43 Henda Dhaouadi Docteur en Sciences du Langage de l’Université Jean Monnet (S
43 Henda Dhaouadi Docteur en Sciences du Langage de l’Université Jean Monnet (Saint-Étienne) Abstract: This article examines the Rhetoric of Aristotle through its three parts to enlighten the argumentation in the discourse. Recalling the huge lines of this founding book will help us apprehend the so debated question concerning man and the power he uses with language. The discourse in the Grecian city was institutionalized and regulated by an oratory tradition which is revealed in its grand lines by Aristotle. The contemporary reader can make the most of this long study, so as to better appreciate the functioning of the discourse and even to redeem the speech in the modern city. Keywords: Aristotle, The Rhetoric, Argumentation, orators and auditors, Discourse and politics in the city. The discourse Linguistics. Fondements rhétoriques de l’analyse argumentaire La rhétorique aristotélicienne : l’art de persuader Dans le Livre 1 de la Rhétorique, Aristote aborde la nouvelle conception de l’Art rhétorique en précisant son objet et sa méthode et en étudiant ses rapports avec la dialectique. Pour lui, en effet, « la Rhétorique est l’analogue de la Dialectique » (Aristote, 1991 :16). Il considère, de prime abord, que les hommes se définissent par le discours : Rhétorique et Dialectique sont à cet égard de leurs compétences communes. Ils y participent, chacun à sa façon, pour défendre, accuser, interroger au sujet d’un problème, soutenir ou juger. Synergies Monde arabe n° 8 - 2011 pp. 43-65 Aux sources du discours argumentaire Aristote et la Rhétorique Résumé : Cet article explore la Rhétorique d’Aristote à travers ses trois Livres afin d’éclaircir la question de l’argumentation dans le discours. Rappeler les grandes lignes de cet ouvrage fondateur nous permet d’appréhender la question tant débattue de l’homme et du pouvoir qu’il exerce grâce au langage. Le discours dans la cité grecque était institutionnalisé et régulé par toute une tradition oratoire dont Aristote révèle ici les grandes lignes. Au lecteur actuel de tirer profit de cette longue étude afin de mieux comprendre le fonctionnement du discours et même de réhabiliter la parole dans la cité moderne. Mots-clés : Aristote, La Rhétorique, Argumentation, orateurs et auditeurs, Discours et politique dans la cité, linguistique du discours. 44 Néanmoins ce qui semble différencier les uns des autres c’est justement la maîtrise de la technique du discours rhétorique. Certains le font sans y être préalablement préparés, et d’autres y mettent de la méthode ou comme le note Aristote de la « technique ». Il n’hésite pas à rappeler que, dans le cadre des discours délibératif et judiciaire par exemple, l’art de plaider repose sur la preuve et certains auditeurs, dans la cité grecque, veillaient à ce que, dans les délibérations, on ne puisse parler que dans la cause. Il définit donc la rhétorique comme étant « la faculté de découvrir spéculativement sur toute donnée le persuasif » (Aristote, 1991 : 22). La persuasion se lie étroitement à la disposition de l’auditoire que le discours amène irrévocablement à éprouver des passions : « c’est le discours, ajoute-t- il, qui produit la persuasion quand nous faisons sortir le vrai et le vraisemblable de ce que chaque sujet comporte de persuasif » (op.cit :23). Cette activité humaine est toutefois étroitement dépendante de trois dispositions essentielles : l’aptitude au raisonnement syllogistique, la connaissance spéculative des caractères, celle des vertus et enfin des passions, de la nature et des moyens de chacune, des causes et des habitus qui la font surgir chez l’auditoire. Ainsi, il en ressort que la rhétorique est : « comme une ramification de la dialectique et de la science morale, qu’il est juste de dénommer politique » (op.cit :23). La rhétorique aristotélicienne s’inscrit donc dans la cité et joue un rôle important lorsqu’il s’agit d’y résoudre des questions relatives à la vie des citoyens. C’est effectivement dans la sphère du politique (et de la politique) que l’homme s’exprime le plus et use du discours pour atteindre l’opinion publique, un auditoire ou un individu. En évoquant les constitutions dans son Livre I, Aristote rappelle qu’une bonne argumentation dépend de la connaissance que l’on a des constitutions, de leurs habitudes, intérêts et institutions. Les manifestations de souverainetés y sont ainsi intimement liées, et sont donc complexes. Ayant considéré quatre constitutions comme dans Politiques, à savoir la démocratie, l’oligarchie, l’aristocratie et la monarchie, il en conçoit que « le pouvoir souverain, c’est-à-dire le pouvoir qui décide en dernier ressort, appartient toujours soit à une partie, soit à la totalité des citoyens » (Aristote, 1991 : 56). Aristote distingue aussi trois types de discours : le délibératif, l’épidictique et le judiciaire. Dans ce Livre I, et contrairement à ce que certains ont pu croire, il intègre la rhétorique dans un cadre à la fois social, culturel, constitutionnel et politique. Il marque l’importance de la relation entre l’orateur et son auditoire et la façon avec laquelle il agit sur lui par le discours. Cette corrélation se base sur la confiance et l’honnêteté. La première qualité est celle de l’auditoire et semble, dans l’esprit d’Aristote, comme le produit des preuves présentées par l’orateur. Elles sont de trois ordres ou « espèces » comme il le souligne : « les premières consistent dans le caractère de l’orateur ; les secondes, dans les dispositions où l’on met l’auditeur ; les troisièmes dans le discours même parce qu’il démontre ou apparaît démontrer. On persuade par le caractère, quand le discours est de nature à rendre l’orateur digne de foi, car les honnêtes gens nous inspirent confiance plus grande et plus prompte sur toutes les questions en Synergies Monde arabe n° 8 - 2011 pp. 43-65 45 général, et confiance entière sur celles qui ne comportent point de certitude, et laissent une place au doute » (Aristote, 1991 : 23). La confiance doit toutefois être produite par le discours lui-même tout en admettant que l’honnêteté de l’orateur contribue efficacement à la persuasion. Il s’oppose ainsi aux auteurs des techniques qui s’appuient sur les jeux formels du discours pour ne considérer la persuasion que d’un point de vue discursif, comme un jeu avec le discours, par lequel le caractère de l’orateur est masqué et ainsi son honnêteté. La relation entre l’auditoire et l’orateur est bien soulignée lorsqu’il dit que « la persuasion est produite par la disposition des auditeurs, quand le discours les amène à éprouver une passion ; car l’on ne rend pas les jugements de la même façon selon que l’on ressent peine ou plaisir, amitié ou haine…c’est le discours qui produit la persuasion, quand nous faisons sortir le vrai et le vraisemblable de ce que chaque sujet comporte de persuasif » (Aristote, 1991 :23). La rhétorique est finalement partie fondamentale de la « science morale » ou « politique », comme le rappelle Aristote. Elle suppose une certaine aptitude au syllogisme et à l’exemple qui procèdent soit de la démonstration réelle, soit apparente (Aristote, 1991 : 24). Il appelle « enthymème » le syllogisme de la rhétorique et « exemple » son induction. Lorsqu’on s’appuie sur plusieurs cas similaires pour les rapprocher d’un cas présent c’est une induction (ici un exemple). Par contre, lorsque des propositions surviennent de quelques prémisses qui sont souvent vraie et universelles, il s’agit là d’un raisonnement par syllogisme (ici enthymème). « Sans doute, précise-t-il, on ne se laisse pas moins convaincre aux discours réels qui procèdent par les exemples, mais on applaudit davantage les discours à enthymème » (Idem : 25). La question qui se pose tout au long de la réflexion aristotélicienne sur l’argumentation par le discours rhétorique est celle-ci : comment agit-on sur l’esprit de l’auditeur ? En effet, les arguments de l’orateur se puisent dans trois objets ou « classes » sur lesquelles portent les enthymèmes : conseiller et déconseiller, louer et blâmer, accuser et se défendre. Ainsi, il y aurait non seulement intérêt pour la rhétorique (dont l’objet est de juger) à observer l’argumentation dans la façon de la rendre plus convaincante, mais aussi de mettre le juge dans une situation distincte tout en se montrant soi-même dans une certaine disposition. Aristote considère donc que : « Le jour sous lequel se montre l’orateur est plus utile pour les délibérations ; la disposition de l’auditeur importe davantage pour le procès ; car les choses ne paraissent pas les mêmes à qui aime ou qui hait, à qui éprouve de la colère ou est dans un habitus de calme… » (1991 :108). De leur côté, les orateurs doivent inspirer confiance à l’auditeur et ce pour trois valeurs essentielles : la prudence, la vertu et la bienveillance. Faute de prudence, si un orateur altère la vérité, cela implique indirectement qu’il tait son opinion par méchanceté. Pour inspirer confiance à son auditoire, un orateur Aux sources du discours argumentaire - Aristote et la Rhétorique 46 doit être doté de toutes ces qualités. En ce sens, l’apparence de la prudence et de l’honnêteté qu’il se donne, lui permet de se représenter et de représenter autrui. Aristote évoque également les questions de la bienveillance et de l’amitié lorsqu’il traite des passions. uploads/Philosophie/aristote-et-l-x27-art-de-persuader 1 .pdf
Documents similaires










-
29
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Sep 03, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
- Langue French
- Taille du fichier 0.3302MB