MÉTHODES : DÉFINIR EN PHILOSOPHIE En philosophie comme en mathématiques, il fau

MÉTHODES : DÉFINIR EN PHILOSOPHIE En philosophie comme en mathématiques, il faut définir. Les définitions peuvent être le point de départ d'un raisonnement, elles peuvent constituer un argument. Les variations de définitions d'un même mot permettent aussi de progresser dans la dissertation. Mais, les définitions des dictionnaires ne sont pas suffisantes : elles sont générales, et peu adaptées à vos besoins en dissertation. Aussi, pour disposer d’une définition utile à son discours – il vaut mieux construire soi-même la définition. D'autre part, les définitions, souvent masquent des problèmes. Les textes suivants permettent de réfléchir à al définition en philosophie. HOBBES, Léviathan, XI : «C'est pourquoi la doctrine du juste et de l'injuste est débattue en permanence, à la fois par la plume et par l'épée. Ce qui n'est pas le cas de la doctrine des lignes et des figures parce que la vérité en ce domaine n'intéresse pas les gens, attendu qu'elle ne s'oppose ni à leur ambition, ni à leur profit, ni à leur lubricité. En effet, en ce qui concerne la doctrine selon laquelle les trois angles d'un triangle sont égaux à deux angles d'un carré, si elle avait été contraire au droit de dominer de quelqu'un, ou à l'intérêt de ceux qui dominent, je ne doute pas qu'elle eût été, sinon débattue, en tout cas éliminée en brûlant tous les livres de géométrie, si cela eût été possible à celui qui y aurait eu intérêt. » E. KANT, Critique de la raison pure, « Discipline de la raison pure », GF p. 614 : « D'où il s'ensuit qu'il ne faudrait pas en philosophie imiter la mathématique en commençant par poser les définitions, sauf si c'est seulement à titre de simples essais… en philosophie, la définition, comme clarification pondérée1, doit plutôt clore l'entreprise que l'inaugurer. » Ch. BOURIAU, Aspects de la finitude, Descartes et Kant, p.117 : « Commencer en philosophie par des définitions revient à commencer avec des concepts encore confus, dont on n'est jamais sûrs de posséder le détail intégral. Ainsi convient-il plutôt, à partir de quelques caractères tirés d'une analyse encore inachevée du concept, de conclure d'autres caractères « avant d'arriver à l'exposition générale, c'est-à-dire à la définition », qui doit « plutôt terminer l’œuvre que la commencer. » J.-J. ROUSSEAU « Idée de la méthode dans la composition d'un livre », Mélanges et littérature et de morale, « Pléiade », pp. 1242-1243 : « Je commencerais d'abord par expliquer nettement le sujet que je me propose, définissant avec soin les idées ou les mots nouveaux équivoques que j'aurais besoin d'employer, non pas successivement en forme de dictionnaire à la manière des mathématiques, mais comme par occasion et en enchâssant adroitement mes définitions dans l'exposition de mon sujet. » Faut-il commencer une dissertation par des définitions ? On peut le faire – mais ce n'est pas une obligation. Surtout il faut bien le faire. Or, cela n'est pas facile. Ouvrir le dictionnaire ne suffira pas. Définir les termes du sujet est long. Et surtout compliqué. C'est ce qui se fait en mathématique (voyez le texte de ROUSSEAU), à la manière d'un dictionnaire. Mais les objets mathématiques sont simples. La définition du triangle n'a pas changé depuis Thalès. Et tous sont d'accord. Ce n'est pas le cas en ce qui concerne les objets philosophiques (l’État, le devoir, le citoyen, l'éducation, par exemple). Voyez le texte de HOBBES ci-dessus : pas d'accord sur les définitions de ces objets complexes. Il n'y a pas de définition objective. Aussi ROUSSEAU et KANT préconisent de ne pas procéder à la manière des mathématiciens... Comment alors définir comme il convient ? On doit comprendre les définitions en philosophie comme des définitions temporaires, des essais dit Kant, que, par la suite, il faudra problématiser. D’autre part la définition doit s’insérer dans le discours, ce que signale ROUSSEAU quand il écrit qu'il faut définir, « mais comme par occasion et en enchâssant adroitement mes définitions dans l'exposition de mon sujet. » C'est à l'occasion d'une thèse que l'on définit, en vue de l'argumenter. La définition ne doit pas être extérieure à votre propos. 1 Kant dit qu’on peut à la limite commencer par un essai de définition, mais qu’il faudra finir par une « clarification ». Et en effet, les définitions initiales sont pour le moins obscures, voire contradictoires. Par exemple : « TEMPS : Milieu indéfini et homogène dans lequel se situent les êtres et les choses et qui est caractérisé par sa double nature, à la fois continuité et succession » (source CNRTL) – définition. Quoi ici de confus, et même, de contradictoire ? « Les choses extérieures, semble-t-il, durent comme nous, et le temps, envisagé de ce dernier point de vue, a tout l’air d’un milieu homogène […]. Le temps conçu sous la forme d'un milieu indéfini et homogène n'est que le fantôme de l'espace obsédant la conscience réfléchie » écrit BERGSON (Essai sur les données immédiates de la conscience, 1889). L’État doit-il éduquer les citoyens ?2 Utilisation d'une définition de la notion de morale sociale Définissons la morale sociale comme l'ensemble des règles et des conduites qui sont prescrites par la société, qu'elle transmet par l'intermédiaire de l'éducation, en vue de bien vivre ensemble. Cela devient utile quand cette définition est « enchâssée » dans une argumentation de la thèse selon laquelle l'éducation est importante. Elle permettrait, par exemple, d'expliquer que l’État doive éduquer ses citoyens : en vue de la concorde civile. Ici, la définition se donne comme un argument. Il ne s'agit pas de définir pour proposer une définition parfaite, objective (ou parce que la méthode dit qu'il faut définir) ; mais de la proposer pour défendre une thèse. Cela signifie que les définitions ne sont pas neutres, c’est-à-dire indifférente à une thèse. Il n'y a pas de définition objective. Implicitement, chacune défend une thèse, ou en nie une autre. Les définitions ont une utilité, pour une thèse. Une fois qu'elles ont rendu ce service, il faut les critiquer, les problématiser. Problématisation de la définition de morale sociale Comment problématiser la définition de la morale sociale ? Reconnaître qu'elle vaut non pour la société, mais pour une société : nul ne vit dans la société ; chacun vit dans une société qui est particulière. Ce qui était positif (prescription sociale) devient négatif (carcan institué par une société particulière). La morale sociale permettrait de bien vivre ensemble (positif) ; mais après réflexion, elle permet seulement de bien vivre avec ses concitoyens, et non avec le reste de l'humanité. En fait, la morale sociale particularise : elle n'humanise pas, on peut aller jusqu'à dire qu'elle isole du reste de l'humanité. A ce point, la définition invite à une autre thèse, diamétralement opposée : l’État ne doit pas éduquer les citoyens, dans la mesure, où son éducation ne peut ouvrir les citoyens à l’humanité toute entière, mais doit privilégier la « mère-patrie » : en temps de guerre, il n’y a aucun doute là-dessus… La définition du dictionnaire est-elle neutre ? Exemple avec une définition de la notion de socialisation « La socialisation est un processus d'apprentissage qui permet à un individu, en général pendant l'enfance et l'adolescence, de s'adapter et de s'intégrer à son environnement social et de vivre en groupe. » Voilà une définition de la socialisation, parfaite en son genre (source : http://www.toupie.org/Dictionnaire/Socialisation.htm). Mais elle n'est pas neutre. Elle implique une thèse – des thèses. Évitons le détail (processus : terme mécaniste séparé de toute considération de la liberté éventuelle de ce qui subit le processus ; s'adapter ET s'intégrer : n’y a-t-il pas là une différence très conséquente ?). La notion d'environnement social est curieuse. « Environnement », cela désigne le milieu naturel d'une espèce animale. Dire d'une société qu'elle est l'environnement naturel d'un peuple, c'est utiliser le biologique pour penser le social. Où est le problème ? La société n'est pas comme un environnement naturel ; en tout cas, ce n'est pas à partir de la notion d'environnement naturel qu'on peut penser la société : la société est-elle un « environnement » ? Essentiellement, la société a fait les hommes, mais aussi elle est faite par les hommes ; la nature n'est pas faite par les animaux ; les animaux ne peuvent que s'y adapter ; les hommes, par contre, peuvent changer la société. La socialisation parle d'environnement social, comme si la seule chose à faire pour les hommes, c'était de s'y adapter. Alors qu'ils pourraient ensemble adapter leur société à leurs besoins, à leurs aspirations : ce à quoi sert l'activité politique. Finalement, rien de neutre dans cette définition. Elle laisse entendre que l'homme doit s'adapter, qu'il vaut mieux changer ses désirs plutôt que l'ordre du monde, comme écrivait DESCARTES après les Stoïciens. Cette définition n'est donc pas neutre, au contraire elle prend parti pour une forme de conservatisme social. En biologisant le social, elle le dépolitise3. Une autre thèse, ce serait que les hommes peuvent changer leur société, plutôt qu'être changée par elle. Cela appelle une autre définition de la socialisation, qui uploads/Philosophie/ methode-dissertation-definir.pdf

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