Philosophie antique Problèmes, Renaissances, Usages 11 | 2011 Influences, filia

Philosophie antique Problèmes, Renaissances, Usages 11 | 2011 Influences, filiations, réceptions (XVIIe-XXe siècles) L’ἐποχή chez Arcésilas : réponse à Thomas Bénatouïl Anna Maria Ioppolo Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/philosant/1183 DOI : 10.4000/philosant.1183 ISSN : 2648-2789 Éditeur Éditions Vrin Édition imprimée Date de publication : 1 novembre 2011 Pagination : 237-245 ISBN : 978-2-7574-0356-3 ISSN : 1634-4561 Référence électronique Anna Maria Ioppolo, « L’ἐποχή chez Arcésilas : réponse à Thomas Bénatouïl », Philosophie antique [En ligne], 11 | 2011, mis en ligne le 01 novembre 2018, consulté le 14 septembre 2020. URL : http:// journals.openedition.org/philosant/1183 La revue Philosophie antique est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International. L’ἐποχή chez Arcésilas : réponse à Thomas Bénatouïl* Anna Maria IOPPOLO Sapienza-Université de Rome Bien qu’il tende à interpréter l’ἐποχή comme une position personnelle d’Arcésilas, Thomas Bénatouïl admet cependant que cette interprétation n’est pas pleinement justifiée par nos sources, lesquelles, loin d’être una- nimes, font également état d’une interprétation exclusivement dialectique de l’ἐποχή περὶ πάντων. Mais s’il en est ainsi, il est également difficile de sou- tenir qu’Arcésilas utilise un vocabulaire qui lui est propre pour exposer son point de vue ; en conséquence de quoi le mot ἄδηλον, qui, s’il n’apparaît pas dans l’exposé de Sextus, figure dans d’autres sources, n’appartient pas à Arcésilas, puisqu’il n’est pas tiré des prémisses de ses adversaires. Pour don- ner toute sa valeur au témoignage de Sextus sur Arcésilas et en dégager si possible la cohérence interne, il m’a paru opportun de le replacer dans l’en- semble de l’exposé sur le scepticisme, tel qu’il ressort aussi bien de PH I que de M VII : non seulement, en effet, la comparaison des exposés sur Arcé- silas et sur Carnéade permet de déceler des différences significatives, tant de doctrine que de vocabulaire, mais il en découle également des conséquences notables pour une compréhension adéquate de tous les autres témoignages. Il est significatif qu’en PH I, 3-4, Sextus ne situe Arcésilas dans aucune des tendances entre lesquelles il a divisé la philosophie, le rangeant implicite- ment parmi les pyrrhoniens anonymes, et qu’en PH I, 232, où il traite des philosophies prétendument similaires, il s’avance lui-même à l’associer aux pyrrhoniens1. En M VII, 150-158, en revanche, il semble réduire la philo- sophie d’Arcésilas à une critique interne du stoïcisme, la distinguant ainsi nettement du pyrrhonisme. Compte tenu du fait que le but explicite de Sextus est de faire ressortir les différences entre le scepticisme pyrrhonien et les philosophies prétendument similaires, on a le plus souvent résolu la * Je remercie Thomas Bénatouïl de ses observations, qui me permettent de clarifier davantage mon point de vue sur l’ἐποχή d’Arcésilas. 1. L’importance du fait que Sextus reconnaisse à titre personnel cette κοινωνία avec Arcésilas est attestée par la réticence avec laquelle il présente, en PH I, 217, la κοινωνία avec Protagoras : δοκεῖ κοινωνίαν ἔχειν πρὸς τοὺς Πυρρωνείους, διαφέρει δὲ αὐτῶν. 238 Anna Maria Ioppolo divergence entre les deux exposés en donnant le pas sur PH I à celui de M VII, d’où l’on conclut qu’Arcésilas argumentait seulement ad hominem : l’ἀκαταληψία et l’ἐποχή seraient alors des thèses exclusivement dialectiques contra Stoicos. Cette approche, cependant, n’est pas satisfaisante, car elle aboutit à interpréter l’un des exposés à la lumière de l’autre, en ce sens que le scepticisme d’Arcésilas en PH I serait revu à la baisse du fait même de sa comparaison avec le dogmatisme négatif en M VII. C’est pourquoi je veux ramener ici l’attention sur la réfutation de la doctrine stoïcienne en M VII, 151-157 : en établissant une différence entre ἀσυγκαταθετεῖν, terme indis- cutablement stoïcien, du point de vue linguistique, et ἐπέχειν, qui n’est cer- tainement pas stoïcien, cette réfutation me paraît faire pencher la balance en faveur de l’interprétation « non dialectique » de l’ἐποχή. Arcésilas divise sa réfutation en deux parties : dans la première (M VII, 151-155), il oppose aux thèses stoïciennes des argumentations en sens con- traire qu’il ne tire pas de la doctrine stoïcienne, tandis que dans la seconde partie (156-157) il part des thèses stoïciennes pour les réduire à l’absurde. Le procédé dialectique d’Arcésilas est différent de la stratégie adoptée par Carnéade : ce dernier fait mine d’accepter les conditions posées par les stoï- ciens pour le critère de la vérité, adoptant leurs prémisses pour ensuite les ruiner et démontrer l’inexistence du critère. En effet, les arguments qu’op- pose Arcésilas, en M VII, 151 sqq. à la théorie de la connaissance stoïcienne sont d’origine platonicienne, aussi bien dans la forme que pour le fond : elles sont donc indépendantes des prémisses stoïciennes2. L’argument selon lequel la κατάληψις n’est pas un μεταξύ parce que ce n’est qu’un nom sans contenu réel n’est pas le retournement dialectique d’une thèse stoïcienne, mais un argument en sens contraire, tout comme l’objection que la κατά- ληψις n’existe pas si, comme le soutiennent les stoïciens, elle est un « assen- timent à la représentation compréhensive », puisque l’assentiment porte sur la proposition alors que la représentation, selon la définition de Zénon, est une τύπωσις, c’est-à-dire une simple affection de l’âme. De cette démon- stration de l’inexistence de la κατάληψις, Arcésilas pourrait déjà tirer la 2. Pour une analyse détaillée des arguments d’Arcésilas, tirés en partie du Théétète de Platon, je renvoie aux pages 82-93 de La Testimonianza di Sesto Empirico. La tradition sou- ligne aussi qu’Arcésilas admirait Platon, dont il possédait les ouvrages : cf. D.L. IV, 32 et Philod. Acad. Hist. (PHerc. 1021 et 164), col. XIX, 11-16 = Antigonus fr. 20A Dorandi. Sur la circulation de certains ouvrages de Platon dès l’époque du scolarcat de Polémon, cf. D.L. III, 66 = Antigonus fr. 39 Dorandi ; T. Dorandi attire l’attention sur les controverses re- latives à l’interprétation de ce passage (Dorandi 1999, p. LXXII n. 1 ; voir aussi Tarrant 2005, p. 153 et n. 75). L’ἐποχή chez Arcésilas 239 conclusion πάντα ἀκατάληπτα, mais il introduit un argument supplémen- taire, ὅτι οὐδεμία τοιαύτη ἀληθὴς φαντασία εὑρίσκεται οἵα οὐκ ἂν γένοιτο ψευ- δής, pour anéantir définitivement ce que prétendent les stoïciens, à savoir que « la représentation compréhensive est vraie et telle qu’elle ne peut être fausse ». Cet argument est le seul qui soit commun à la stratégie dialectique d’Arcésilas et à celle de Carnéade3, mais il est particulièrement significatif que les deux philosophes en tirent deux conclusions différentes. Carnéade l’utilise pour amener le sage stoïcien à reconnaître la nécessité de formuler des opinions, réduisant ainsi à l’absurde la thèse stoïcienne du sage ἀδό- ξαστος, tandis qu’Arcésilas contraint le sage stoïcien à suspendre son juge- ment sur toutes choses s’il veut maintenir son infaillibilité : πάντων δὲ ὄντων ἀκαταλήπτων ἀκολουθήσει καὶ κατὰ τοὺς Στωικοὺς ἐπέχειν τὸν σοφόν. Jusque- là, Arcésilas a discuté contra, en présentant des arguments contraires aux thèses stoïciennes, selon la méthode dialectique du disputare contra que les sources anciennes sont unanimes à lui attribuer4. Mais s’il en est ainsi, on peut supposer que l’argumentation sur laquelle se fonde l’ἐποχή est elle aussi une argumentation indépendante des prémisses stoïciennes. Il reste à établir si, comme je l’ai relevé plusieurs fois, le fait qu’Arcésilas souligne que « même » selon les stoïciens le sage suspendra son jugement suppose qu’il se soit prévalu de la démonstration de l’incompréhensibilité de toutes cho- ses non seulement pour amener le sage stoïcien à l’ἐποχή, mais aussi parce que l’ἐποχή est une conclusion qu’il partage. Or, dans la seconde partie de la réfutation, il démontre, à partir du renversement des thèses stoïciennes, que le sage stoïcien, s’il ne veut pas énoncer d’opinions, doit refuser son assenti- ment à tout, c’est-à-dire qu’il est contraint à ἀσυγκαταθετεῖν. C’est dans ce contexte qu’il explique que ἀσυγκαταθετεῖν, refuser son assentiment, n’est rien d’autre que ἐπέχειν, suspendre son jugement. S’il est vrai que ni le verbe ἀσυγκαταθετεῖν, ni le verbe ἐπέχειν n’ap- partiennent au vocabulaire stoïcien, le fait est que les stoïciens ne pouvaient pas ne pas prendre en considération l’éventualité que même le sage se trouve face à des représentations confuses. Zénon avait une confiance ab- 3. Cf. L VII, 164 ; La Testimonianza di Sesto Empirico, p. 136-137. 4. Selon la description de Cicéron, la méthode dialectique d’Arcésilas consistait à con- tredire : cf. p. ex. De fin. II, 2 ; De orat. III, 67. Le témoignage de Plutarque (de Stoic. repugn. 10, 1036) est particulièrement important : citant textuellement Chrysippe à l’appui, Plu- tarque attribue explicitement à Arcésilas le πρὸς τὰ ἐναντία διαλέγεσθαι. Chrysippe avait d’ailleurs polémiqué contre la méthode dialectique d’Arcésilas dans plusieurs de ses ou- vrages, dont un explicitement intitulé Πρὸς τὸ Ἀρκεσιλάου μεθόδιον πρὸς Σφαῖρον (D.L. VII, 198). 240 Anna Maria Ioppolo solue dans la possibilité d’atteindre une connaissance certaine fondée sur la κατάληψις, patrimoine commun aux sages et aux insensés, et il pensait que le sage stoïcien, en possession de la science, avait une ἕξις capable d’accueillir uniquement les représentations vraies. C’est pour cette raison qu’il n’avait pas forgé de terme technique pour désigner uploads/Philosophie/ pochi-chez-arcesilas.pdf

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