Timothy Morton La Pensée écologique Traduit de l’anglais par Cécile Wajsbrot éd

Timothy Morton La Pensée écologique Traduit de l’anglais par Cécile Wajsbrot éditions Zulma 18, rue du Dragon Paris VIe Philosophe internationalement reconnu, traduit en une dizaine de langues et cité parmi les 50 penseurs les plus influents de 2020 par Prospect et Forbes, Timothy Morton est né à Londres en 1968. Il occupe la prestigieuse chaire Rita Shea Guffey à Rice University (Houston). La Pensée écologique (The Ecological Thought, Harvard University Press) est un texte fondateur. « Dans ce texte radical (mais aussi plein d’humour) mêlant art et écologie, ce proche de la philosophie de Bruno Latour nous invite à revoir nos outils conceptuels pour comprendre la crise écologique. »  Les Inrockuptibles « Ce penseur britannique aux allures de rock-star secoue la réflexion sur le vivant et le réchauffement climatique en lui insuf- flant une dose étonnante de métaphysique. »  Philosophie Magazine Du même auteur Hyperobjets : philosophie et écologie après la fin du monde Traduit de l’anglais par Laurent Bury EPCC Cité du design / it: éditions, 2018 Être écologique Traduit de l’anglais par Cécile Wajsbrot Zulma, 2021 Titre original : The Ecological Thought © 2010 by the President and Fellows of Harvard College. Published by arrangement with Harvard University Press. © Zulma, 2019, pour la traduction française ; 2021, pour la présente édition. Couverture : David Pearson Maquette intérieure : Laure Schaufelberger Si vous désirez en savoir davantage sur Zulma ou sur La Pensée écologique n’hésitez pas à nous écrire ou à consulter notre site. www.zulma.fr Pour Claire L’infini déborde la pensée qui le pense. — Emmanuel Levinas Totalité et Infini Introduction : Penser critique 13 L’étendue des dégâts  18 Mouvements d’ouverture  24 Les chapitres de ce livre  32 1. Penser grand 43 Des Tibétains dans l’espace 50 Le maillage : un fait véritablement stupéfiant 55 Moins, c’est plus : penser le maillage 64 Étranges étrangers : politique et poétique de la coexistence 70 La poétique du n’importe où 89 2. Sombres pensées 103 Mutation, mutation, mutation 104 Que celui qui n’a jamais eu de « sim » jette la première pierre 118 Des canards queer 138 L’homme de Néandertal, « c » nous 147 Laissez-moi vous emmener 158 3. Penser prospectif 163 La logique culturelle de l’environnementalisme primitif 169 Science prospective 186 Sommaire Philosophie prospective 192 Économie prospective 199 Politique prospective : styles de collectivité 205 La fin du commencement : l’avenir des hyperobjets 213 Notes 223 Index 253 Remerciements 257 Introduction Penser critique La crise écologique à laquelle nous faisons face est si évi- dente qu’il devient facile – et parfois terriblement ou étran- gement facile – de relier les points entre eux pour voir que tout est interconnecté. Telle est la pensée écologique. Plus nous la considérons, plus notre univers s’élargit. Nous pensons habituellement que l’écologie a à voir avec la science et les politiques publiques. Mais comme le dit le poète Shelley à propos des développements de la science, « nous voulons que notre faculté de création imagine ce que nous savons déjà1 ». L’écologie paraît élémentaire, prosaïque. Elle a à voir avec le réchauffement climatique, le recyclage et l’énergie solaire ; avec les relations quotidiennes entre humains et non-humains. Parfois nous associons l’écologie à des croyances, une ferveur, souvent explicitement reli- gieuses : Animal Liberation Front, le Front de libération ani- male, ou Earth First, la Terre d’abord ! Dans la mesure où nous n’avons pas encore de monde réellement écologique, la reli- gion s’indigne d’une voix « verte »2. Mais à quoi ressemblerait une société écologique ? Que penserait un esprit écologique ? Quelle sorte d’art pourrait plaire à une personne dotée d’une conscience écologique ? Toutes ces questions ont un point en commun : la pensée écologique. La Pensée écologique 14 Comme l’a montré le succès du chef-d’œuvre des studios Pixar Wall-E, la question est dans tous les esprits3. Qu’est-ce que la conscience écologique ? Comment faire redémarrer le vaisseau Terre avec les pièces que nous avons à notre disposi- tion ? Comment aller de l’avant et s’éloigner de la mélancolie d’une planète empoisonnée ? Wall-E s’ouvre, dans un futur éloigné de sept cents ans, sur la scène déprimante d’un petit robot qui compresse les ordures et empile des tours de détri- tus, hautes comme des gratte-ciel, laissés par les humains. Il y a quelque chose qui cloche dans « son » logiciel, quelque chose qui se manifeste par une obsession de la collecte. On dirait qu’à travers les Rubik’s Cubes, la vidéo de Hello Dolly ou la minuscule pousse d’un pot de fleurs, il cherche un indice d’humanité. Wall-E démontre joyeusement que le logiciel « cassé », le désordre mental du petit robot, est le code viral qui réinitialise la Terre : cette fois, nous évoluons à partir de mèmes et non de gènes. Mais son obsession compulsive, qui ressemble tant à une manifestation de chagrin (du moins depuis la salle de cinéma où nous sommes assis, spectateurs d’une ruine future), ne reflète-t-elle pas exactement notre situation présente ? Comment commencer ? Et à partir de là, où aller ? Est-ce l’appel de quelque chose depuis le cœur même du chagrin – l’écho de la pensée écologique ? La pensée écologique est un virus qui contamine tous les autres domaines de la pensée. (Alors même que virus et virulence sont bannis de l’idéologie environnemen- tale.) Ce livre affirme que l’écologie n’a pas seulement pour objet le réchauffement climatique, le recyclage ou l’énergie solaire – qu’elle n’a pas seulement à voir avec les relations quotidiennes entre humains et non-humains. Elle a à voir avec l’amour, la perte, le désespoir et la compassion. Avec la dépression et la psychose. Avec le capitalisme et ce qui Penser critique 15 pourrait exister après le capitalisme. Avec l’étonnement, l’ouverture d’esprit et l’émerveillement. Le doute, la confu- sion et le scepticisme. Les concepts d’espace et de temps. Le ravissement, la beauté, la laideur, le dégoût, l’ironie et la douleur. La conscience et la perception. L’idéologie et la cri- tique. La lecture et l’écriture. La race, la classe et le genre. La sexualité. L’idée du moi et les étranges paradoxes de la subjectivité. Elle a à voir avec la société. Elle a à voir avec la coexistence. Telle l’ombre d’une idée encore non pleinement pensée, une ombre venue du futur (autre merveilleuse expression de Shelley4), la pensée écologique s’insinue dans d’autres idées jusqu’à ce que sa sombre présence ne laisse aucun lieu intouché. Darwin avait une telle confiance dans la théorie de l’impermanence de l’évolution qu’il était prêt à suspendre son jugement à propos de la permanence des continents, sachant qu’à son époque la théorie de la tectonique des plaques n’existait pas encore5. Telle est la force de la pensée écologique. Comme le dit un philosophe (voir l’épigraphe de ce livre), « l’infini déborde la pensée qui le pense6 ». Vous pourriez considérer La Pensée écologique comme une préquelle de mon livre précédent, Ecology without Nature (« L’Écologie sans Nature »). Que ne m’a-t-il fallu penser pour m’apercevoir que, pour qu’il y ait de l’« écologie », il fallait se débarrasser de la « nature7 » ? Vous ne pouvez pas faire de préquelle avant d’avoir fait le film « original ». Au sens strict, la pensée écologique vient rigoureusement après – elle est toujours à venir, quelque part dans l’avenir. Dans sa visée la plus large, elle aura été pensée à un moment indéterminé de l’avenir. Vous êtes happés par son faisceau tracteur (c’est comme un « attracteur » mathématique). Vous ne l’avez pas fait exprès. Vous pensiez sans doute ainsi depuis toujours. La Pensée écologique 16 Mais vous ne le saviez pas. La pensée écologique vous prend par surprise depuis l’avenir, image de ce qui devra avoir été là, déjà, pour qu’une « écologie sans nature » fasse sens. Tels des archéologues du futur, nous devons rassembler ce qui aura été pensé. Au bout du compte la pensée écolo- gique dépasse ce qui passe pour de l’environnementalisme. Elle pense autrement que par le biais des petites et grandes manipulations. Elle va au-delà du fait de penser : « Combien d’êtres vivants devrons-nous tuer pour être encore là l’hiver prochain ? » Elle va au-delà du « Tout ce qui est, est juste8 ». Au-delà des paroles de la chanson Let it be, let it be 9. Au-delà du moi, de la Nature, de l’espèce. Au-delà de la survie, de l’Être, de la destinée et de l’essence. Mais tel un virus, telles les plus infimes de nos cellules (sont-elles seulement vivantes ?), telles leurs minuscules macromolécules au cœur de notre ADN, la pensée écologique est là depuis toujours. Pourquoi une « écologie sans nature » ? La « Nature » échoue à bien servir l’écologie. J’utiliserai parfois le N majus- cule afin de mettre l’accent sur ses caractéristiques « non naturelles », à savoir (mais sans s’y limiter) la hiérarchie, l’autorité, l’harmonie, la pureté, la neutralité et le mystère. L’écologie peut se passer du concept d’un quelque chose d’une certaine sorte, uploads/Philosophie/ morton-extrait-2.pdf

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