Le criminel d'habitude: aspects criminologiques Denis Szabo *: Criminels d'occa

Le criminel d'habitude: aspects criminologiques Denis Szabo *: Criminels d'occasion et criminels d'habitude: Ce n'est pas le d6linquant d'occasion, qu'il soit accus6 d'un crime grave comme le meurtre (par passion) ou de voies de fait (sous l'influence de l'alcool) ou de vol simple (sous la pression d'une n6ces- sit6 6conomique ou psychologique) qui mobilise l'appareil cofiteux et pl6thorique de l'administration de la justice dans nos pays. Ce sont les rcidivistes, les d~linquants d'habitude, constituant, suivant les estimations fort hasardeuses d'ailleurs, de 50 A 70% de la clientele de nos p6nitenciers, qui t6moignent de l'6chec de la soci6t6 A produire des citoyens respectueux des lois 6tablies en d~pit de p6nalit6s suc- cessives dont ils sont afflig~s. C'est donc un probl~me fondamental dans la criminologie moderne que d'essayer de pr6ciser les caract6- ristiques de ce type de criminels, noyau d'irr6ductibles qui ne don- nent pas ou peu de prise A l'intention preventive de la peine. Afin d'&clairer notre propos nous allons envisager successivement les definitions juridique, psychologique et sociologique du criminel d'habitude; ensuite nous d6velopperons la conception criminologique qui se d~gage de la litt6rature scientifique contemporaine. Finalement, nous concluerons en indiquant les cons6quences, sur le plan clinique (diagnostic et traitement) et sur le plan juridique (mesures 16gales) d'une conception criminologique du d~linquant d'habitude. Le ddlinquant d'habitude ou le r~cidiviste: definition juridique. Ii semble indispensable de faire une mise au point, du point de vue de l'histoire du droit penal, avant d'envisager d'autres d~finitions du r~cidivisme. En effet, le criminel d'habitude n'est devenu un sujet de pr6occupation grave pour la conscience collective que depuis fort peu de temps. La p~nalit6 des si~cles qui pre6daient le XVIIIe 6tait orientee principalement vers l'61imination. Une ordonnance de Phi- lippe II en 1570 pr6voyait l'application de la peine de mort d~s la troisi~me infraction et 'on connalit le plaidoyer de Thomas More pour une justice plus humaine dans une Angleterre qui, pour des vols d'une valeur infime, infligeait la peine capitale. Cependant l'esprit de resistance des milieux dirigeants fut tel qu'il devait situer dans une Utopie lointaine l'endroit oil les paysans affam6s ne sont pas * Dipartement de Criminologie, Universit de Montrial. ASPECTS CRIMINOLOGIQUES occis pour un simple vol de mouton. NManmoins, le syst~me arbitraire des peines permettait au juge de l'ancien r6gime de frapper A son gr6 le criminel. Dans une faible mesure donc, due A la pratique 61imi- natoire des cours, la notion de criminel d'habitude existait et d6ter- minait une certaine gradation des peines dans la pratique des cours. Le droit p6nal olassique, inspir6 par la pens6e philosophique du XVIIIe si~cle, (Montesquieu, Beccaria, Feuerbach) ignorait curieu- sement la notion de la r6cidive. Bas6 sur les postulats de la respon- sabilit6 morale, de la peine r6tributive et de la l6galit6 des d61its et des peines, seul l'616ment objectif mat6riel du d6lit importait. La force de la r6action contre la pratique arbitraire du droit de l'ancien r6gime fut telle que toute reconnaissance de la r6idive semblait aller h l'encontre du principe << non bis in idem >>, base m~me de Ia justice nouvelle. La peine du crime ne peut tre aggrav6e qu'en raison des circonstances qui s'y rattachent, qui lui sont concomitants et qui font un tout indivisible. La pression de la r~alit6 a fait ceder cependant assez rapidement les doctrinaires de l'cole olassique et celui qui en fut le repr6sentant le plus illustre formule comme suit la position qui, sous une forme ou une autre, se retrouve, implicite, dans nos codes, nos jurisprudences contemporaines: << On ne saurait pr~tendre, 6crivait Carrara, que la criminalit6 du second d6lit puisse recevoir un accroissement pour la r~cidive. La r6cidive n'ajoute rien A la nouvelle dette. Le coupable a sold6 la premiere, il serait injuste de la lui porter en compte une seconde fois. Les moralistes d6elament en vain contre la perversit6 plus grande que l'on rencontre chez les r6cidivistes. Le droit p6nal, qui est le juge comp6tent de la criminalit6 objective de fait ne pour- rait s'attacher A la culpabilit6 objective de l'agent sans sortir des limites qui 'lui sont assignees et les critiques des plus habiles crimi- nalistes resteraient sans r~ponse si l'on voulait rattacher l'augmen- tation applicable au r6cidiviste A une augmentation correspondante de l'imputabilit6>>. Et, commente monsieur Ancel, (1955), on voit que l'auteur prend grand soin de ne pas fonder l'aggravation de la peine du r6cidiviste sur la culpabilit6 subjective de l'agent: il n'y aurait qu'une circonstance aggravante objective (p. 13). C'est dans cet esprit que les l6gislations du XIXe si~cle ont admis la r6cidive et ont 6tabli une gradation pr6cise et presque automatique des peines, bas~e sur les 616ments purement objectifs de l'infraction. Ds la fin du XIXe si~cle, devant l'augmentation de la criminalit6 d'habitude, - phCnom~ne concomitant non seulement de l'industria- lisation et de l'urbanisation qui multiplient la proportion des gens d6racin6s de la soci6t en les rendant plus vuln6rables aux tensions anti-sociales, mais 6galement de la diminution, puis suppression pro- No. 4] McGILL LAW JOURNAL gressive, des peines 61iminatoires, - on constate l'inefficacit6 des peines classiques A r'gard des r~cidivistes. Une nouvelle reaction sociale voit le jour et se manifeste sous la forme de mesures de sfiret6; celles-ci s'imposent A l'6gard des d6linquants mentalement anormaux et des criminels d'habitude. La rel6gation et l'internement de sfiret6 sont les principales mesures qui apparaissent dans les l6gis- lations europ6ennes et am6ricaines A partir de 1880. Bas6es sur la notion d'incorrigibilit6, ces mesures de sfiret6 pr6voient, A ]a limite, rinternement A dur6e ind6termin~e des coupables comme par exemple la loi belge de d6fense sociale du 9 avril 1930. De nos jours, les l6gislations donnent une place de plus en plus large aux << mesures de sfiret6 >>, bas6es essentiellement sur les 616- ments subjectifs dans l'appr~ciation non seulement de l'acte criminel mais surtout de Ia personnalit6 du coupable. On s'efforce d'adapter la r6action sociale contre le crime aux donn6es psycho-sociologiques qui caract6risent la personnalit criminelle. Cette reconnaissance de rimportance des mesures de sfiret6, tant dans les 16gislations p6nales des pays de droit coutumier que dans ceux du continent, ouvre ]a voie au r6le accru des sciences humaines qui justement se proposent d'expliquer, par les m6thodes positives d'observation et d'exp6rimen- tation, les d6terminants de la personnalit6 criminelle. La personnalit6 criminelle: d6finitions psychologique et sociologique. Historiquement parlant, les explications A base bio-psychologique et A base sociologique sont contemporaines, bien que les premieres furent pr~dominantes durant la premiere moiti6 de notre siecle. Le concept de Lombroso sur le criminel-n6 apparut comme rapplication de la th6orie darwiniste sur le ph6nom~ne criminel qui ob6it A des lois de d6terminisme biologique. II est presque contemporain du lyonnais Lacassagne qui affirmait que chaque soci6t6 avait les cri- minels qu'elle m6ritait. Ges deux traditions se sont cependant d6ve- lopp6es paral~lement et nous sommes en presence aujourd'hui de d6finitions 6labor~es soit dans une perspective m6dico-psychologique soit dans une perspective socio-culturelle. Ce n'est que dans les ten- dances multi-disciplinaires de la criminologie que Pon s'efforce, tout r6cemment, de rapprocher ces deux points de vue et d'en faire une synth~se susceptible d'influencer et la pratique clinique et ]a pratique judiciaire. DMfinition psychologique. Bas6es sur l'6tude biologique et psychologique de la person- nalite, essentiellement sur celle des condanin6s A de longues peines [Vol. 13 ASPECTS CRIMINOLOGIQUES d'emprisonnement et par consdquent susceptibles de se pr~ter A des observations approfondies, ces d~finitions r~duisent les facteurs m6so- logiques au r&le des stimuli auxquels r6pond l'organisme bio-psychique. Deux tendances distinctes, souvent oppos~es, mais semblables quant A la d6marche mthodologique, sont A relever: celles qui placent l'ac- cent sur le biologique et en font d6couler le psychologique (Kinberg (1960) par exemple) -et celles qui placent le psychologique, produit d'influences parentales, au point de d6part de cette r~flexion (Fried- lander (1951) par exemple). R6sumons rapidement ces deux points de vue: d'apr~s le sufdois Kinberg, la valeur du stimulus mfsologique n'est jamais la m~me pour deux personnes. Parmi les impulsions psycho-chimiques innom- brables qui frappent l'organisme, seules celles qui poss~dent une cer- taine 6nergie atteignent la hauteur du seuil d'excitation de certains mfcanismes cfr~braux et deviennent des stimuli qui dfclenchent des reactions du sujet. En d'autres termes, chaque sujet choisit, selon sa structure personnelle, pour stimuli les impulsions m~sog~nes qui se rattachent A lui par une certaine affinit6. II s'ensuit que le milieu en tant que etimulus d6clenchant les rfactions humaines est une fonction de la personnaliti de l'individu et, d~s lors, afin de d6couvrir les causes d'un crime, il faut 6tudier la personnalit6 dans sa triple racine et envisager: a) le noyau constitutionnel de la personnalit6, c'est-h-dire l'alliage constitutionnel, les constellations, les tendances rfactionnelles fondamentales (variante constitutionnelle) ; b) les l6sions c6rdbrales 6ventuelles qui sont susceptibles de modifier ces tendances (variantes pathologiques) ; c) I'tat des iddes et des 6motions morales et de la sensibilit6 (fonction morale, sensibilit6 esth6tique). D'aprbs la psychanalyste britannique K. Friedlander, c'est l'im- pr6gnation de la personnalit6 par les valeurs et des normes d'origine sociale par le truchement des parents qui livrera la clef de l'expli- cation d'une personnalit6 d~linquante. C'est par l'identification suc- cessive aux figures parentales que se uploads/Philosophie/ szabo.pdf

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