Revue Philosophique de Louvain L'unité de l'Être parménidien Hervé Pasqua Citer
Revue Philosophique de Louvain L'unité de l'Être parménidien Hervé Pasqua Citer ce document / Cite this document : Pasqua Hervé. L'unité de l'Être parménidien. In: Revue Philosophique de Louvain. Quatrième série, tome 90, n°86, 1992. pp. 143-155; https://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1992_num_90_86_6731 Fichier pdf généré le 26/04/2018 Abstract Being exists in an absolute sense, and because it exists it cannot cease to be. In other words non- being is impossible. This is the central thesis of Parmenides' poem. The A. aims to show that this thesis can only be justified in Parmenides' view if Being is considered to be identical with the One. If this is the case, it has an important effect on the interpretation of the Poem, namely that the affirmation of Being does not depend on the denial of Non-Being, as many exegetes hold. In this article two recent interpretations are discussed, namely those of N.L. Cordero and L. Couloubaritsis. The A. aims to inquire to what extent the true thought of Parmenides does not consist in making the affirmation of Being depend on that of Non-Being, but rather the contrary, by basing his argumentation on the reciprocity of Being and the One. (Transl. by J. Dudley). Résumé L'Être est absolument et, parce qu'il est, il ne peut pas ne pas être. En d'autres termes, le non-être est impossible. Telle est la thèse centrale du Poème de Parménide. L'A. tente de voir que cette thèse ne se justifie aux yeux de l'Eléate que si l'Être s'identifie à l'Un. S'il en est bien ainsi, il en découle une importante conséquence pour l'interprétation du Poème, à savoir que l'affirmation de l'Etre ne dépend pas de la négation du Non-Être ainsi que le pensent de nombreux interprètes. Cet article discute deux interprétations récentes, celles de N.L. Cordero et de L. Couloubaritsis. L'A. essaie de voir dans quelle mesure la vraie pensée de Parménide ne consiste pas à faire dépendre l'affirmation de l'Être de celle du Non-Être mais de l'inverse, en appuyant l'argumentation sur la réciprocité de l'Être et de l'Un. L'unité de l'Être parménidien Conduit par les cavales célestes, à l'écart des sentiers des hommes, au-delà des portes de la Nuit et du Jour, Parménide se trouve maintenant devant sa divine hôtesse. La déesse accueille avec bienveillance l'heureux jeune homme rendu par la grâce divine aussi loin que son désir pouvait le mener. Celui-ci écoute en silence les mots de bienvenue: «Jeune homme, compagnon d'immortels cochers, toi qui parviens à notre demeure grâce aux cavales qui t'emportent, sois le bienvenu: ce ne fut point en effet un destin funeste qui t'envoya cheminer en cette voie — car assurément cette voie est à l'écart des hommes, loin du chemin qu'ils fréquentent, — mais c'est le droit et la Justice. Il faut que tu sois instruit de toutes choses, à la fois du cœur de la Vérité persuasive, cœur sans frémissement, et des opinions des mortels, où ne se trouve pas de conviction vraie»1. La déesse révèle à Parménide que le chemin par lequel il est parvenu jusqu'à elle est au-delà de tous les chemins des hommes chez lesquels ne se trouve aucune conviction vraie. Ce chemin est le chemin de la Vérité qui est celui de l'Être. Tout ce qui s'en écarte est errance pure, illusion trompeuse qui mène sur le chemin du Non-Être. Il y a donc deux voies de recherche, les seules qui se puissent concevoir et qui sont exclusives l'une de l'autre: «La première voie énonce: il 'est', et il n'est pas possible de ne pas être, c'est le chemin de la Persuasion, car elle accompagne la Vérité. L'autre voie énonce: il n'est pas et il est nécessaire de ne pas être, celle-là, je te le fais comprendre, est un sentier dont rien ne se peut apprendre»2. 1 Fr. I, 24-30: «rô Koûp ' àGavâxoiai auvàopoç fiviôxoicnv, ïnnoiq xai as (pépouaiv Ikccvcov f|jiéxepov S», /aïp ', èjcsi ouxi ce uoïpa Kaicfi TrpoîmeuTie véeaGai xf|vô ' ôôôv (fi yàp an ' àvGpcmuov skxôç Ttâxoo èaxtv), àXXà Géuxç xe Ôikt| xs. Xpecb ôé ae Tràvxa rcuGÉcjGai f||xèv 'A^r|6sir|ç eôkokà,éoç àxps|aèç f|xop fjôè Ppoxrôv ôô£,aç, xaïç oôk ëvi nianc, âXr]Qi\q.» 2 Fr. II, 3-5: «aircep ôôoi uoùvai ôiÇfjmôç sien, vofjacu- f| (j,èv ÔTtcoç saxiv xs koù d)ç oôk saxi \if\ sivai, ITsiGoCç êaxiv xe koù cbç xpscbv sem \ir\ sîvai.» Nous citons la traduction légèrement modifiée de Jean Frère in Études sur Parménide, T.I, Vrin, Paris, 1987. Signalons également parmi les traductions récentes 144 Hervé Pasqua Le sens de ce texte s'éclairera, au fragment VIII où il sera affirmé que l'Être doit être entièrement ou ne pas être du tout: il est ou il n'est pas. Ce point est d'une importance si capitale que le Poème y reviendra à deux reprises3. L'Être donc est absolument et, parce qu'il est, il ne peut pas ne pas être, le non-être est impossible. Telle est la thèse centrale de Parmenide. Nous verrons qu'elle ne peut se justifer que si l'Être s'identifie à l'Un. Si, comme nous venons de le dire, l'Être est absolument parce qu'il est, il en découle une conséquence importante pour la compréhension du Poème, à savoir que l'affirmation de l'Être ne dépend pas de la négation du Non-Être ainsi que le pensent de nombreux interprètes. N.L. Cordero, par exemple, écrit: «L'absolutisation du concept d'être s'effectue au moyen de la négation du concept contradictoire, celui de non-être». A ses yeux, l'analytique du Non-Être est intimement liée à celle de l'Être. Rares, déplore-t-il, sont ceux qui se sont penchés sur la question de savoir si une médénologie ne devrait pas précéder l'ontologie parménidienne; il rejette toutefois la position excessive consistant à affirmer que le point de départ de la thèse de Parmenide est le Néant et que l'Être ne serait autre chose que le non-néant4. L'interprétation de l'auteur, plus modéré, est que la nécessité d'être est reliée à l'impossibilité du non-être. Selon lui, l'affirmation fondamentale «L'Être est» ou «II y a de l'Être» s'établit au même titre que la seule affirmation possible quant au Non-Être: «Non-Être n'est pas possible». La réunion de ces deux affirmations constitue la première thèse parménidienne correspondant au chemin de la Vérité. Le deuxième chemin, celui de l'erreur, correspond à la thèse opposée constituée elle aussi de deux affirmations: «II n'est pas» et «il est nécessaire de ne pas être» (II, 5). Nous nous trouvons donc devant deux énonciations diamétralement opposées à partir de l'absolutisation de l'Être telle qu'elle est conçue en fonction de la nécessité du Non-Être. Dans les deux chemins il s'agit toujours autant de l'Être que du Non-Être. Le premier affirme qu'il y a de l'Être et que le Non-Être est impossible. Le second nie qu'il y ait Non-Être et que ne pas être est nécessaire. celles de L. Couloubaritsis en appendice de son livre Mythe et philosophie chez Parmenide, Ousia, Bruxelles, 1986 et de N.L. Cordero in Les deux chemins de Parmenide, Vrin, Paris, 1984. 3 Cf. fr. VIII, 11: «outcûç f| 7tàu/cav 7isA,évai xpecbv èaxiv f| oô%i». 4 Telle est la thèse de A. Colombo cité par l'auteur, in // primato del nulla e le origine délia metafisica. Per una ricomprensione del pensiero di Parmenide, Milano, 1972, p. 37: «L'essere non é altro che non nulla». V unité de V être parménidien 1 45 N.L. Cordero n'oppose pas un chemin de l'Être à un chemin du Non- Être. Chaque chemin est un chemin de l'Être et du Non-Être. Les deux chemins diffèrent entre eux en ce sens que le chemin de la Vérité établit l'être de l'Être et le non-être du Non-Être et le chemin de l'erreur établit le non-être de l'Être et l'être du Non-Être5. Ainsi n'y a-t-il pas tautologie, mais une double contradiction. L'auteur pense de cette manière échapper à la tautologie. Mais il y parvient en réalisant l'absolutisation de l'Être à partir de la négation du terme contradictoire, le Non-Être. Tout se passe donc comme si affirmer l'impossibilité pour l'Être de ne pas être implique simultanément reconnaître la nécessité pour le Non- Être de ne pas être. Mais, procéder de la sorte n'est-ce pas mettre l'Être sous la dépendance du Non-Être ou, du moins, en corrélation nécessaire avec lui? Au lieu de dire comme nous disons plus haut «l'Être est absolument parce qu'il est», N.L. Cordero pense que «l'Être est absolument parce que le Non-Être n'est pas», il subordonne ainsi le premier chemin au deuxième qui se transforme en sa condition de possibilité. Or, cette interprétation nous semble en total désaccord avec la thèse fondamentale du Poème selon laquelle l'Être est absolument parce qu'il est. Par ailleurs, Parmé- nide évite la tautologie, en affirmant que l'Être est absolument, non parce qu'il s'oppose au Non-Être, mais parce qu'il est Un. Quand l'Éléate écrit: «ëaxiv xe koù à>ç oôk ëaxi \ir\ eîvai» (II, 3), il veut dire que, étant (au sens verbal), l'Être ne peut pas ne pas être. En d'autres termes, c'est parce que l'Être est qu'il peut être question de Non-Être et non parce que le Non-Être n'est pas que l'Être est. De même, dans uploads/Philosophie/ phlou-0035-3841-1992-num-90-86-6731.pdf
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