La valeur de vérité de l’expérience mystique NICOLAS BEAUFILS MEMOIRE DE MAITRI

La valeur de vérité de l’expérience mystique NICOLAS BEAUFILS MEMOIRE DE MAITRISE DE PHILOSOPHIE – UPJV – 2003 Faculté de Lettres et Philosophie UPJV - Amiens Mémoire de Maîtrise présenté par Nicolas BEAUFILS Sous la direction de J.A. BARASH Et la co-direction de J.-G. ROSSI SUJET La valeur de vérité de l’expérience mystique - 1 - AVANT-PROPOS L’étude du mysticisme dans son rapport à l’expérience et à la connaissance est certainement des plus hasardeuses par la nature même du vécu subjectif et par l’abondance des discours, souvent contradictoires. Le phénomène religieux, par la diversité de ses origines culturelles, par le contenu même de l’expérience mystique, est très probablement celui qui recèle le plus de difficultés épistémologique et de paradoxes philosophiques. Au cours de notre travail, nous serons amenés à traiter de différents concepts et symboles nécessaires à la compréhension de ce que peut recouvrir la réalité de l’expérience mystique, c’est-à-dire la teneur à la fois exacte et concrète, objective et subjective, de l’extase. Mais bien souvent, le discours hésitera entre sacré, spirituel, divin et religieux, pour qualifier la réalité mystérieuse expérimentée, termes qui ne sont là rien d’autre que ce que Claude Lévi- Strauss a appelé des « signifiants flottants » relevant d’une réalité inaccessible par l’analyse conceptuelle et essentialiste. Il s’agira également de montrer dans quelle mesure il y a intervention du naturel et du surnaturel dans le mysticisme. Bien que nous ne cherchions pas à élaborer une théorie du fait mystique, il nous est apparu utile de préciser au lecteur les sens attribués à ces concepts, d’autant plus qu’ils diffèrent selon les cultures et les contextes historiques les plus divers et riches de leurs diversités. L’objectif de notre travail étant de saisir autant qu’il est possible la nature exacte de l’expérience extatique (l’expérience de Dieu concrètement vécue, l’expérience de la réalité ultime pleinement individualisée), notamment au regard de l’expérience commune, du logos. On se demandera donc ce que peut bien valoir une telle expérience exceptionnelle relativement à l’expérience habituelle de l’homme. Et nous nous efforcerons de dégager la position de la philosophie mais surtout son rôle, sa fonction privilégiée dans la relation entretenue entre les deux types d’expériences vécues. Précisons immédiatement que notre étude se positionne hors du faux problème « théologie fille de la philosophie » ou « philosophie servante de la théologie » ; ceci car notre axe de recherche déborde le cadre de l’analyse linguistique et épistémologique, mais aussi car notre approche méthodologique se veut dialogique en réponse au paradoxe inhérent au mysticisme. Il s’agit de prendre en compte l’expérience vécue subjective et le contexte culturel afin de cerner objectivement les modalités de l’extase, tant sur le plan psychologique que sur le plan historique. La principale difficulté repose sur la distinction entre moyen et fin : quel est le rôle et la place de chaque élément appartenant à la fois au fait mystique et à l’expérience mystique ? L’optique philosophique de notre étude est de voir le plus clairement et distinctement la place du phénomène mystique dans l’histoire, la valeur du fait mystique quant à la valeur humaine, et enfin, ce qu’est une expérience mystique quant à la vérité philosophique. Pour éviter de se disperser inutilement dans des considérations générales sur les diverses composantes du phénomène mystique et les (trop) riches traditions auxquelles il se rapporte, nous limiterons volontairement les recherches et les exemples à ce qui nous est apparu comme la quintessence du message spirituel, l’essentiel du patrimoine religieux de l’humanité. Ces multiples traditions peuvent être regroupées en trois catégories : la tradition occidentale (religions du Livre), orientale (taoïsme tibétain) et un fond commun plus ancien qui nous ramène à la préhistoire et à l’homo religioso qu’on retrouve sous le terme général de chamanisme (en - 2 - gardant dans sa définition la seule signification abstraite de structure, de type de conscience). Ce fond commun se repère dans les manifestations du sacré et des rapports de l’« homme archaïque » en relation primordiale avec le Tout, la conscience originelle de l’homme faisant l’expérience du divin. En puisant à la source même de ces trois types culturels et en prenant soin de choisir les exemples les plus significatifs, nous espérons montrer l’universalité du mysticisme sans pour autant confondre les expériences. Nous citons à ce propos R. Otto qui fait débuter son essai sur les Mystique d’Orient et Mystique d’Occident par les intentions de l’auteur : « Confronter les types classiques dominants de la mystique en Orient et en Occident et, par cette voie, tenter de pénétrer la nature du phénomène spirituel singulier qui a nom Mystique : telle est la nature de ce livre. La comparaison, en éclairant les uns par les autres les traits particuliers du phénomène, permet de dégager progressivement et de faire saisir son essence elle-même. D’autre part, les manifestations de ce phénomène et leurs concordances, depuis les âges reculés de l’antique spéculation indienne jusqu’à la spéculation moderne de Fichte, révèlent tout d’abord une étrange concordance dans les motifs primaires de l’expérience spirituelle humaine en général. Cette concordance, quasi indépendante de la race, du climat, de l’époque, achemine vers d’ultimes et mystérieuses unités et concordances intimes de l’esprit humain et, du même coup, nous autorise à parler d’une « essence » homogène de la Mystique. Mais cette constatation amorce une autre tâche non moins importante : celle de saisir cette essence homogène par delà ses nombreux types possibles de différenciation et d’individuation et, par le fait, d’écarter le préjugé d’une « mystique unique et toujours la même ». C’est le seul moyen de saisir dans leurs particularités caractéristiques des phénomènes spirituels de l’ampleur d’un Allemand Eckhart, d’un Hindou Çankara, d’un Grec Plotin, des mystiques des écoles Mahâyâna du bouddhisme. Faute de quoi, tous ces phénomènes bien individualisés s’estomperont dans la commune nuit d’une « mystique en général ». L’essence de la mystique ne peut ressortir que de la totalité de ses différenciations possibles » (1). Nous avons privilégié tout au long de notre enquête comme guide le plus sûr, pour le mysticisme chrétien, Maître Eckhart, qui représente toutes les contradictions dans le combat intérieur entre la théologie spéculative, la philosophie, et l’expérience du mystère de Dieu (2). Notre approche se veut donc multiple et complexe, premièrement parce que l’objet de notre étude le demande, deuxièmement parce qu’une réduction épistémologique n’apporterait qu’une réponse partielle, et troisièmement parce qu’il ne s’agit pas d’éluder la question en s’engageant dans une interprétation qui ne laisserait aucune place à la réalité vécue de l’extase. - 3 - INTRODUCTION Le mysticisme appartient à la tradition culturelle de l’humanité. Ce phénomène religieux est apparu avec les débuts de l’humanité et l’on en retrouve des traces plus ou moins vivaces dans toutes les cultures et à toutes les époques. Cette universalité attestée du mysticisme confère à l’expérience religieuse un aspect profondément anthropologique. Mais en même temps, bien qu’il y ait différentes filiations mystiques, on ne peut réduire le phénomène à son aspect culturel. L’étude anthropologique et historique est certes nécessaire à sa compréhension mais n’est pas suffisante pour lui reconnaître une valeur gnoséologique et critique. Afin de pouvoir saisir au plus prêt ce que peut être le vécu extatique du mystique et de réfléchir sur l’enseignement acquis suite à son expérience, il est nécessaire de ne pas s’arrêter au déterminisme historique et de ne pas mettre à l’écart la part subjective. Bien que marquée par l’époque à laquelle elle vit, la « personnalité » mystique n’en demeure pas moins une composante essentielle de l’expérience religieuse. Cette dernière reçoit de l’étude historique et psychologique les principaux points de compréhension pour l’analyse du phénomène mystique. Mais au contraire de l’expérience au sens courant du terme, c’est-à-dire le vécu quotidien, l’extase se situe d’emblée à la limite du champ de l’expérience humaine ; ce qui fait à la fois sa difficulté voire son impossibilité phénoménologique et son intérêt. L’atypisme du mysticisme est contenu non seulement dans la visée de l’objet – Dieu – mais aussi dans l’effacement du sujet dans son objet. Loin de la banalité quotidienne, de la normalité, et des cadres habituels de l’expérience humaine, l’extase peut-elle encore se définir avec les outils conceptuels destinés aux analyses phénoménologiques et épistémologiques ? Ainsi reconnue à travers tous les âges et toutes les cultures, profondément liée à la subjectivité, l’extase demeure un mystère pour celui qui ne l’a pas éprouvé. Quel est ce mystère indicible qui remplie l’esprit de certitude, qui fait exploser le cœur de joie et qui met l’âme en feu ? « Qu'est-ce qui a fait s'exclamer Blaise Pascal la nuit de 23 novembre 1654, et écrire, entre dix heures et demi du soir et minuit et demi : FEU , Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac, Dieu de Jacob, non des philosophes et des savants... Certitude, certitude, sentiment, joie, paix. Dieu de Jésus Christ... Oubli du monde et de tout hormis DIEU... Jésus Christ Je m'en suis séparé. Je l'ai fui, renoncé, crucifié. Que je n'en sois jamais séparé !... Renonciation totale et douce ? (1) Il écrivit ces phrases sur uploads/Philosophie/ nicolas-beaufils-la-valeur-de-verite-de-l-x27-experience-mystique-2003.pdf

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