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Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : erudit@umontreal.ca Article Kimura Bin Laval théologique et philosophique, vol. 64, n° 2, 2008, p. 377-385. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : URI: http://id.erudit.org/iderudit/019505ar DOI: 10.7202/019505ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI http://www.erudit.org/apropos/utilisation.html Document téléchargé le 22 août 2014 06:07 « Vers une psychopathologie en première personne » Laval théologique et philosophique, 64, 2 (juin 2008) : 377-385 377 VERS UNE PSYCHOPATHOLOGIE EN PREMIÈRE PERSONNE Kimura Bin Traduit de l’anglais par Joël Bouderlique Bretagne RÉSUMÉ : Chef de file de la réflexion psychiatrique au Japon, le Professeur Kimura Bin s’oppose dans cet article aux réductionnismes physicalistes en découvrant au cœur de la subjectivité une articulation complexe entre le personnel et l’impersonnel qui simultanément confirme la con- ception spirituelle zen de la constitution de l’individualité et donne une base à la fondation d’une science psychiatrique véritable. Il démontre que l’orientation donnée par les sciences cognitives et la philosophie analytique conduit à ignorer la différence entre réalité et actualité, et occulte ainsi le fait que chaque existant est unique, manquant de la sorte à la fois son unité et son unicité. Pour retrouver l’originalité propre à chacun, Kimura propose d’en retrouver l’originarité, esquissée dans le concept heideggérien de Befindlichkeit, et d’élargir la subjec- tivité au sens proposé par Victor von Weizsäcker en tant que rencontre avec le milieu. Il con- clut cette étude phénoménologique en proposant de fonder une psychopathologie en première personne, c’est-à-dire d’introduire la subjectivité dans la science psychiatrique, seule voie pour comprendre l’existence et résoudre l’énigme de la schizophrénie. ABSTRACT : A leader of psychiatric thought in Japan, Professor Kimura Bin criticizes in this arti- cle reductionisms of the physicalist kind. He reveals, at the heart of subjectivity, a complex ar- ticulation between the personal and the impersonal, which confirms at the same time the spiri- tual conception of Zen as to the constitution of the individual, and gives a basis for the foundation of a true psychiatric science. He shows that the orientation imparted by the cogni- tive sciences and analytic philosophy leads one to ignore the difference between reality and ac- tuality, eclipsing the fact that each existent is unique and missing thus both its unity and its uniqueness. In order to rediscover the originality proper to each human being, Kimura proposes to rediscover its “originarity”, outlined in the Heideggerian concept of Befindlich- keit, and to broaden subjectivity in the sense set forth by Victor von Weizsäcker as an encoun- ter with the milieu. He concludes this phenomenological study by proposing to found a psy- chopathology at the first person, in other words to introduce subjectivity into psychiatric science, as the only way to understand existence and to resolve the enigma of schizophrenia. ______________________ ans la mesure où, en tant que branche de la psychiatrie, la psychopathologie est chargée de la recherche des conditions de fonctionnement pathologique de l’es- prit, il lui est nécessaire de déterminer ce que signifie au juste ce terme d’esprit. Alors que la psychopathologie classique avait pour coutume de se fonder sur le dualisme cartésien, les récentes études de psychiatrie reposent explicitement sur un matérialisme et un réductionnisme monistes qui relèvent de l’évidente orientation D KIMURA BIN 378 moderne des sciences cognitives et de la philosophie analytique. De ce point de vue, l’esprit n’est qu’un ensemble de fonctions cérébrales. S’il en est ainsi la psychiatrie en tant que discipline indépendante des neurosciences n’est plus possible, et la psy- chopathologie de style classique n’est plus à envisager que comme une technique de cartographie démodée qui fût utilisée pour décrire minutieusement et tracer précisé- ment les expériences pathologiques et les comportements des patients en psychiatrie. Il y a toutefois encore, au sein même de l’actuelle philosophie des sciences ten- dant au réductionnisme, quelques auteurs dualistes qui tiennent l’esprit pour une « réalité autre » non réductible aux processus matérialistes neuronaux. D.J. Chal- mers1, par exemple, différencie deux concepts distincts d’esprit : l’un en tant que conscience psychologique et l’autre en tant que conscience phénoménale. Selon lui, alors que la première est réductible à une explication reposant sur des propriétés physiques du cerveau, la seconde est indépendante de ces propriétés. La conscience psychologique est le concept de l’esprit en tant que fondement causal ou explicatif des comportements comme la prise de conscience, l’éveil, l’introspection, la resti- tution, la conscience de soi, l’attention, le contrôle volontaire, la connaissance, etc. La conscience phénoménale est par contre caractérisée par la qualité subjective de l’expérience, que l’on appelle « qualia ». Un être est phénoménalement conscient s’il y a quelque chose qui est tel qu’être cet être. Cette formule de « quelque chose qui est tel qu’être cet être » renvoie à un célè- bre article de Thomas Nagel intitulé « Comment est-ce d’être une chauve-souris2 ? » Dans son article, Nagel se pose initialement la question suivante : « Fondamentale- ment un organisme a des états mentaux conscients si et seulement s’il y a quelque chose qui est tel qu’être cet organisme — quelque chose de tel pour l’organisme3 ». Peu importe comment un être humain peut imaginer l’expérience possible d’une chauve-souris. « Dans la mesure où je peux l’imaginer, cela me dit seulement com- ment ce serait pour moi de me comporter comme une chauve-souris se comporte. Mais là n’est pas la question. Je veux savoir comment c’est pour une chauve-souris d’être une chauve-souris4 ». En fait, il est en quête d’une expérience subjective, faite par un être vivant en pure « première personne », qui paraît très proche de la Befind- lichkeit allemande d’un être qui sich befindet, c’est-à-dire de la qualité de l’expé- rience tonale correspondante à avoir ou à être dans un tel mode d’être. Cette qualité subjective, en première personne, de l’expérience ne peut être expli- quée par aucune analyse réductrice, mais quiconque en dénierait l’existence à cause de son impossibilité à être cernée du point de vue d’une tierce personne serait mani- festement dans l’erreur dans la mesure où je sais, de mon propre point de vue en première personne, qu’il y a quelque chose qui est tel qu’être moi-même. C’est ce 1. D.J. CHALMERS, « The Conscious Mind », dans Search of a Fundamental Theory, New York, Oxford, Ox- ford University Press, 1996. 2. T. NAGEL, « What is it like to be a bat ? », dans ID., Mortal Questions, New York, Cambridge University Press, 1979. 3. Ibid., p. 166. 4. Ibid., p. 169. VERS UNE PSYCHOPATHOLOGIE EN PREMIÈRE PERSONNE 379 « quelque chose qui est tel qu’être soi-même » que Chalmers nomme la qualité sub- jective de l’expérience ou « qualia ». Les qualia, habituellement, évoquent les divers sentiments qui accompagnent les perceptions d’objets extérieurs. Par exemple, si le rouge est interprété comme une information que l’on peut traiter optiquement à l’in- térieur d’une certaine gamme d’ondes de lumière, pour chaque sujet orthochroma- toptique, de même que pour des robots équipés de systèmes de reconnaissance opti- que informatisés, cette couleur est reconnaissable comme une seule et même réalité objective. Mais les sentiments subjectifs, les qualia, qui sont, en fait, éprouvés ici et maintenant, peuvent varier considérablement en fonction des circonstances, pas seu- lement du fait des sensibilités individuelles spécifiques, mais aussi en raison des con- ditions particulières dans lesquelles la couleur rouge sera présentée (feux de signa- lisation, pomme, sang, et ainsi de suite…). Par conséquent, les qualia ne sont pas une réalité (Realität) stable accessible identiquement en fonction de la détention de cer- tains mécanismes physiques, mais plutôt une actualité (Wirklichkeit) qui se présente ici et maintenant entre un sujet unique et son monde, à leur point de rencontre. Il y a un trouble psychiatrique dans lequel les qualia disparaissent à divers degrés. Pour les patients victimes de cette altération, l’ensemble du monde apparaît dépourvu de sa réalité, déréalisé. On est sûr qu’ils sont toujours capables de percevoir correcte- ment leur environnement : ils savent qu’il y a devant eux une table de telle ou telle couleur et de telle et telle forme. Néanmoins, ils ne peuvent pas vraiment ressentir l’existence de la table, sa présence de fait ici et maintenant. Une déréalisation, ou plus précisément une dé-actualisation est habituellement accompagnée d’une perte de « sienneté » (selfhood), d’une perte de personnalité, de dépersonnalisation. Dans le développement qui suit, nous nous attelons à traiter de la relation entre ces deux expériences pathologiques des mondes extérieur et intérieur. Dans mon article en allemand sur la phénoménologie de la dépersonnalisation, « Zur Phänomenologie der Depersonalisation5 », publié en uploads/Philosophie/kimura-bin-vers-une-psychopathologie-en-premiere-personne.pdf
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- Publié le Dec 25, 2021
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