Le Portique Revue de philosophie et de sciences humaines 29 | 2012 Georges Bata
Le Portique Revue de philosophie et de sciences humaines 29 | 2012 Georges Bataille Bataille, entre Kojève et Queneau : le désir et l’histoire Bataille, between Kojève and Queneau: history and desire Bataille zwischen Kojève und Queneau: das Begehren und die Geschichte Philippe Sabot Édition électronique URL : http://leportique.revues.org/2594 ISSN : 1777-5280 Éditeur Association "Les Amis du Portique" Édition imprimée Date de publication : 25 octobre 2012 ISSN : 1283-8594 Référence électronique Philippe Sabot, « Bataille, entre Kojève et Queneau : le désir et l’histoire », Le Portique [En ligne], 29 | 2012, document 2, mis en ligne le 15 décembre 2014, consulté le 30 septembre 2016. URL : http:// leportique.revues.org/2594 Ce document a été généré automatiquement le 30 septembre 2016. Tous droits réservés Bataille, entre Kojève et Queneau : le désir et l’histoire Bataille, between Kojève and Queneau: history and desire Bataille zwischen Kojève und Queneau: das Begehren und die Geschichte Philippe Sabot 1 L’importance des leçons sur la Phénoménologie de l’esprit professées par Alexandre Kojève entre janvier 1933 et mai 1939 à l’École des Hautes Études n’est plus à démontrer. Ces leçons marquent bien sûr une étape décisive dans la réception de la pensée hégélienne en France, qui s’est trouvée à partir de là réorientée vers un ouvrage jusque là négligé par la plupart des commentateurs (à part Jean Wahl) et qui devait faire l’objet dans la décennie suivante de toutes les attentions (en particulier à partir de la traduction de la Phénoménologie par Jean Hyppolite au début des années 1940). Mais, l’enseignement de Kojève tire également son importance de l’influence qu’il a manifestement exercée sur toute une génération de penseurs et d’écrivains, pour lesquels il a pu apparaître, selon les mots de V. Descombes dans Le Même et l’Autre, comme « le point d’intersection des multiples références de l’époque » 1 : marxisme, existentialisme, phénoménologie, psychanalyse 2, etc. N’oublions pas que les leçons de Kojève ont eu pour auditeurs (plus ou moins assidus) Raymond Queneau, Georges Bataille,Raymond Aron,Roger Caillois,Michel Leiris,Henry Corbin,Maurice Merleau-Ponty,Jacques Lacan,Jean Hippolyte, Éric Weil… De ce point de vue, on pourrait même dire que l’ouvrage dans lequel l’enseigne ment de Kojève a été recueilli, son Introduction à la lecture de Hegel (éditée par Raymond Queneau en 1947), fournit encore aujourd’hui une archive privilégiée pour rendre compte du « système de pensée » propre à cette époque. Par « système de pensée », il faut entendre à la fois la cohérence d’ensemble d’un certain nombre de concepts et de thèmes identifiables (le désir, la reconnaissance, la fin de l’histoire, la sagesse) et un champ de problèmes suscitant le débat et même la polémique dans la période de l’après-guerre (que l’on pense notamment à la discussion avec Léo Strauss concernant l’implication politique du philosophe). C’est dans cette perspective « archéologique » que nous voudrions situer les analyses qui vont suivre en les inscrivant sous l’horizon d’une question générale : Bataille, entre Kojève et Queneau : le désir et l’histoire Le Portique, 29 | 2014 1 comment penser d’après Kojève (au sens de sa postérité et de la fécondité de son héritage) ce qui vient après lui (au sens d’une postériorité) ? Nous envisagerons cette question à partir d’un biais particulier qui concerne au premier chef deux des auditeurs les plus assidus de l’enseignement de Kojève, Raymond Queneau et Georges Bataille dont l’œuvre et la pensée ont été profondément marqués par la lecture kojévienne de Hegel mais qui, précisément, élaborent à partir de cette lecture ou d’après cette lecture, des interprétations distinctes, mais peut-être pas complètement incompatibles, des « fins de l’homme ». Nous allons donc nous efforcer de montrer en quoi le « kojévisme » définit en quelque sorte ce champ de problèmes communs à partir duquel Bataille et Queneau ont pu chacun faire entendre leur voix propre, en poursuivant d’ailleurs tous deux, quoique selon des modalités différenciées, la voie de l’écriture littéraire – comme si la démarche et le style d’enseignement de Kojève portaient déjà en eux-mêmes, sinon l’exigence, du moins la possibilité de ce débordement du concept par la fiction. 2 Pour bien circonscrire ce champ de problèmes à partir duquel nous envisageons de situer Queneau et Bataille l’un par rapport à l’autre, mais aussi l’un et l’autre par rapport à Kojève, il convient de rappeler d’abord quelques traits saillants de l’interprétation kojévienne de la Phénoménologie de l’esprit de Hegel 3. 3 * * * Désir, Sagesse et fin de l’Histoire 4 L’ensemble de la lecture kojévienne de Hegel s’ordonne à une polarité fondamentale des expériences de la conscience, qui oppose globalement le Désir et la Sagesse, selon un dispositif théorique (et rhétorique) qui tend à reconstruire complètement la Phénoménologie hégélienne à partir de deux de ses « moments » privilégiés : d’une part, la Section A du chapitre IV de la Phénoménologie (« Autonomie et dépendance de la conscience de soi : Maîtrise et servitude ») – dont la « traduction commentée », parue une première fois dans la revue Mesures en janvier 1939, est reprise « en guise d’introduction » dans l’Introduction à la lecture de Hegel ; et d’autre part, le chapitre VIII de la Phénoménologie où se trouve développée la perspective du « Savoir absolu » et qui, dans l’interprétation de Kojève, sert à lier le destin historique de l’Homme (sa fin, au sens de sa disparition) à la perspective d’une Sagesse post-historique (qui correspond à la fin de l’Homme, au sens de son achèvement) 4. Cette polarisation historique de l’expérience humaine entre Désir et Sagesse se fonde en réalité sur la tension entre « insatisfaction » et « satisfaction ». 5 Kojève place au principe de son interprétation de Hegel la thématique d’un Désir anthropogène. C’est ce qui apparaît de manière évidente dans l’interprétation que Kojève donne du passage sur la « dialectique du maître et de l’esclave ». Cette interprétation, qui forme la matrice conceptuelle de l’hégélianisme hétérodoxe de Kojève, s’alimente aussi bien à une doctrine de la finitude reprise de Heidegger qu’à une perspective historico- politique héritée d’une certaine vulgate marxiste. De la « traduction commentée » proposée à l’ouverture de l’Introduction, ressort en effet d’abord l’idée d’une négativité fondamentale du désir qui trouve à s’exprimer pleinement dans le rapport non pas à l’être-donné dans la Nature, mais dans la confrontation avec un autre désir. L’analyse de la « réalité-humaine » repose alors sur une ontologie dualiste qui pose le « déchirement du Réel en Homme et en Nature » comme le fondement de la dialectique sociale de la reconnaissance, présentée d’emblée comme une dialectique des désirs. Tant qu’il s’en Bataille, entre Kojève et Queneau : le désir et l’histoire Le Portique, 29 | 2014 2 tient à l’ordre d’un désir seulement naturel qui porte sur la vie, l’homme est en effet incapable d’accéder à la conscience de soi, donc à l’humanité en tant que telle et à l’ordre historique qui en soutient le déploiement ontologique. Inscrit dans l’être-donné et à partir de lui (la Nature), le désir naturel, de l’ordre du simple besoin, est condamné à éprouver sa mauvaise infinité et renvoie le Moi du désir à sa propre animalité. L’accès à la conscience de soi suppose donc que le désir porte sur un objet non-naturel, « autre chose qu’une chose » qui dépasse le donné immédiat, c’est-à-dire sur le désir lui-même, sur le désir en tant que tel, dans sa structure de désir, c’est-à-dire « avant sa satisfaction ». Ce désir n’est en effet rien d’autre qu’une béance, qu’un trou dans l’être, qu’un « vide irréel » et « avide », « présence de l’absence d’une réalité » 5en l’homme, donc la révélation d’un « néant » qui doit encore s’avérer pour dépasser la simple contemplation anxiogène de cet état. Ainsi, en se « nourrissant » de désir, l’homme s’apparaît à lui-même comme désir ; son être se fait Action, « négativité-négatrice » de soi comme être naturel et transformation du donné « en ce qui n’était pas là avant » : Son maintien dans l’existence signifiera donc pour ce Moi : « ne pas être ce qu’il est (en tant qu’être statique et donné, en tant qu’être naturel) et être (c’est-à-dire devenir) ce qu’il n’est pas ». Ce Moi sera ainsi son propre œuvre : il sera (dans l’avenir) ce qu’il est devenu par négation (dans le présent) de ce qu’il a été (dans le passé), cette négation étant effectuée en vue de ce qu’il deviendra. Dans son être même, ce Moi […] est l’acte de transcender ce donné qui lui est donné et qu’il est lui-même 6. 6 Nous voyons dans ces quelques lignes comment Kojève aménage, au sein de sa propre interprétation du texte hégélien, une place pour son interprétation de la finitude heideggérienne, ramenée elle aussi sur un plan strictement anthropologique 7. En effet, le désir humain consiste à introduire dans la plénitude immédiate de sa vie seulement animale, la perspective de ce moment à venir que constitue la possibilité de ne plus être. L’homme « néantise » le présent (comme succession uploads/Philosophie/ sobre-bataille-kojeve-y-queneau.pdf
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- Publié le Mai 21, 2021
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