205 Orientation lacanienne III, 4 Jacques-Alain Miller Quinzième séance du Cour
205 Orientation lacanienne III, 4 Jacques-Alain Miller Quinzième séance du Cours (mercredi 3 avril 2002) XV Je ne sais pas ce qu’il en est pour vous, mais, en ce qui me concerne, je trouve plutôt inspirant de voir s’agiter nos collègues qui veulent bien nous en faire part dans les textes que nous déchiffrons et se mettre en scène. A vrai dire, ils ne peuvent pas faire tellement autre chose étant donné que le fondement théorique de leur action n’est pas ce qui les retient en premier lieu, et ils sont conduits de ce fait, pour exposer ce qu’ils font de la psychanalyse, à se mettre en scène. Pliable medium, c’est le mot de Marion Milner qu’a rappelé Éric Laurent la dernière fois et dont elle qualifie sa position dans la cure - un médium malléable -, sa p osition et à vrai dire son être même mis à la disposition du patient. Ce mot, il est tentant de le déplacer pour en désigner la psychanalyse elle-même. Depuis au moins un demi-siècle, elle s’est avérée en effet a pliable medium. C’est au point que nous ne reculons pas, au moins à titre expérimental, de la mettre au pluriel, alors même que sa frontière d’avec la psychothérapie, celle qu’elle inspirerait, sa frontière apparaît toujours plus poreuse. C’est la question, celle du pliable medium, qui sans doute motive la recherche de ce séminaire cette année, et c’est une question qui est aussi un souci. La différenciation croissante qu’a connue la psychanalyse depuis la mort de Freud, et donc plus précisément depuis un demi-siècle, n’est pas sans incidence sur notre pratique à nous de la psychanalyse. D’abord, parce que la dynamique même de cette différenciation tend - nous en avons vu des traces, des prodromes - à réinclure Lacan, son enseignement, au moins des morceaux de son enseignement, dans le mouvement psychanalytique majoritaire, mais surtout elle obligera les lacaniens, les adeptes de la pratique lacanienne, à redéfinir les principes de leur pratique au sein de cet ensemble chaotique, en dispersion, que l’on appelle encore le mouvement psychanalytique. Cela suppose de sortir d’un bien entendu que partagent les mêmes, la communauté comme nous aimons dire, et peut-être trop aimons-nous le dire. Or, redéfinir les principes de la pratique lacanienne de la psychanalyse dans ce contexte, dans ce qui sera ce contexte, n’est pas simple. D’abord parce que l’enseignement de Lacan est à transformation, comme vous savez. C’est un enseignement ouvert, animé d’une remise en question constante, qui a obéi à la poussée d’un frayage, comme disait Lacan. Il y a donc différentes cuvées. Le lacanien 1953 n’est pas le lacanien 1958, encore différent du lacanien 64, 67 et la suite, et on sait que cela a pu se traduire, dans le regroupement des psychanalystes, par différentes scissions, difficultés, malaises, qui ont scandé ces transformations, de telle sorte que cuber l’affaire pour dégager les principes de la pratique lacanienne de la psychanalyse paraît une entreprise spécialement ardue. Sans doute, ce qui fait contraste avec ces transformations, c’est la permanence d’un vocabulaire, dirons- nous. Et si être lacanien c’est l’utiliser, il faut bien dire que ça ne va pas loin. Resterait alors, faute de mieux, la durée de la séance et la permission de la faire variable et courte. Eh bien, il me semble que ce que nous avons déjà d éfriché, un tout petit chemin de la littérature analytique du demi-siècle, est déjà de nature à nous permettre de commencer un examen critique de nos principes, voire d’ébaucher leur construction par J.-A. MILLER, Orientation lacanienne III, 4 - Cours n°15 3/04/2002 - 206 206 différence avec ce que nos collègues nous amènent de ce qu’ils font. Nous avons la dernière fois pris comme repère l’année 1951 qui a vu paraître simultanément le texte de Paula Heimann à propos du contre- transfert et celui de Lacan qui, tel que je l’ai présenté, semblait lui répondre, “ Intervention sur le transfert ”. Je peux y ajouter un autre texte de la même année - coïncidence, mais qui vérifie plutôt cette scansion -, celui de Heinz Hartmann intitulé “ Technical Implications of Egopsychology ”, dans son recueil que j’avais jadis utilisé ici, Essays of Egopsychology. Article qui donne les implications techniques de son article théorique de l’année précédente, “ Comments on the Psychoanalytical Theory of the Ego ”. Pour ne pas m’attarder sur ce ternaire, qui est pourtant hautement significatif de la chronologie, je sortirai tout de suite, pour l’ordonner, un schéma mnémotechnique utilisant les symboles de Lacan. S I R Je place Paula Heimann en grand I, dans la mesure où, en introduisant le contre-transfert de l’analyste comme un instrument de recherche essentielle pour accéder à l’inconscient du patient, elle ne peut faire qu’elle ne symétrise décidément la position de l’analyste et celle de l’analysant, et pour nous, cette façon d’attraper la psychanalyse, de structurer l’expérience analytique, parcourt les illuminations et les impasses de la relation duelle a-a’. L’inconscient de l’analyste est supposé comprendre l’inconscient du patient. Elle dit understand et elle nous assure qu’il y a un understanding profond, dont elle ne donne aucun commentaire supplémentaire, mais qu’il émerge au niveau émotionnel. Elle propose donc, comme instrument de ce qui se cherche dans l’expérience analytique, ce que l’on peut appeler une compréhension émotionnelle, qui va jusqu’à une translation des affects du patient à l’analyste. Ce qui donnera, dans le développement que connaîtra cet apport, cet idéal de coïncidence des deux, dont nous avons vu les derniers surgeons en 1999, en 2001, avec les textes que nous avons eus - Éric Laurent en a la pratique, moi j’ai plus de mérite parce que j’ai moins la pratique - , que nous sommes allés chercher et vérifier qu’on arrive en effet à un idéal de coïncidence qui serait la condition de l’interprétation juste. Nous pourrions déjà, sans forcer les choses, dégager des principes de la pratique lacanienne par différence avec cette façon de faire. Les principes, ce serait de proscrire tout ce dont il est question dans cet article et tout ce à quoi il ouvre la voie. Se garder de toute compréhension émotionnelle. S’interdire, bloquer la translation des affects et les tenir pour des leurres imaginaires qui ne contribuent en rien à l’avancée, au progrès de l’expérience. Il faut dire que leur blocage du côté de l’analyste sans doute n’est pas sans retentissement du côté de l’analysant. Le caractère d’encouragement à l’émotion que cette pratique a comme effet n’a pas échappé à un certain nombre de ceux qui étaient pris. Un Winnicott le dit très franchement à sa façon. Il explique à quel point, dans certains cas au moins, il est nécessaire d’obtenir une régression très profonde du patient, recroquevillé sur le divan, et qu’il faut à ce moment-là faire preuve d’un souci, d’un concern extrême pour l’en tirer. Il dit : “ Je sais bien que des collègues disent que j’aime beaucoup la régression des patients et que c’est pourquoi ils s’exécutent de cette façon-là au cours de l’expérience. ” J.-A. MILLER, Orientation lacanienne III, 4 - Cours n°15 3/04/2002 - 207 207 Il n’échappe pas à ces praticiens des phénomènes que nous rapportons en effet à la relation duelle Et là-dessus, qu’il s’agisse de 1953 ou de 1979, il me semble que nous trouverions l’orientation lacanienne invariable sur l’extraction hors de cette dimension et de cette pratique et de ces inductions. Laissons ça de côté. En R, qui n’est pas le grand R de Margaret Little, je place Heinz Hartmann, le phénix, l’oracle de l’Egopsychology, dans toute la fraîcheur de l’orthodoxie qu’il était en train d’établir pour une vingtaine d’années et davantage aux États-Unis. Elle n’est pas aujourd’hui invalidée, mais reformulée, enrichie. C’est un texte à sa façon inaugural. Ce grand R, c’est l’initiale du mot réalité, qui est le maître mot de l’Egopsychology, et qui est emprunté à une lecture sommaire du principe de réalité freudien que Hartmann a spécialement distingué puisqu’il lui a consacré un article qui s’appelle “ Note sur le principe de réalité ”, en 1956, et qui situe bien la position de l’analyste dans la cure, c’est-à-dire dans la façon dont, dans l’Egopsychology, on structure l’expérience et on donne comme mission à l’analyste d’y représenter le principe de réalité, alors que l’on peut dire que le patient est livré à tous les avatars du principe de plaisir. La doctrine, la finalité de la cure, si l’on veut la simplifier, c’est d’accomplir ce qui dans le texte de Freud de 1911, la “ Formulation sur les deux principes du fonctionnement psychique ” - on l’a aussi traduit, pour faire plus exact, “ de l’événementialité psychique ”, ou “ du cours des événements psychiques ” -, la finalité de la cure dans l’Egopsychology, si l’on veut résumer, c’est d’accomplir la substitution du principe de plaisir par le principe de réalité. C’est d’accomplir ce que nous pouvons écrire à notre façon de métaphore cette substitution. PR PP Cela suppose d’achever dans celui que nous n’appellerons pas le sujet mais la personne, la personnalité, uploads/Philosophie/ orientation-lacanienne-iii-4-jacques-alain-miller-cours-1-15 1 .pdf
Documents similaires
-
25
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Apv 13, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
- Langue French
- Taille du fichier 0.0686MB