Paru dans la revue Philosophiques no.2, volume 34, p. 229-58, 2007. Principes d
Paru dans la revue Philosophiques no.2, volume 34, p. 229-58, 2007. Principes de pragmatique formelle du discours Daniel Vanderveken (Université du Québec, Trois-Rivières) www.vanderveken.org Résumé Pourrait-on enrichir la théorie des actes de langage pour traiter du discours ? Wittgenstein et Searle ont signalé des difficultés. Beaucoup de discours n’ont pas de but conversationnel, leur arrière plan est indéfiniment ouvert, ils contiennent des énonciations dépourvues de pertinence et de félicité, et ainsi de suite. À mes yeux, l’objectif principal de la pragmatique du discours est d’analyser la structure et la dynamique des jeux de langage à but conversationnel. Pareils jeux de langage sont indispensables à tout genre de discours. La logique peut analyser leurs conditions de félicité car leur poursuite obéit à des règles constitutives. Beaucoup d’énonciations ne sont pas littérales ou sérieuses. Les unités de la conversation sont les actes illocutoires tentés, qu’ils soient littéraux, sérieux ou non. Comme Montague, je préconise l’usage de formalismes logiques en pragmatique. J’expliquerai comment il convient de réviser et développer les logiques intensionnelle et illocutoire, la logique des attitudes et de l’action afin de modéliser notre capacité de dialoguer. Je comparerai mon approche à d’autres (Austin, Belnap, Grice, Montague, Searle, Sperber et Wilson, Kamp, Wittgenstein) sur le plan de la méthodologie, des hypothèses et des enjeux. 1. Introduction Dans les sciences du langage, de la pensée et de l’action, on reconnaît à présent le rôle essentiel en toute communication des actes de discours, comme les actes d’énonciation, de référence et de prédication, les actes illocutoires et perlocutoires, ainsi que des attitudes des interlocuteurs comme leurs croyances, désirs et intentions. On a aussi compris l’importance cruciale des jeux de langage que les interlocuteurs entendent poursuivre ensemble, des formes de vie qu’ils partagent et de leur arrière-plan conversationnel. Selon la théorie des actes de discours, les unités premières de signification et de communication dans l’usage et la compréhension du langage ne sont pas des propositions isolées pourvues de conditions de vérité mais plutôt des actes illocutoires pourvus de conditions de félicité (Austin 1962). Les actes illocutoires élémentaires ont une force (Frege 1977) et un contenu propositionnel. Les interlocuteurs entendent toujours accomplir et communiquer des illocutions. Jusqu’à présent, la logique, la philosophie et la linguistique ont principalement étudié la capacité des interlocuteurs d’utiliser et de comprendre les seuls énoncés sans prendre beaucoup en considération leur capacité de tenir des discours entiers. Dans le même ordre d’idées, la théorie des actes de langage a surtout étudié les actes illocutoires individuels comme les assertions, les promesses et les requêtes que les interlocuteurs entendent accomplir en utilisant des énoncés à des moments d’énonciation particuliers. Pourtant, les interlocuteurs dialoguent 1 le plus souvent avec d’autres agents. Avant tout, l’usage du langage est une forme sociale de comportement linguistique. Il en résulte des conversations orales et des textes écrits. Peut-on étendre la théorie des actes de langage pour traiter de discours entiers ? Wittgenstein et Searle ont exprimé leur scepticisme. Les interlocuteurs ont souvent des objectifs extralinguistiques, ils sont engagés dans des activités communes et leur arrière-plan est indéfiniment ouvert. Ils font des énonciations sans félicité ni pertinence sans que cela interrompe pour autant leur dialogue. Ils changent aussi leurs objectifs de façon assez arbitraire. Ainsi l’exigence de pertinence impose relativement peu de contraintes à la structure de maintes conversations. Cependant les langues naturelles sont des langues publiques et la capacité de dialoguer fait sans nul doute partie de la compétence linguistique. Qui plus est, les protagonistes accomplissent toujours en tout discours (que ce soit un dialogue ou un monologue) des actes illocutoires capitaux afin d’atteindre des buts proprement linguistiques correspondant à une direction possible d’ajustement entre les mots et les choses. Ils manifestent des attitudes communes (but expressif), ils décrivent comment les choses sont dans le monde (but descriptif), ils délibèrent comment y agir (but délibératif) et ils font des choses avec leurs mots par déclaration (but déclaratoire). De tels objectifs linguistiques sont purement conversationnels. Des interventions discursives comme les échanges de salutations, de bienvenues et de nouvelles, les débats, les entrevues, les consultations, les négociations, les compromis, les prises de position et de décision, les contrats ainsi que les cérémonies d’inauguration, de mariage et de baptême sont des actes illocutoires conjoints d’un niveau supérieur irréductibles à des séquences d’illocutions individuelles instantanées. Plusieurs agents obéissant à des règles constitutives y contribuent chacun à leur tour durant un intervalle de temps. D’un point de vue logique, pareilles interventions possèdent un type et un thème et leur poursuite requiert de la coopération. La logique du discours, comme je la conçois, n’entend pas étudier tous les jeux de langage possibles mais seulement ceux dont l’objectif propre est linguistique. Il existe un grand nombre de pareils jeux de langage et ils sont indispensables à la poursuite de tout discours. Les interlocuteurs doivent tout d’abord se reconnaître en tant que protagonistes de la conversation et se mettre d’accord sur le genre de conversation en cours. Lorsqu’ils communiquent pour exécuter des tâches complexes, il leur faut tôt ou tard décrire leurs objectifs et délibérer comment procéder pour les atteindre. Le but de cet article est de présenter mon approche théorique en pragmatique du discours et de la comparer aux autres approches en cours quant à la méthodologie, aux hypothèses et à la problématique. Je tiendrai compte des travaux antérieurs en philosophie analytique (sur l’action, les attitudes et les actes de langage), en philosophie sociale (sur la coopération), en 2 logique philosophique (sur le sens, la dénotation, les forces, les attitudes et les actions), en sémantique formelle (en idéographie logique, grammaire universelle et théorie de la représentation du discours), en analyse de la conversation (sur les maximes, l’arrière-plan et les genres conversationnels), en linguistique (sur les marqueurs illocutoires et les verbes d’action) et en psychologie (sur la compréhension mutuelle). 2. Enjeux et objectifs théoriques À l’instar de Montague (1974), je pense que la pragmatique doit utiliser les ressources des formalismes et de la logique afin d’élaborer une théorie rigoureuse de la signification et de l’usage. Les langues naturelles peuvent être apprises par des agents humains dont les capacités cognitives sont créatives mais limitées (Chomsky). Les formalismes permettent de construire un meilleur modèle théorique de notre compétence linguistique et du mécanisme de la compréhension. Cependant, il convient de réviser de nombreuses hypothèses de la logique standard des propositions, des attitudes et de l’action afin de bien expliquer les conditions de félicité des illocutions. Les propositions avec les mêmes conditions de vérité ne sont pas les contenus des mêmes attitudes et illocutions, comme elles ne sont pas non plus les sens d’énoncés synonymes. On peut affirmer et croire que Paris est une ville sans pour autant affirmer et croire que c’est une ville et non un érythrocyte. La théorie des actes de langage requiert un critère plus fin d’identité propositionnelle. Elle requiert aussi une explication de l’intentionnalité et de la rationalité des interlocuteurs ainsi que de l’engendrement des différentes espèces d’actes de langage en logique de l’action. Il faut en outre intégrer la logique illocutoire dans l’idéographie de la sémantique formelle afin de clarifier la forme canonique des actes illocutoires exprimés par tous les types syntaxiques d’énoncés. Bien entendu, les unités premières réelles de la conversation sont les actes illocutoires qui sont tentés plutôt que ceux qui sont exprimés. La signification du locuteur est souvent différente de celle de l’énoncé utilisé. En cas d’ironie, de métaphore ou d’indirection, les locuteurs ne parlent pas littéralement, tout comme ils ne parlent pas sérieusement quand ils jouent dans une pièce de théâtre. Afin de contribuer à la pragmatique du discours, la théorie des actes de langage devrait expliquer pleinement la signification du locuteur (tous les actes illocutoires tentés qu’ils soient littéraux, sérieux ou non) ainsi que la structure et la dynamique des dialogues que les interlocuteurs sont aptes à poursuivre en vertu de leur compétence. Pour y parvenir, il faut une véritable théorie des maximes conversationnelles (Grice 1975) et des faits pertinents à l’arrière-plan conversationnel. Les maximes de Grice 3 sont malheureusement vagues et restreintes ; elles ne s’appliquent qu’aux énonciations assertives dans les discours à but informatif. Il convient de généraliser l’approche de Grice et de mieux expliquer la pertinence que ne l’ont fait Sperber et Wilson (1986) qui négligent à la fois les forces illocutoires et les buts conversationnels. Il convient en outre d’analyser ce que font les interlocuteurs quand ils ne parlent pas sérieusement mais feignent d’accomplir des actes illocutoires au théâtre comme dans la fiction. Afin de modéliser la dynamique de la poursuite du discours, on devrait enfin exploiter les ressources de la théorie des jeux (von Neumann) et profiter des développements récents en logiques dynamique, dialogique, paracohérente et non monotone ainsi qu’en théories de la représentation du discours et de la décision. Depuis Montague, de nombreux logiciens et linguistes ont exploité des formalismes comme la théorie de la preuve et des modèles conçus originellement pour les langues artificielles afin d’élaborer une sémantique formelle rigoureuse des langues naturelles. Certains ont indirectement interprété les énoncés ordinaires après les avoir traduits uploads/Philosophie/ pragmatique-formelle 1 .pdf
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- Publié le Apv 02, 2021
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