’anthropologie 157 Cosmopolitiques 191 Conclusion : La pensée cosmomorphe 235 4 Extrait « Mais qu’est-ce qu’une pensée cosmomorphe ? » « Mais qu’est-ce qu’une pensée cosmomorphe ? En quoi se distingue-t-elle du schéma anthropomorphe ? Se placer dans le monde forme son point de départ irrécusable. Nous devons partir du monde, plutôt que de sujets et d’objets. Sans doute la Deep Ecology n’a pas voulu dire autre chose lorsqu’elle avançait qu’une même nature enveloppe tous les êtres et qu’il fallait remplacer le soi du sujet par le soi du monde. Pourtant, le monde est précisément ce qui ne peut plus être posé comme réalité primordiale ou en soi. Il n’y a pas de monde en soi ou de soi du monde. Le monde, nous y sommes constamment entrelacés, nous ne cessons de l’éprouver par mille expériences, de capter ses immenses ou minuscules ramifications par mille procédures différentes, sur mille bordures, à des niveaux différents, physiques, astronomique, biologiques, etc., nous n’arrêtons pas de le décomposer ou de le recomposer. C’est pourquoi un tel monde échappe à tout champ de pensabilité général et abstrait, il ne se réduit pas, il ne se déduit pas. Nous nommons monde l’ensemble mouvant d’êtres interdépendants avec lesquels nous sommes imbriqués, que nous composons ou que nous laissons se décomposer, que nous faisons consister ou que nous livrons à l’inconsistance. La connaissance elle-même ne peut plus être pensée que comme une relation de participation qui fait consister ou qui détruit toute possibilité de consistance (réductionnisme, physicalisme...). Ainsi, aucun être ne peut s’exempter de sa participation au monde. Dans les premiers récits grecs mythiques, il y eût la découverte qu’il était possible de faire entrer tous les êtres qui forment un cosmos dans un système d’alliances et de filiations, dans une généalogie. Si les Modernes n’ont plus de cosmos, ils ont continué à se raconter avec les histoires entremêlées d’innombrables êtres. N’est-ce pas devenu le thème favori des grands récits sur l’univers qui se répètent inlassablement les uns et les autres : de l’alchimie stellaire à la formation des planètes, de la prototerre aux molécules prébiotiques, des bactéries aux cellules eucaryotes, des stromatolites aux animaux... ? Ces grands récits cosmiques racontent la connexion stellaire du macrocosme et du microcosme, la procession du cosmos dans l’histoire de la vie, la progression logarithmique de la complexité, « à cause de la multiplication des bifurcations introduites par toutes les formes de vie ». Toutefois, dans la plupart de ces récits, c’est moins la solidarité des choses qui est soulignée que l’orientation du cosmos vers l’homme. Un pas encore en effet, et voici le principe anthropique qui surgit, sa lecture rétrospective et finalisée du cosmos, où chaque élément nouveau est une pièce nécessaire à l’apparition de l’homme. Mais le récit anthropique ne peut pas aller beaucoup plus loin aujourd’hui, il s’enraye aussitôt, il perd instantanément et brutalement de sa force : il lui faudrait expliquer aussi que tout a été mis en œuvre pour que l’homme détruise sa Terre. Un univers dont le but serait de produire un être qui lui-même a pour but de détruire une planète perdue dans l’immensité de l’espace n’a littéralement aucun sens, quelque finalité qu’on lui prête ! Il va de soi que pour composer un monde, nous ne sommes pas obligés d’adopter ces récits anthropocentriques. Entre l’indifférence atone du cosmos et sa finalisation extrême, il y a place pour une métaphysique plus articulée, moins pétrifiée par cette alternative stérile, soit le monde mathématique, soit le monde anthropocentrique. Étant admis que notre présence au monde passe 5 par des relations multiples, il nous revient de les faire consister dans un plan de nature illimité en nous opposant inlassablement à la réintrojection de transcendances, de zones d’exceptionnalité, de domaines enfermés dans leurs limites. Nous avons voulu le montrer en trois occasions, à l’aide de pensées qui vont dans ce sens. Lorsque les formes sont saisies dans leur connexion au monde, qu’il s’agisse de l’animal, de la peinture, des parures, elles affichent une autonomie expressive qui uploads/Philosophie/ metaphysiques-cosmomorphes.pdf

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