La responsabilité sociale du journaliste : donner du sens Bernard Delforce Prof
La responsabilité sociale du journaliste : donner du sens Bernard Delforce Prof'esseur à I'l.U.P. d'lnfo-Crnrr de Roubai.r (Lille III) Lrs C*lf RS DLt toLtRNAL:stttr xo2 Si por.rr dresser un rapide bilan du colloque du 3 juin 1996 à Lille sur le thème "Le journaliste acteur de société" 1 et des réunions de travail du groupe NORSOM qui l'ont précédéez, il ne fallait dire qu'un seul mot, il faudrait, sans hésiter, souligner l'atmosphère d'écoute, de respect mutuel, de collaboration amicale et féconde qui a toujours prévalu. Cette situation n'est finalement Das si habituelle dans les rencontres entre iournalistes et chercheurs dont on sait qu'elles peuvent vite devenir polémiques, Il est, dans ce cadre, un peu difficile d'avouer l'objet du dér'eloppement qui va suir,re, puisqu'il consistera, au moins dans un rrremier temps, à essayer de mettre en ér,idence que nos façons de poser certains problèmes manifestent des àiffér.n..s qr,le la réflexion a encore un peu laissées dans l'ombre. Il faut néanmoins préciser que ces différences, restées presque imperceptibles, n'opposent pas, en général, les journalistes d'un côté et les chercheurs de l'autre. Il s'agit donc moins de dii'ergences entre groupes que de la possibilité, pour une même personne, d"'osciller", selon les thèmes abordés ou selon les moments de la discussion, entre deux façons de poser les problèmes qui paraissent, au départ, incompatibles. C'est à l'examen de ces "oscillations" que nous nous consacrerons dans un premier temps. Un autre élément de différence, auquel nous nous intéresserons ensuite, pourrait par contre constituer une opposition plus profonde et qui passerait, cette fois, entre journalistes et chercheurs. Les propos qui s'échangent au cours de nos discussions relèvent, fondamentalement, de deux systèmes conceptuels opposés. Les uns s'inscrivent dans un svstème qu'on pourrait appeler "positiviste", où l'on considère l6 La ptspoxsAgurE soc.tAlF DII roLrRr\tAustF : Do,^/NFt? Dil -sÉN5 que la réalité sociale est une "donnée" qu'il importe de recueillir, ou d'aller chercher, sans l'altérer. Ce système présuppose l'existence de "faits bruts" considérés comme indiscutables et dotés d'un sens que les formes langagières dans lesqueiles on les restitue peuvent ne pas altérer. L'information y est, dès lors, conçue comme une activité "innocente" dans la mesure où elle n'a pas d'autre but... qu'informer. Les autres s'inscrivent, au contraire, dans un système conceptuel qu'on appellera "constructiviste" : la réalité sociale, et donc l'information, sont conçues comme étant (< la réalité sociale et l'information inévitablement le résultat de "constructions" et non sont conçues comme étant le résultat comme de simples données de l'observation. Ces de ,,constructions,, >> "constructions" ne sont pas inclividuelles mais sociales. Elles résultent tout à la iois des logiques professionnelles et sociales qui marquent les conditions concrètes d'exercice du métier, ou la place et le rôle joué par la presse dans le champ social... mais elles résultent aussi des schèmes de perception concurrents, socialement disponibles, à travers lesquels on donne sens à ce qui nous entoure, ainsi que des mises en forme langagières propres à la presse, qui contribuent elles aussi à "construire" l'information. La présentation rapide de ces deux systèmes de référence nous amènera progressivement à nous demander s'il s'agit bien de deux façons divergentes de poser les problèmes, qui seraient alternatives et exclusives l'une de l'autre. Nous ferons l'hvpothèse, au contraire, que ces oscillations et ces oppositions pourraient n'être que les svmptômes de la nature profondément doubie de l'objet que nous examinons : professionnel d'un métier, ie journaliste est aussi, inévitablement, un acteur social ; acteur social au même titre que ses informateurs, le journaliste joue cependant un rôle social spécifique dont les logiques ne sont pas assimilables à celles des autres acteurs sociaux ; enfin, si le journalisme est une activité professionnelle dont on doit examiner les conditions d'exercice, c'est aussi une forme d'écriture sociale qui se distingue des autres par des caractéristiques formelles spécifiques dont on devrait pouvoir identifier ies principes fondateurs et les effets sociaux. Deux conséquences résulteraient alors de la nature profondément double de la presse et du journalisme. D'une part, les problèmes posés par l'un ou par l'autre des niveaux que nous avons identifiés ne seraient pas les mêmes, de sorte que certains problèmes relèveraient bien d'un niveau mais n'auraient pas de sens dans l'autre. D'autre part, les mêmes problèmes ne se poseraient pas dans les mêmes termes selon qu'on les examinerait dans la logique d'un niveau ou dans celle de l'autre, La perspectir,e aiusi tracée nous servira de cadre pour revenir à ce qui constituait initialement notre projet : montrer que la responsabilité sociale du journaliste consiste à donner du sens. Notre propos peut se résumer dans les trois points suivants : 1. la fonction sociale essentielle de la presse, et donc le rôle du journaliste, consiste moins à informer à propos d'événements que, en dernière instance, à 17 Lts Cautrt?s DLt tout?NALtsur xo 2 donner du sens au monde qui nous entoure. L'activité (informer) a un résultat (donner du sens) : le résultat est plus fondamental que l'activité. Donner c1u sens n'est pas une option laissée au libre choix du journaliste qui pourrait ou non 1'adopter, C'est le résultat incontournable de l'activité d'information ; 2. informer peut relever d'une déontologie professionnelle qui met principalement l'accent sur les modalités de recherche et de restitution de l'information ; donner du sens implique plutôt une responsabilité sociale dans la < remprir preinement ce rôte sociat, it'.1i';,ff:'â:î:n: ï: ii:l*:'a.l'iffll?':: c'est adopter une posture citoyenne >> mesLlre, dans un cas, à t.s *ôdulités plus ou moins conformes, dans l'autre, à ses effets sociaux plus ou moins positifs ; 3. cette fonction fait du journaliste un acteur social à part entière, et non un simple témoin-médiateur hors du jeu social. Mais, acteur social, le journaliste ne l'est pas au même titre que les autres acteurs socianx : remplir pleinement ce rôle social, c'est, selon nous, adopter une posture citoyenne qui impose des façons spécifiques de regarder les choses, de les penser et d'en parler. Attitude prescriptive ou attitude descriptive? Le premier point de divergence possible concerne l'un des thèmes sans doute les plus récurrents dans nos journées de réflexion : celui de ia mission sociale de la presse. On oscille, dans l'examen de cette question, entre deux attitudes : l'une, prescriptive (ou téléologique), invite à é','oquer surtout les missions que la presse doit ou devrait remplir ; l'autre, ph.rs descriptive, met fortement l'accent, à d'autres moments, sur la presse telle qu'elle est aujourd'hui, sur les fonctions qu'elle exerce ou sur les effets que, de fait, elle produit. Ces deux attitudes trouvent d'ailleurs souvent une façon de se conjuguer : on évoque les "réalités" d'aqourd'hui pour les opposer aux missions d'autrefois (version nostalgique : o ln ltresse n'cst plus ce qu'ellc étsit ,) ou pour prédire les situations de demain (r'ersion prophétiqLle : ( oit nllons-nous ! ,). C'est dire à quel point cette question est indissociable, dans nos discussions, de celle des changements, des ér'olutions, des mutations qui affectent la presse. Or, aucune de ces deux perspectir.es, strictement suivies, ne permet de penser finement ces changements et la façon dont nous les articulons le plus spontanément n'apparaît pas plus opérante. En effet, l'attitude prescriptive, quand elle cherche à établir fermement les missions que la presse doit remplir (devrait remplir, ou n'aurait jamais dû cesser de remplir), cède à une double illusion : d'une part, les grands dispositifs sociaux de production du sens et les industries culturelles qui en constituent l'ossature économique ne se prêtent pas allx arrêts et aux décrets ; d'autre part, les logiques sociales de leur fonctionnetnent ne dépendent ni exclusivement, ni, sans doute, prioritairement, de la bonne volonté ou des projets des acteurs sociaux qu'elles concernent, IB Ll ptst'oxsAgLrIF so(.tALt. DLt roLt?NAusTF : DoNNf /? D{/ .sF,rys A l'inverse, la seconde perspective adoptée, descriptive, et, semble-t-il, plus réaliste, peut conduire de son côté à deux impasses auxquelles il faut prêter attention : adopter une attitude an-historique qui, exclusivement centrée sur "l'état des lieux", ferait oublier que ce qu'on décrit n'est qu'un moment dans le cours d'une histoire et des rapports de force - momentanés - qui s'y inscrivent; adopter une attitude sceptique et fataliste qui ferait croire qu'on est absolument impuissant à peser sur le devenir de ces dispositifs (oublier, en somme, les marges de manæur,'re dont disposent aussi les acteurs sociaux, qui, s'ils ne sont jamais tout puissants, ne sont jamais, non plus, totalement impuissants). Activité professionnelle ou activité sociale? À cette première opposition entre attitude prescripti\re ou descriptive vient s'en ajouter une seconde, qui peut, d'une certaine manière, contribuer à l'éclairer : nous adoptons alternativement deux façons de parler de la profession. La plus fréquente s'efforce d'identifier, de décrire, de nommer les pratiques professionnelles concrètes des journalistes. À d'autres moments, plus ràres, nous ne pouvons nous empêcher d'évoquer, et souvent de façon sous-jacente, l'utilité sociale ou la signification sociale des pratiques professionneiles qu'on décrit. On s'intéresse moins, alors, à ce que font les journalistes qu'à ce qu'ils en disent, au sens qu'ils donnent à ce qu'ils font ou au sens que,, nous, nous lui donnons, comme membres d'une société, au discours par uploads/Philosophie/ la-responsabilite-sociale-du-journaliste.pdf
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- Publié le Mar 19, 2021
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