<< QUE SAIS-JE ? >> LE POINT DES CONNAISSANCES ACTUELLES N° 587 par Paul GRENET
<< QUE SAIS-JE ? >> LE POINT DES CONNAISSANCES ACTUELLES N° 587 par Paul GRENET Professeur à l'Institut Oalholiqm de Paris D~ur ès Lettres PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE 108, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, PARIS 1964 VINGT-HUITIÈME JIILLE 1re édition 4e - DÉPOT LÉGAL • • • • • • • • •• •• 3e trimestre 1953 1er - 1964 TOUS DROITS de traduction. de reproduction et d•adaptation réservés pour tous pays © 1953. Presses Unit1erairairu de France INTRODUCTION On entendra par thomisme, au cours du présent exposé, la philosophie de saint Thomas d'Aquin, à l'exclusion de l'exégèse scripturaire, de la théologie sacrée, et de la mystique : même, les limites de la collection nous obligent à nous en tenir à la partie essentielle, qui est aussi la plus difficile, de sa philo- sophie : la partie spéculative (philosophie de la nature et métaphysique). Nous espérons seulement avoir préparé le lecteur à étudier par lui-même les textes où saint Thomas développe sa philosophie pratique (morale et politique). Bien que l'autorité de saint Thomas comme moraliste n'ait jamais diminué, alors même que sa métaphysique était oubliée, il reste que ce qu'il y a d'original dans sa morale n'est que la conséquence de sa métaphysique. Si donc nous voulons aller à l'essentiel, c'est à sa métaphysique qu'il faut aller, sans oublier la physique qui la prépare. PREMI:8RE PARTIE PHYSIQUE OU PHILOSOPHIE DE LA NATURE· Le problème fondamental de la philosophie est le problème de l'Un et du Multiple. Il se présente sous deux formes, l'une dynamique, l'autre statique. Sous sa forme dynamique, c'est le problème du Devenir ; sous sa forme statique, c'est le problème de la Diver- sité. Le problème du Devenir fait l'objet de ce que les Anciens nommaient la « Physique », et que nous appellerons aujourd'hui la « Philosophie de la J).a- ture ». La physique expéri.tµentale des modernes a rendu caduque la physique expérimentale d'Aristote à laquelle saint Thomas n'avait aucune. raison de rien changer. Les thomistes contemporains ont, de- puis Auguste Comte, des raisons décisives de dis- cerner la physique philosophique de la physique expérimentale. J. Maritain a montré ( La philosophie de la nature et Les degrés du savoir) comment la pre- mière travaille sur le plan de l'intelligibilité de l'être, la seconde sur le plan de la description et de là mensuration des propriétés sensibles. 8 LE THOMISME CHAPITRE PREMIER LA COSMOLOGIE Doctrine générale de l'acte et de la puissance comme causes intrinsèques du deve11ir Le fait. - Tout, en ce monde corporel, est sujet à naître et à périr; et, une fois né, à varier. Certains changements restent extérieurs à l'être considéré, ils ne l'affectent pas en son intimité mais seulement dans ses relations spatiales avec les voisins : ce sont les changements de p!ace ( = CHANGEMENTS EXTRIN• SÈQUES}. D'autres changements affectent l'être en lui-même (= CHANGEMENTS INTRINSÈQUES), par,oi ces derniers, les uns sont superficiels, c'est-à-dire concernent les états ou manières d'être ; les autres sont profonds, c'est-à-dire atteignent l'identité même de l'être. Le problème. - Pour faire court, on peut admet• tre que le changement extrinsèque ne pose pas de problème. Mais le changement intrinsèque ? Un être se change en un autre être, et donc celui qui était cesse d'être et celui qui n'était pas commence d'être (changement profond); un être devient autre qu'il n'était (changement superficiel). Dans tous les cas, l'un, le même, le durable se scinde, se divise contre lui-même, et apparaît multiple, autre, éva- nouissant : le bébé jouffiu que représente cette photo est le même individu que ce vieillard ridé. Le même individu cela ne fait qu'un. Bébé et vieillard cela fait deux - et combien opposés ! Tout devenir réalise la même étonnante fusion de l'un et du mul- tiple. Etonnante : car, si le même-11n est bébé PllYSIQUE 9 jo-qffiu, comment peut-il être vieillard ridé. en étant resté le même que soi et 11n avec soi ? Les solutions extrêmes. - 1° Le mécanicisme. - • Le changement intrinsèque est impossible. En effet, la nouveauté est impossible. Car l'être nouveatJ devrait venir soit de l'être, soit du non-être; deux solutions également impossibles: d'une part, ce qui est déjà ne peut commencer d'être; d'autre part. avec rien on ne fait rien. Le nouveau vieillard ridé . ne peut sortir de l'ancien bébé joufflu que s'il y était déjà; mais alors il n'est pas nouveau. Et si l'ancien bébé joufflu ne contenait pas du tout le nouveau vieillard ridé, comment celui-ci a-t-il pu en sortir ? ( dilemme de Parménide.) Mais le changement ex- trinsèque est possible : supposons l'être éternelle- ment réparti en corpuscules séparés par du vide ( = absence de corps). Les corpuscules peuvent, dans le vide, modifier leurs relations spatiales. Mais il est bien entendu qu'ils ne sont en eux-mêmes suscepti- bles d'aucune modification : notamment ils sont insécables ou indivisibles (en grec : a-tomes), car si un corpuscule se brisait en deux, d'où viendraient les deux nouveaux ? S'ils préexistaient dans l'an- cien, celui-ci n'existait pas vraiment, c'étaient eux qui existaient et ils ne sont pas nouveaux. Et s'ils ne préexistaient pas du tout, d'où sont-ils sortis? Et qu'est devenu l'ancien? (Démocrite). 2° Le mobilisme. - Le changement intrinsèque complet, constant, est la seule réalité. La réalité est mobilité. Exister, c'est changer. En effet exister, c'est durer, mais durer consiste à se mûrir, c'est-à- dire à se renouveler, à se re-créer. L'être n'a donc en . lui-même aucune fixité, auc11ne permanence, aucune identité ; il est pur devenir, pur jaillissement de nouveauté, pure action, pur changement de direc• tion à l'état Daisl3ant (Bergson). 10 LE THOMISME La solution aristotélicienne et thomiste. - Pour qu'110 bébé joufflu puisse se changer en vieillard ridé, il faut que l'être du premier se continue dans l'être du second, sans quoi il n'y aurait pas change- ment mais simple substitution. Mais il faut également que l'être du premier soit 11ne réelle absence du second, et réciproquement, sans quoi il n'y aurait pas changement mais permanence. Les de11x termes du devenir sont donc à la fois continus et opposés en tant qu'êtres. Dès lors il est impossible que leur être soit simple ou homogène, ou monobloc. Il faut que le premier étant posé, quelque chose du second le soit aussi, sans quoi pas de continuité ; mais en même temps il faut que le second en se posant nie le premier, sans quoi pas de changement. Ce n'est donc pas une théorie, ce n'est pas une explication, c'est une simple expression des faits que de dire : l'être qui va se changer en un autre (ou l'être en qui 11n autre vient de se changer) est composé. Composé de quoi ? Evidemment pas composé d'êtres! D'a- bord, parce qu'en général un composé ne peut être composé de réductions de lui-même (une maison _n'est pas composée de maisons); ensuite parce que dans notre cas, l'être qui serait présent dans les deux termes du changement serait permanent et non changeant, tandis que les deux termes du vrai changement se substituei:aient l'un à l'autre sans lien pour assurer leur continuité intrinsèque. Par consé- quent, l'être changeant est composé de réalités élémen- t • • t "t d 1 • A sues qui ne son 11n e re que ans eur union meme. Quelles sont ces deux réalités ? · La premièl.'e est permanente, en ce sens qu'elle est commune aux deux termes. La seconde n'est pré- sente qu'au moment et dans la mesure où existe le terme qu'elle forme (au sens le plus primitif du verbe former). PHYSIQUE 11 PBl' conséquent, l'élément permanent commun aux deux termes est de soi indifférent à être avec l'élément formateur du premier, et réellement priv6 de l'élément formateur du second. Mais surtout l'élé- ment permanent est réceptivité de l'élément forma• teur des termes. Réceptivité, ou capacité, qui ne signifie pas simple possibilité abstraite, conçue par l'esprit, mais bel et bien aptitude réelle et positive, expectante et anticipante, déjà posée. Traditionnellement, l'élément perwanent (qu'A· ristote appelait aussi substrat ou sujet) a gardé le nom aristotélicien d'être en puissance, ou plus briè- vement« puissance». L'élément formateur (qu'Aris- tote appelait << énergie » ou « entéléchie ») a reçu celui de<< f<>nn~ », ou celui plus général d' «acte» (qui ne doit pas évoquer nécessairement un déploiement d'activité, mais simplement la position ou la déter- mination d'un être). << Remarquez que telle chose peut exister, bien qu'elle p'existe pas. Telle autre, au contraire, existe. Ce qui peut être, on dit qu'il est en puissance, Ce qui est déjà, on dit qu'il est en acte» (Des principes de la nature, chap. 1, début).« Tout ce qui changr., selon quelque chose de soi demeure, et selon quel- que chose de soi passe. Exemple : ce qui change de blanc en noir demeure selon sa substance. Et ainsi, en tout ce qui change, on remarque une ceTtaine composition» (I, 9, 1) (1). Sens de la thèse thomiste. -Un grand nombre de penseurs modernes ont attaqué la notion de forme ou d'acte, ou du uploads/Philosophie/ paul-grenet-le-thomisme-presses-universitaires-de-france-1964-pdf.pdf
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- Publié le Mai 13, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
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