1 Université sidi Mohammed Ben Abdelah Faculté des lettres et des sciences huma

1 Université sidi Mohammed Ben Abdelah Faculté des lettres et des sciences humaines Saïs-Fès Département de langue et de littérature françaises Filière: Etudes françaises Prof. : M. Abdellatif EL ALAMI Cours de traduction Semestre 3 Année universitaire 2020-2021 Sommaire : I. Problèmes théoriques de la traduction I.1. Considérations générales I.2. Problèmes linguistiques et culturels I.3. Vision traditionnelle de la langue / vision moderne I.4. Le signe linguistique I.5. Quelques implications pratiques de la théorie du signe sur la traduction I.6. Les obstacles à la traduction I.7. Lexique et traduction II. Quelques éléments de traductologie II.1.Qu’est-ce que la traductologie ? II.2. Quelques jalons historiques II.3. « Objection préjudicielle » et « belles infidèles » II.3. Pour un dépassement de l’ « objection préjudicielle » Bibliographie sommaire 2 I. Problèmes théoriques de la traduction I.1.Considérations générales La tradition a toujours attribué un statut « mineur » au traducteur par rapport au statut prestigieux de l’écrivain. Ce statut est entériné par la pratique éditoriale : la couverture du livre met toujours le nom du traducteur à l’arrière-plan (sauf si le traducteur est lui-même un écrivain, auquel cas l’éditeur ne se prive pas de l’exhiber pour mieux faire valoir le texte traduit). C’est ce statut de simple auxiliaire qui a poussé l’industrie du livre (et de l’écrit en général) à réfléchir à des solutions techniques, en cherchant à substituer la machine et le logiciel au traducteur. Ce rêve est devenu réalité avec Google, avec ses dangers et ses cauchemars, car il se fonde sur un postulat extrêmement simpliste et réducteur, selon lequel la traduction consisterait dans la banale substitution d’un mot d’une langue A à un mot d’une langue B. Or, si ce raisonnement est valable dans le domaine de la technique, il est loin d’être applicable aux langues. Le travail du traducteur sera donc toujours soumis à l’appréciation du lecteur et surtout des spécialistes. Ainsi, certaines traductions sont considérées comme des traductions parfaites et géniales, comme par exemple celle de Poe par Baudelaire, mais il y aura toujours des critiques qui diront qu’elles comportent des erreurs et des contresens. On peut en déduire cependant que la traduction est possible, même si le traducteur n’a pas une connaissance parfaite de la langue traduite, et quels que soient les défauts qu’elle est susceptible de comporter. Ernest Renan assure à ce propos qu’ « une œuvre non traduite n’est publiée qu’à demi ». Par ailleurs, certains auteurs prestigieux n’ont pas eu la chance de tomber sur le traducteur parfait: on continue toujours de proposer des traductions de Shakespeare. Gide, qui est un grand écrivain et un parfait angliciste, n’a pas été le traducteur parfait de Shakespeare. Pourtant, il faut bien admettre que les aléas de la traduction ne peuvent constituer des arguments contre sa légitimité et son caractère extrêmement utile et même indispensable pour le progrès du savoir humain et le rapprochement entre les cultures. L’opération de traduction rend accessible au savoir des domaines multiples de la création (littéraire, culturelle, scientifique, philosophique, religieuse, etc.). En même temps, elle permet de les confronter à d’autres expériences et productions intellectuelles exprimées dans d’autres langues, mais qui touchent aux mêmes domaines. Giordano Bruno, l’un des penseurs les plus audacieux et les plus influents de la Renaissance, va encore plus loin et affirme que « (d)e la traduction vient toute science ». Les 3 connaissances scientifiques circulent grâce à la traduction et aucune langue n’a le monopole du savoir ou de la poésie. Dans le domaine de la création littéraire, la critique moderne a démontré que le rapport entre la création littéraire et la traduction des œuvres littéraires n’est pas hiérarchique mais dialectique: la traduction est présente dans toute œuvre originale; toute œuvre se nourrit forcément d’une œuvre qui la précède. De ce fait, la traduction implique de repenser le rapport à l’autre et l’étranger. Elle exige une remise en question de l’ethnocentrisme. Tel est l’argument central qu’Antoine Berman développe dans L’épreuve de l’étranger, ouvrage consacré à l’analyse de la traduction telle qu’elle a été pensée et pratiquée par les romantiques allemands. Comprendre l’autre, ce n’est pas l’annexer, mais se considérer comme son hôte, sortir de son propre « centre » pour découvrir l’autre comme centre possible. I.2. Problèmes linguistiques et culturels Par ailleurs, sur un plan strictement technique et pratique, et vu que l’acte de traduire est un acte complexe, il requiert par conséquent non seulement une compétence linguistique, mais aussi des connaissances, sinon une conscience aiguë des problèmes linguistiques et culturels, dont on ne peut faire l’économie sans nuire à la qualité et au rendement escomptés. Or la linguistique, comme tout le monde le sait, comprend plusieurs disciplines, dont la syntaxe, le lexique, la sémantique, etc. Exemple : anglais français He swam across the river Il traversa la rivière à la nage Cet exemple appelle quelques remarques qui concernent les deux langues: 1. Une traduction littérale consisterait à dire: « Il nagea à travers la rivière ». 2. He swam = mouvement de corps, action concrète. 3. Across indique le lieu du mouvement (simple préposition) 4. à la nage: le français relègue « le mouvement du corps » à ce qu’on appelle en grammaire traditionnelle le complément circonstanciel. 5. Il traversa: mot abstrait (≠ he swam). 6. Apparemment, le point commun entre les deux langues semble être « l’objet ». Mais river en anglais n’a pas la même signification qu’en français (river = rivière, fleuve, deux objets bien distincts en français). 4 On peut déduire que les langues ont des structures différentes, même si elles expriment une expérience identique (comme traverser la rivière à la nage). De ce fait, la traduction est condamnée à être approximative. Mais la chose se complique encore plus quand il s’agit de traduire une chose qui n’existe ni dans la culture, ni dans la géographie de l’autre. Dans Problèmes théoriques de la traduction, Georges Mounin donne quelques exemples qu’il emprunte à d’autres linguistes: - Comment traduire le mouvement du semeur à un homme du désert, qui ne sème pas à la volée mais dépose chaque graine dans un trou fait au sable ? - Comment un indien d’Amazonie peut-il traduire le mot « désert » ? - Peut-on traduire « dollar », « rouble », « dirham », « franc », « euro », etc. ? - On peut avoir deux couleurs différentes qui ont un même nom, comme en grec pour vert jaune et rouge, vert jaunâtre et brun grisâtre; en anglais « pink » signifie « rose », mais quand on parle des habits rouges des soldats anglais, on les appelle « pink habits ». - S’il est possible de nommer partout certaines choses comme « soleil », « lune », « ciel », « pluie », « eau » par exemple, la chose devient moins évidente avec « neige », « glace », « verglas », etc. Ces difficultés, obstacles ou pièges de structures linguistiques, de cultures, de vocabulaires, de civilisation, condamnent le traducteur soit à la solution de l’optimisme excessif (tout peut être traduit), soit à l’impuissance et au désespoir (rien ne peut être traduit). La qualité d’une traduction n’est donc pas toujours le fruit de l’adresse ou de la maladresse du traducteur. I.3. Vision traditionnelle de la langue / vision moderne Dans la mesure où la traduction implique de donner un nom à un objet dans une langue B qui serait « synonyme » du nom donné à ce même objet dans la langue A, il devient indispensable de faire appel à la théorie linguistique et à la conception moderne du signe linguistique qui prévaut depuis Saussure. Mais il convient d’abord de jeter un court regard rétrospectif sur la vision qui prévalait dans le passé. Si l’on se réfère à la Genèse, on trouve que la langue est présentée 5 comme une sorte de nomenclature, un répertoire de noms attribués à des objets pour les désigner : - « Et Dieu nomma la lumière, jour; et les ténèbres, Nuit (…). Et Dieu nomma l’étendue, Cieux (…) Et Dieu nomma le sec, Terre; et il nomma l’amas des eaux, Mers » (Genèse, I, 5-8-10). - « Or l’Éternel Dieu avait formé de la terre toutes les bêtes des champs et tous les oiseaux des cieux: puis il les avait fait venir vers Adam, afin qu’il vît comment il les nommerait: et afin que le nom qu’Adam donnerait à tout animal vivant fût son nom. Et Adam donna les noms à tous les animaux domestiques, et aux oiseaux des cieux, et à toutes les bêtes des champs … » (Genèse, II, 19-20). Moins pittoresque et plus sobre, le texte coranique donne un récit qui n’est pas ouvertement en désaccord avec la théorique linguistique du signe, du moins selon l’interprétation de Mohammad Shahrour : َُ ءِ إِن ك َ ئِكَةِ فَقَالَ أَنبِئُونِي بِأَسأمَاءِ هََٰؤَُل َ ضَهُمأ عَلَى الأمََل أ َسأمَاءَ كُلَّهَا ثُمَّ عَر َ عَلَّمَ آدَمَ اْل و،نتُمأ صَادِقِينَ ( البقرة31 ) ،َّ مَا عَلَّمأتَنَا ۖ إِنَّكَ أَنتَ الأعَلِيمُ الأحَكِيمُ (البقرة َ عِلأمَ لَنَا إَِل قَالُوا سُبأحَانَكَ َل32 ) ََ مَا uploads/Philosophie/ la-traduction-s3-francais.pdf

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