EHESS Philosophie et théologie chez les djadids: La question du raisonnement in

EHESS Philosophie et théologie chez les djadids: La question du raisonnement indépendant (Iǧtihâd) Author(s): Thierry Zarcone Source: Cahiers du Monde russe, Vol. 37, No. 1/2, Le réformisme musulman en asie centrale: Du "Premier renouveau'' à la soviétisation, 1788-1937 (Jan. - Jun., 1996), pp. 53-63 Published by: EHESS Stable URL: http://www.jstor.org/stable/20170991 . Accessed: 15/06/2014 19:11 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org. . 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[les moutons] ne comprennent rien ? ces cris tout comme aux raisons de leur malheur ou de leur infortune, les hommes qui se soumettent ? une foi sans arguments et ? un droit malheureux ne savent rien de leur bonheur et de leur infortune. Ce verset nous montre tr?s clairement que le taql?d prati qu? sans raison est une uvre impie. ? cAbdall?h B?bP Mon intention est de pr?senter, dans une langue qui, je l'esp?re, sera la plus claire possible, Tune des principales innovations en mati?re de th?ologie et de phi losophie d?velopp?e par le r?formisme musulman de Russie, en particulier par les penseurs tatars. Il s'agit du recours ? un ? proc?d? de raisonnement et d'argumenta tion ind?pendant ? dans l'interpr?tation du Coran et de la sunna des proph?tes pour le r?glement des affaires religieuses et juridiques de la communaut?. Cette innova tion a ?t? fermement critiqu?e, on n'en doute pas, par les juristes et les th?ologiens traditionalistes dans la mesure o? c'?tait faire un retour ? une pratique ancienne du droit islamique, condamn?e depuis le Xe si?cle. Ce que j'ai qualifi? ici d'innovation devrait donc ?tre en fait interpr?t? a contrario comme la r?actualisation d'une ancienne m?thode intellectuelle. Pour comprendre ce qui distingue l'usage de cette m?thode d'argumenter dans les temps anciens de ce qui en a ?t? fait au xixc si?cle, un bref rappel historique s'impose. Le Coran, outre sa valeur religieuse, est surtout un texte juridique et, comme tel, il fut et est toujours rest? le texte de r?f?rence par excellence pour l'admi Cahiers du Monde russe, XXXVII (1-2), janvier-juin 1996, pp. 53-64. This content downloaded from 195.34.79.214 on Sun, 15 Jun 2014 19:11:15 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions 54 THIERRY ZARCONE nistration de la communaut? des croyants. Tout au long de la p?riode de constitution du droit islamique, c'est-?-dire du vue au Xe si?cle, il ?tait laiss?, non pas aux seuls docteurs, mais aussi ? tout individu capable, la libert? de trouver une r?ponse ? ses probl?mes juridiques dans les textes saints et donc d'exercer son jugement person nel. Certes, sur les questions graves, les jugements des sp?cialistes l'emportaient sur ceux du commun. C'est donc sur la base de l'opinion personnelle (igtih?d ar-ra yy) de ces sp?cialistes qui furent aussi les premiers juristes musulmans, que les pre mi?res r?gles du droit musulman furent ?labor?es. N?anmoins, le champ des d?ci sions individuelles et l'exercice ind?pendant de la raison se r?tr?cissaient constam ment au fur et ? mesure qu'un consensus g?n?ral se formait et que les grandes ?coles juridiques se constituaient. Si bien que les savants de toutes les ?coles juridiques esti m?rent, au Xe si?cle, que toutes les questions essentielles ayant ?t?, une fois pour toutes, discut?es et r?gl?es, nul ne pourrait plus, ? l'avenir, ?tre qualifi? pour faire usage de son jugement personnel sur toute esp?ce de probl?me auquel pourrait ?tre confront?e la communaut?. La pratique de V igtih?d ?tait officiellement prohib?e ou, comme on le dit habituellement, cette p?riode signait ? la fermeture de la porte de Vigtih?d ?, ce qui signifiait donc la fin de l'effort inventif, de la r?flexion person nelle, du raisonnement ind?pendant et surtout de l'acc?s direct ? l'?criture sainte. Tout croyant se devait d?s lors de ne reconna?tre que la seule interpr?tation propos?e par les ?coles juridiques constitu?es, sans jamais plus s'essayer ? une r?interpr?tation ind?pendante. Cet ?tat de fait, qui re?ut le nom de taql?d (imitation), s'est maintenu dans l'ensemble du monde musulman jusqu'? nos jours3 ? travers l'enseignement d?livr? dans les ?coles religieuses ou madrasa. Il y eut bien s?r des oppositions ; plus au taql?d qu'? la fermeture de la porte de Vigtih?d. La plus c?l?bre est celle du docteur hanbalite Ibn Taymiyya, au xrve si?cle, puis celle des courants salafiyya (xvuT si?cle), et wahhabites (xixc si?cle), ces derniers ?tant h?ritiers de l'?cole hanbalite4. Du reste, il est assur? que les mouvements r?formistes modernes, arabes, turcs et indiens, des xixe et xxe si?cles, dont le djadidisme, se sont inspir?s chez ces deux derniers courants. Autre remarque qui a son importance ; Vigtih?d pouvait s'apparenter, sans tou tefois en pr?senter les exc?s, ? la m?thode de raisonnement en mati?re de religion usit?e dans la premi?re grande ?cole de th?ologie islamique ? la muctazila ? qui fut condamn?e aux xc-xic si?cles. ? cette ?cole succ?da Vashcariyya qui est aujourd'hui encore l'?cole officielle de th?ologie en islam5. Le r?formisme islamique s'est inspir? sur certains points de la muctazila et certains th?ologiens r?formateurs, comme l'?gyptien Muhammad cAbduh ou le Tatar G?rull?h B?g?, par exemple, ont m?me ?t? pr?sent?s comme des n?o-rmrtazilites. La pr?dominance de la raison ?tait cependant beaucoup plus marqu?e chez les tenants de cette derni?re ?cole que chez les pratiquants modernes de Vigtih?d?. En Asie Centrale, les madrasa ont ?t? le conservatoire par excellence de l'ensei gnement traditionnel. Les principales d'entre elles se trouvaient ? Boukhara o? des g?n?rations d'?tudiants venus du monde tatar et m?me d'Inde avaient ?t? ?duqu?s. Si la madrasa centrasiatique avait connu son temps de gloire des si?cles auparavant, elle apparaissait au d?but du xixe si?cle comme une institution surann?e, fig?e, ? l'?cart des probl?mes du monde moderne. On la tenait pour responsable du d?clin de l'islam centrasiatique ? cause de son enseignement. C'est la principale critique que lui adressaient les religieux r?formistes qui la connaissaient bien pour l'avoir fr? quent?e. Le d?clin du monde musulman, parall?lement ? la mont?e des puissances This content downloaded from 195.34.79.214 on Sun, 15 Jun 2014 19:11:15 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions PHILOSOPHIE ET TH?OLOGIE CHEZ LES DJADIDS 55 occidentales chr?tiennes, le d?veloppement de la science et de la technique de ces derniers, tout cela occasionnait bien des soucis aux penseurs musulmans. Quelles ?taient les solutions ? Fallait-il se tourner vers l'ext?rieur, c'est-?-dire vers l'Occi dent et reconstruire la soci?t? islamique sur des bases nouvelles en s'inspirant des institutions occidentales, ou alors fallait-il interroger sa propre tradition et revitaliser l'islam en se r?f?rant ? sa puret? premi?re ? Les djadids se diviseront sur la solution ? adopter. Mais en ce qui concerne un certain nombre de religieux, il ?tait clair que le d?clin de l'islam ?tait la cons?quence de ces nombreux si?cles d'imitation st?rile, tout au long desquels les juristes et les th?ologiens n'avaient jamais tent? de resituer le dogme par rapport aux changements ni de chercher dans le Coran des r?ponses aux nouveaux probl?mes qui se posaient. Au xixc si?cle, le monde ?tait tout autre. Pour les pr?curseurs du djadidisme et les djadids eux-m?mes, il ?tait urgent de r?soudre les probl?mes nouveaux et d'interroger les ?critures directement sans passer par les commentateurs m?di?vaux, prestigieux certes, mais qui n'apportaient pas de r?ponses aux probl?mes en question, vu qu'ils ne se les ?taient jamais pos?s. Il importait donc d'user de sa raison en toute ind?pendance. Avant les Jeunes-Ottomans, avant Gam?l ad-D?n al-Afq?n? et son ?l?ve Muhammad cAbduh, c'est un Tatar, cAbd an-Nas?r al-Qur$?w? (1776-1812), qui fut le premier ? avoir recours ? la r?flexion personnelle, ? ? ouvrir la porte de Vigtih?d ?7, sans doute inspir? par la pens?e de Ibn Taymiyya ou par le wahhabisme. Ses ?l?ves, comme Sih?b ad-D?n al-Marg?n?, d?velopperont sa pens?e et feront de cette pratique l'une des r?gles essentielles du djadidisme. cAbd an-Nas?r al-Qur??w? a eu l'occasion, lorsqu'il ?tait ?tudiant de madrasa, ? Boukhara, de constater l'?tat pitoyable de l'enseignement et l'ignorance des mollahs. Plus tard, de retour dans cette ville, il fut attaqu? par les religieux parce qu'il remettait uploads/Philosophie/ philosophie-et-theologie-chez-les-djadids-la-question-du-raisonnement-independant.pdf

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