A propos de la Futuwwa 8 novembre 2014 Omar Benaïssa “Il est parmi les croyants

A propos de la Futuwwa 8 novembre 2014 Omar Benaïssa “Il est parmi les croyants de vrais hommes qui avérèrent les termes de leurs actes avec Dieu, d’autres qui accomplissent leur vœu, d’autres qui attendent, mais sans le moindre gauchissement.” Coran, sourate 33, verset 23. Considérée dans l’absolu, la futuwwa, en tant qu’état de perfection humaine, est un phénomène universel. En Occident, La généalogie de la morale de Nietzsche, en offre la meilleure illustration philosophique possible, en tant que comportement d’excellence ne puisant sa justification que dans la nature même de l’homme, et sans référence à quelque doctrine que ce soit. L’homme en tant qu’homme, en tant que dignité essentielle. C’est cette universalité qui explique aussi pourquoi dans son traité de Futuwwa, Sulami ne s’est pas attardé sur les devoirs spécifiques de la religion musulmane, pour n’aborder que les actes qui font de l’homme qu’il mérite justement le nom d’homme. Abū ‘Abd al-Raḥmān al-Sulamī (325/937-412/1021) veut nous dire que si les qualités qu’il va définir n’existent pas en nous, la qualité de notre foi musulmane s’en ressentirait. C’est d’ailleurs dans ce contexte aussi qu’il faudrait comprendre la parole du Prophète : « Les meilleurs d’entre vous avant l’islam sont les meilleurs d’entre vous dans l’islam ». Il veut dire que ceux d’entre vous qui avaient déjà les bonnes qualités d’avant l’islam n’en seront que plus agrandis en les complétant avec l’adhésion de tout cœur à la nouvelle foi que fut l’islam. Ils étaient musulmans sans le savoir. Le fatâ est l’homme qui agit par delà le bien et le mal, qui n’est motivé que par la nécessité du cœur et de l’intellect, qui agit tout simplement parce que ce n’est qu’ainsi que les choses doivent être faites. Et là aussi, on peut penser que c’est l’intention qu’exprime le hadith selon lequel « Dieu fera triompher cette religion par des peuples dépourvus de morale ». On peut mal imaginer en effet que le Bien soit défendu par le mal. Il ne peut donc s’agir que des gens dont les motivations se situent hors du champ de la morale et des conventions sociales connues, et qui agissent par un commandement supérieur auxquels ils obéissent en toute exclusivité. Ce sont des hommes au-dessus de la morale, dans le sens positif et bien évidemment pas des immoraux. Ils sont nés bons, dans la fitra, et n’ont pas besoin qu’on leur enseigne la morale. Je ne veux pas apprendre la grammaire de Sibuyeh Mais la grammaire de Dieu Ni le droit d’abû Hanifa, Mais le droit de Dieu… (Rûmi) C’est ce qui explique aussi pourquoi les maitres soufis, qui sont généralement des poètes hautement inspirés, ont fait généralement des personnages anticonformistes et antisociaux les images de l’homme libre, du fatâ qui n’obéit qu’à la Loi de l’Amour. Aime et fais ce que tu veux. Parce que l’amour fixe les limites de la volonté. Un amoureux ne peut vouloir que le bien. Les je-m’enfoutistes, les maffieux, les robin-des-bois, les fauteurs de troubles, tratguiya, la3baz, al-‘ayyarin, al-runûd, al-shuttâr, al-awbâsh, fityân, antisociaux, anticonformistes, et autres marginaux, etc. Tous ceux qui en apparence, sont en infraction à l’égard de la norme sociale, font du mal en agissant en fauteurs de troubles ou en prenant en dérision les « vérités » officielles. Ils agissent par-delà le bien et le mal, par nécessité. Comme Khezr avec Mûsâ (S). Ils offrent de belles images pour le soufisme qui cherche à exprimer des réalités positives, par des métaphoriques qui peuvent choquer au premier abord, autrement que par le langage de la morale. Ainsi l’alcoolique, l’homme qui tombe dans l’ivresse au détriment de sa santé, devient un excellent exemple pour exprimer l’ivresse prééternelle que provoque l’attaque de l’Amour. J’ai été ivre avant que ne fut créée la vigne (min qabl an yukhlaqa al-karamu ) a dit Ibn al-Fâridh Etre croyant, c’est déjà beaucoup, mais parmi eux, il en est qui sont spéciaux, ce sont les Hommes qui tiennent ferme dans leur engagement et ne varient jamais…. Ce sont les héros qui ont vaincu leur doute, une bonne fois pour toutes, qui n’ont cure de ce que peuvent penser les autres à leur endroit. Plaire seulement à leur Bien- aimé, et n’obéir qu’à Lui. Ils représentent la catégorie la plus élevée des spirituels, des croyants. On les appelle les hommes du blâme. Ils se cachent justement derrière le voile de la normalité. Ils se comportent en hommes ordinaires. Ils se nourrissent et ils fréquentent les marchés, comme dit le Coran à propos du Prophète. On les prendrait pour n’importe parmi les gens ordinaires. Au début de l’islam, on connaissait le fatâ. Ce mot désignait une réalité, une personne physique au comportement bien identifié, ayant les qualités morales supérieures, exceptionnelles, au-dessus de la morale sociale moyenne. Le mot désigne donc une réalité psychologique incarnée en acte en chair et en os. Ce pourrait être le héro, ou le champion, même si les deux mots évoquent d’abord des qualités physiques de force, d’endurance, alors que le fatâ met aussi l‘accent plus sur les qualités humaines et morales. Si ce mot s’applique donc à des personnes déterminées, on en savait le sens, la définition, et on ne pouvait l’attribuer qu’à ceux chez qui les qualités existent bel et bien, vérifiées par les actes et les faits d’armes, par exemple. Le fatâ est donc un héros, pas un héros au combat seulement, mais un homme ayant un sens aigu de l’honneur, un esprit chevaleresque, une générosité, et un sens de l’humanité toujours éveillé. Ce qui fait le fatâ, c’est d’abord cette qualité intrinsèque. Peu importe qu’il sorte vainqueur du combat, l’essentiel est qu’il ne craigne pas de défendre son honneur ou l’honneur de celui dont il se porte comme protecteur, ou de se porter au secours de l’orphelin, du faible ou du voyageur. « Le modèle semi- légendaire en était, dans la vieille société arabe, le prince Hâtim al-Tâ’î, mais dans l’Islam, le grandissement progressif de la figure de ‘Ali a fait voir en lui le fatâ par excellence, ce qu’exprime le dicton ancien lâ fatâ illâ ‘Alî. » (EI2, Futuwwa) L’antériorité historique et ontologique du fatà sur le héros religieux, s’incarne dans une même personne, en l’occurrence celle du Prophète Ibrahim (Abraham), qui est appelé ainsi par ses propres compatriotes, qui avaient donc perçu en lui des qualités humaines exceptionnelles. Dans la vie du Prophète de l’islam (S) également, nous savons qu’il appartenait à un pacte mecquois notoire appelé le hilf al-fuzûl, pacte des vertueux, dont les membres s’engageaient à défendre les faibles, les femmes et les étrangers de passage. Plus tard le Prophète dira que ce fut l’une des rares choses datant d’avant sa mission prophétique dont il sera toujours fier. On voit ainsi que le fatà est un titre prestigieux qui se mérite par la bravoure et le renoncement à soi. Ce type de héros finit par rentrer dans la légende. Il fait partie des héros de la société, des parangons sociaux que l’on donne en exemple à la jeune, et dont on raconte les hauts faits de génération en génération dans l’espoir de les voir revivifiés, réincarnés par d’autres personnes issus de la même société. Toute société a besoin de héros, réels ou fabriqués. Très tôt dans l’islam apparaissent les premiers héros, à la bataille de Badr où toutes les qualités individuelles de chacun des combattants seront mises à l’épreuve dans ce combat décisif. Les héros sont alors Hamza et Ali pour ne citer que les plus connus. Mais le mot fatâ n'est pas le seul, il est employé, comme le fait le Coran, à côté d'autres mots ayant la même signification comme rijâl qui figure dans le verset cité en début d'article, ou encore dans la sourate al-Nur, verset 37, rijalun lâ tulhihim tijaratun wa lâ bay'un 'an dhikri Allah... Pour Ibn Arabî, le pluriel rijâl désigne ici la virilité spirituelle, et pas seulement les individus de sexe masculin, et ce vocable inclut donc les femmes. Les fityân feront leur apparition tout au long de l’histoire de l’islam, marginaux, asociaux, connus ou ignorés, vivant dans des cités ou dans les campagnes. Mais pendant l’époque de splendeur, ils seront tenus pour quantité négligeable, déconsidérés, incompris en tout cas non écoutés. Une sorte d’ingratitude sociologique. Lorsque la richesse matérielle devient manifeste la richesse spirituelle se cache, se retire du monde. Quand se feront sentir clairement les signes de faiblesse, la société musulmane cherchera dans tous les recoins les derniers carrés de résistance de façon à se réarmer face aux nouveaux défis. C’est la raison pour laquelle, ce sera un grand maitre spirituel au 13ème siècle (7ème siècle de l’hégire), Abû Hafs Sohrawardi, le célèbre auteur de ‘Awârif al-ma’ârif, qui sera à l’origine de l’initiative de redonner à la société le modèle de la grandeur individuelle pour réarmer psychologiquement la société musulmane fatiguée, épuisée par des siècles de conflits internes qui ont fini par lui faire perdre ses repères. Une société sans héros est impossible. Quand le calife abbasside al-Nâsir li-Dîn Allah (570 – 620/1181 -1223) recourt uploads/Philosophie/ omar-benissa-a-propos-de-la-futuwwa 1 .pdf

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