Philosopher Philosopher est un verbe dont le sens peut être ambigu : en un sens

Philosopher Philosopher est un verbe dont le sens peut être ambigu : en un sens propre, il désigne la réflexion sur les causes dans une conception générale du monde, comme résultat de l'amour de la connaissance. En sens dérivé, il peut dé- signer un art de bien vivre. Il désigne donc à la fois une représentation de type contemplative (connaissance pure) ou une activité plus engagée dans la vie proprement hu- maine. L'activité de philosopher concerne donc à la fois l'action morale et politique, et nos moyens de connaître. En quoi ceci est-il une spécificité de l'activité philoso- phique ? La conception du monde (l'acte de contempler) du philosophe se distingue-t-elle des autres conceptions du monde ? Deux questions proprement philosophiques peuvent servir de guides : • pourquoi philosopher ? • comment philosopher ? Le philosophe, par Rembrandt 1 Analyse d'expressions courantes Les mots « philosophie », « philosophe », « philoso- pher », ont chacun plusieurs sens, et ces sens dépendent d'un contexte. Ce contexte est défini par ce que fait la personne qui parle ou dont on parle, par l'objet de notre discours, ou par l'activité dans laquelle nous sommes en- gagés. Par exemple : • on dit que quelqu'un subit une épreuve avec philo- sophie ; « je suis philosophe », « il faut prendre les choses avec philosophie », etc. ; le mot est synonyme de calme, de contrôle de soi, et souvent de résigna- tion ; • mais être philosophe, c'est aussi avoir des opinions en faisant preuve d'esprit critique, en étant capable de penser par soi-même ; • le sens d'une œuvre exprime une certaine philoso- phie, une vision du monde (morale, scientifique, his- torique, etc.) ; • la philosophie d'un philosophe, par exemple sa doc- trine, son système d'idées cohérent ; • le cours de philosophie ; on désigne là la discipline avec son contenu défini par un programme. 2 Étude des notions et division de la philosophie 2.1 Apprend-on la philosophie ou à philo- sopher ? Sur quoi porte l'activité philosophique ? Les expressions courantes ne s’identifient sans doute pas toujours au sens propre de l'acte de philosopher, mais un contenu peut être dégagé, par exemple un objet qui forme la matière de la discipline appelée « philosophie. » Pourtant ces objets sont nombreux : l'homme, le monde, les moyens de la connaissance, l'action morale et politique. Toutes ces ma- tières à réflexion ont cependant ceci de commun qu'elles supposent un maniement d'idées, de notions, de concepts. Or ce maniement n'est certainement pas aléatoire, et on s’attend à ce que la philosophie soit quelque chose comme un art de raisonner, i.e. d'examiner, de réunir, de com- prendre, etc. des concepts, en suivant des règles strictes. C'est ainsi qu'une théorie est un ensemble de concepts rationnellement organisés. En philosophie, il existe plu- sieurs possibilités d'organisation des concepts, possibi- lités d'autant plus nombreuses que l'activité de la phi- losophie n'est pas limitée par un objet. L'ensemble des concepts peut par exemple être organisé d'après la di- vision grecque de la philosophie : la connaissance de la nature, ou physique, l'éthique et la logique, science du rai- sonnement, c'est-à-dire méthode du bon gouvernement de l'entendement. À ce titre, la logique structure la connaissance du monde et ordonne l'ensemble des notions de la philosophie morale. Ce troisième domaine peut être 1 2 2 ÉTUDE DES NOTIONS ET DIVISION DE LA PHILOSOPHIE aussi considéré comme une théorie de la connaissance. Cette division est parfois attribuée à Platon, mais elle n'est explicitement formulée qu'à partir du Stoïcisme. Une autre division, prenant en compte le fait que la physique n'est plus aujourd'hui une partie de la phi- losophie, consiste à distinguer seulement théorie de la connaissance et éthique. Mais il existe en réalité bien d'autres domaines, telles que l'esthétique, la philosophie politique, etc., qui ont pris une certaine autonomie au cours de l'histoire de la philosophie. En théorie, la philosophie couvre tous les domaines de la réalité, puisque son objet par excellence est la réalité même, physique et mentale (en ce sens, la philosophie est dite philosophie première ou métaphysique). Dans les faits, il n'y a qu'un nombre limité de concepts, dont la liste est évidemment toujours ouverte, et ce sont ces concepts qu'il faut étudier pour s’initier à la philosophie. Ils peuvent être étudié pour eux-mêmes (apprentissage de la pensée, de l'analyse, du raisonnement en général), ou liés à d'autres concepts avec lesquels ils forment un do- maine spécifique (morale, esthétique, etc.), ou encore sui- vant leur devenir historique (connaissance des systèmes des philosophes, histoire de la philosophie). Ainsi, l'étude des concepts d'une part, et, d'autre part, l'étude de la logique, forment une initiation complète à la philosophie, dont la finalité est de penser par soi-même : sapere aude. Si cela est juste, alors on peut comprendre pourquoi la philosophie ne s’apprend pas : il n'y a pas un contenu donné et constitué dont on peut dire : voilà toute la philo- sophie. La philosophie, comme science achevée, n'existe pas. L'apprentissage de la philosophie n'est donc pas un apprentissage de la mémoire, mais un exercice de la raison. Cet exercice s’appuie sur l'évidence des concepts et sur la nécessité des démonstrations. La méthode pour enseigner la philosophie ne peut donc être dogmatique (elle ne peut être indiscutable et refuser toute critique) ; elle doit être zététique (l'art du doute) . On n'apprend pas la philosophie, on apprend à philosopher. Mais peut-on pour autant se passer de tout apprentissage. Nous avons vu que non. « La philosophie d'aujourd'hui contient tout ce qu'a produit le travail de millénaires ; elle est le résultat de tout ce qui l'a précédé » Hegel Il faut donc aussi connaître l'histoire de la philosophie ! 2.2 Pensée critique et autonomie de la pen- sée L'idéal philosophique est donc de penser par soi-même, de se fixer à soi-même sa propre norme. Être libre, cela peut donc signifier participer activement et consciemment à l'histoire du monde en étant son propre guide. Mais, dans ce cas, pourquoi la plupart des hommes se contentent-ils d'une philosophie spontanée, i.e. d'une sa- gesse du sens commun qui n'est pas vraiment éclairée ? Parce que la philosophie, qui impose de se mesurer à la complexité du monde, exige de : • penser, donc prendre le risque de voir ses croyances détruites par la critique ; • penser, donc effectuer un effort de travail intellectuel volontaire. Il y a ainsi deux positions possibles devant la philosophie : • la rejeter, ce qui revient à admettre les préjugés, les opinions extérieures, et se laisser manipuler ; • l'accepter, se construire une conception du monde, penser et philosopher. Si tout le monde pense, certains seulement pensent sur leurs pensées, c'est-à-dire ont une pensée réflexive, cri- tique et questionnante. Cela n'est-il qu'une question de paresse ? N'y a-t-il pas des circonstances socio-culturelles qui favorisent plus ou moins l'émergence de la réflexion libre ? Est-ce que l'enseignement classique français de la philosophie en terminale réussit à “faire penser par soi- même” ? Y a-t-il un âge pour philosopher ? La philosophie pour les enfants est une pratique récente qui prétend apporter beaucoup de pistes intéressantes par rapport à ces questions. En effet, elle prétend rompre avec le paradigme élitiste d'une pensée réflexive comme apa- nage des seuls esprits courageux ; cette pratique consiste à développer la pensée réflexive et l'attitude démocratique de tous et à tout âge, à travers des ateliers de discussion philosophiques. Il s’agit d'apprendre à philosopher en pre- nant conscience de sa pensée et de ses idées en les échan- geant et en les confrontant aux idées des autres. Cette pra- tique créée aux États-Unis par Matthew Lipman connaît une popularité croissante partout dans le monde. On peut dire en sens contraire que l'acte de philosopher n'est pas en général dépendant de ce genre d'idéologies à carac- tère démocratique, et qu'il est prétentieux et nuisible à la pensée de vouloir l'égaliser. 2.3 Art de vivre En tant que pratique, la philosophie peut être décrite de plusieurs points de vue qui n'ont sans doute pas tous la même valeur. Comme le philosophe Poit le faisait remar- quer, philosopher est un savoir-vivre. • Les philosophes professionnels sont des personnes rémunérées, formées en vue de transmettre un savoir traditionnel. En ce sens, ils n'ont pas nécessairement vocation à penser. Pierre Thuillier rédigea à ce su- jet un pamphlet qui fit grand bruit, intitulé Socrate fonctionnaire. 2.3 Art de vivre 3 • De même, il serait certainement abusif d'appeler philosophes tous les étudiants en philosophie. • On dit aussi parfois que les historiens de la philo- sophie ne sont pas nécessairement des philosophes, quand bien même ils seraient professeurs de philo- sophie à l'Université (ce qui n'enlève rien à leurs mé- rites, car en tant qu'historiens ils ont une activité de recherche en principe importante). Le philosophe n'est peut-être pas à rechercher de ce côté. Par exemple, dans son Vocabulaire critique, André La- lande dit que l'emploi de « philosophe » dans les sens ci-dessus est ironique. uploads/Philosophie/ philosopher.pdf

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