ÉRIC BLONDEL NIETZSCHE Par-delà Bien et Mal Étude généalogique de la morale ANA

ÉRIC BLONDEL NIETZSCHE Par-delà Bien et Mal Étude généalogique de la morale ANALYSE, EXPLICATION, COMMENTAIRE § 186 ET § 187 NIETZSCHE – PAR DELA BIEN ET MAL – COMMENTAIRE AVERTISSEMENT Ce texte est la retranscription d’un cours oral professé par Eric Blondel à La Sorbonne, Paris I, pour l’agrégation de philosophie. DOCUMENT RÉALISÉ AVEC LA GRACIEUSE PARTICIPATION DE JEAN-MARIE BRUN ET AGNÈS CONVERT Philopsis éditions numériques http://www.philopsis.fr Les textes publiés sont protégés par le droit d’auteur. Toute reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. © Éric Blondel - Philopsis 2007 NIETZSCHE – PAR DELA BIEN ET MAL – COMMENTAIRE AVANT-PROPOS : CIVILISATION ET MORALE Pour commenter un texte de Nietzsche, il convient de tenir les deux bouts de la chaîne. – D’une part le texte. Il faut se mettre comme le psychanalyste à l’écoute de ce qui se dit en secret, en derrière, en dessous, au-dessus du texte à partir du texte lui-même et de ce qu’il tait. – D’autre part sa problématique, c’est-à-dire mettre en lumière l’argumentation philosophique. Ainsi, la stratégie philosophique nietzschéenne proprement dite est mise au jour. La préoccupation de Nietzsche dans son questionnement philosophique, c’est la question de la civilisation à travers une de ses composantes : la culture. La civilisation couvre l’ensemble des valeurs, des mœurs, des institutions, des idéaux. Il faut rechercher d’où vient le rassemblement de ces idéaux tel qu’il est donné, en d’autres termes d’où vient la morale de la civilisation. La préoccupation de Nietzsche se concentre donc sur la problématique de la morale. On peut ainsi tout rapporter à un fil conducteur essentiel : la civilisation et la morale. La morale est la caractéristique de la civilisation occidentale, avec la notion d’homme théorique et de décadence, la décadence signifiant une sorte de désorganisation des instincts. RÉFLEXIONS GÉNÉALOGIQUES SUR LA MORALE Au début de la Généalogie de la morale, Nietzsche s’interroge et exprime ses soupçons quant à l’origine de la morale. Nietzsche mène une réflexion sur la provenance de nos préjugés moraux, sur l’origine du mal, sur la préhistoire du Bien et du Mal. Nietzsche examine également la valeur de la pitié et de la morale de la pitié, des « valeurs » morales. Pour Nietzsche, l’origine de la morale se trouve dans les pulsions. Ce n’est pas celle qui est reconnue et qui la font provenir des idéaux. Ainsi Nietzsche soupçonne, s’interroge, se méfie de ce qui est établi officiellement. Le psychologue et le généalogiste qu’il est constate que les idéaux moraux sont des travestissements, pour mieux cacher une origine considérée comme honteuse (pudenda origo) – cette expression se trouve à plusieurs endroits dans l’œuvre de Nietzsche, par exemple dans Aurore. © Eric Blondel - Philopsis 2007 www.philopsis.fr 3 NIETZSCHE – PAR DELA BIEN ET MAL – COMMENTAIRE Il y a donc de quoi se cacher et non pas de se vanter. Les idéaux moraux ne sont pourtant pas descendus du ciel, ils n’existent pas comme le “Bien en soi” platonicien. Ils n’ont pas de fondement dans “l’être”, dans la “vérité absolue”. Les “idéaux moraux” ne sont que, ne sont seulement que (expression que Nietzsche emploie souvent) le travestissement de certains jeux pulsionnels et donc de certaines typologies, de certains types d’organisation des pulsions entre elles. Ces types d’organisation peuvent s’exprimer par des antinomies comme fort/faible, riche/pauvre, plein/creux, être/néant. On retrouve une trace de ce “tic” de langage : ne… que chez La Rochefoucauld. Ainsi, pour ce “moraliste”, « les vertus ne sont que » l’expression de l’Amour-propre, des déguisements du vice… Donc, pour Nietzsche : – il y a soupçon quant à l’origine véritable de la morale. Il conteste l’origine suprasensible, intellectuelle, ontologique, absolue, métaphysique de la morale. – il y a nécessité de traquer le travestissement des pulsions. Il découvre et interprète ce qui est caché. On remonte ainsi de l’idéal explicite à l’origine implicite de cet idéal. – il y a exigence de trouver une théorie des pulsions qui sont à l’origine des idéaux. La généalogie, c’est l’opération de soupçon, de retraçage de l’origine pulsionnelle des idéaux. Nietzsche se propose donc de faire l’histoire naturelle de la morale, la chimie des sentiments moraux. Cette démarche se trouve dans Humain trop humain [1re et 2e partie], dans Aurore, dans le Gai Savoir. Dans Humain trop humain, Nietzsche utilise des hypothèses pour déceler ce que sont la civilisation, les faits et les idéaux de civilisation. Qu’est-ce que la morale, l’art, la société, les idéaux sociaux, les institutions ? Il s’essaie à cette recherche sous forme d’essais sur la culture, la justice. En ce qui concerne la justice, Nietzsche s’y intéresse à la fois du point de vue individuel, social, collectif, institutionnel mais aussi au sens cosmologique, cosmique du terme tel que débattu par exemple dans la tragédie eschylienne. Nietzsche s’intéresse à de nombreux faits, même minimes, de civilisation : institutions, relations institutionnalisées, style des auteurs. Il parle du mariage, des enfants, des relations amicales, amoureuses, sexuelles, de l’oppression, de maîtrise, etc. en particulier de la situation des femmes, plus particulièrement des femmes écrivains… Nietzsche, donc, aborde la culture, la civilisation par les phénomènes. Il « coud son fil rouge », selon l’expression allemande, pour © Eric Blondel - Philopsis 2007 www.philopsis.fr 4 NIETZSCHE – PAR DELA BIEN ET MAL – COMMENTAIRE rechercher une cohérence dans ses analyses. Et il trouve une cohésion entre les phénomènes de civilisation (mariage, loi, justice, femmes) et les types pulsionnels, par exemple les relations entre les pulsions de cruauté, de vengeance et la conscience morale, le respect, le mépris, la haine… La féminité, la justice, le droit, le travail, l’État… prennent leur sens en fonction de leur origine. Cette origine est toujours dans l’immanence et non dans la transcendance comme l’affirment Platon et les autres métaphysiciens. Par exemple, le mariage n’est pas l’union de deux âmes, mais « n’est que » un système de rapports de violence, codés, une forme de guerre des sexes. Voici un texte révélateur de la façon dont Nietzsche aborde les phénomènes de civilisation. Il montre ici que les femmes sont plus méchantes que les hommes. […] la femme accomplie déchire quand elle aime… […] Ah, quel petit fauve dangereux, insinuant, souterrain ! […] La femme est indiciblement plus méchante que l’homme, et aussi plus intelligente ; la bonté chez la femme est déjà une forme de dégénérescence… Plus la femme est femme, plus elle se défend avec bec et ongles contre les droits en tant que tels (les droits politiques établissant l’égalité homme-femme) : l’état de nature, l’éternelle guerre entre les sexes, lui confère, et de loin, la première place. […] L’amour – dans ses moyens, la guerre, en son principe la haine à mort entre les sexes. […] – « Émancipation de la femme » – c’est la haine instinctive de la femme ratée, c’est-à-dire inapte à enfanter, contre la femme réussie, – et le combat contre l’« homme » n’est jamais que moyen (on reconnaît l’expression « ne… que »), prétexte, tactique. En voulant s’exhausser, elles, sous l’appellation de « femme en soi », de « femme supérieure », d’« idéaliste femme », elles veulent rabaisser le niveau général de la femme. […] Au fond, les émancipées sont les anarchistes dans l’univers de l’« Éternel féminin », les laissées-pour- compte dont l’instinct, tout au fond, est la vengeance… Toute une espèce du plus pernicieux « idéalisme » […] a pour but d’empoisonner la bonne conscience, la nature dans l’amour sexuel… […] sous le nom de vice (“vice” est souligné) je combats toute espèce de contre-nature […] d’idéalisme. 1 Nietzsche s’intéresse aux détails de la question avant d’émettre une hypothèse. Et tous les détails concourent à une unité d’ensemble, qui montre que les valeurs morales et idéales qui gouvernent la conduite des individus ou des groupes dans une société n’ont pas de fondement métaphysique, ne sont pas dotés d’une éternité abstraite, théorique et philosophiquement fondée, mais sont tout simplement des expressions de la réalité sociale, de l’histoire des sociétés, de la psychologie des typologies pulsionnelles. Les idéaux ne sont que le travestissement abstrait et nihiliste de réalités qui se cachent. Ils ne sont qu’une sorte d’écran pour que les pulsions se donnent libre cours. Ils ne sont que ces pulsions. Les idéaux ne sont qu’une sorte d’apparence illusoire et mensongère, la fameuse problématique qui prolonge celle de la morale. 1 Ecce homo, troisième partie « Pourquoi j’écris de si bons livres », § 5, trad. Éric Blondel, éd. GF Flammarion, Paris 1992, pp. 98 à 100. © Eric Blondel - Philopsis 2007 www.philopsis.fr 5 NIETZSCHE – PAR DELA BIEN ET MAL – COMMENTAIRE La morale se donne comme une religion, comme l’invention d’une transcendance. La morale est une théologie qui prétend garantir dans l’être ce qui n’est que néant, apparence, illusion, mensonge, tricherie, erreur philologique. © Eric Blondel - Philopsis 2007 www.philopsis.fr 6 NIETZSCHE – PAR DELA BIEN ET MAL – COMMENTAIRE ÉTUDE DU § 186 DE PAR-DELÀ BIEN ET MAL LE TEXTE Nous renvoyons ici uploads/Philosophie/ nietzsche-par-dela-bien-et-mal-eric-blondel.pdf

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