Cahiers de praxématique 36 | 2001 Linguistique de la dénomination Quelques enje
Cahiers de praxématique 36 | 2001 Linguistique de la dénomination Quelques enjeux de la dénomination en terminologie Some issues in term formation John Humbley Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/praxematique/338 ISSN : 2111-5044 Éditeur Presses universitaires de la Méditerranée Édition imprimée Date de publication : 1 janvier 2001 Pagination : 93-115 ISSN : 0765-4944 Référence électronique John Humbley, « Quelques enjeux de la dénomination en terminologie », Cahiers de praxématique [En ligne], 36 | 2001, document 5, mis en ligne le 01 janvier 2009, consulté le 19 avril 2019. URL : http:// journals.openedition.org/praxematique/338 Tous droits réservés Cahiers de praxématique 36, 2001 John HUMBLEY Université Paris 7 75251 PARIS CEDEX 05 (humbley@eila.jussieu.fr) Quelques enjeux de la dénomination en terminologie 0. Introduction Notre ambition n’est pas de présenter en résumé la position de la terminologie sur le sujet de la dénomination. La raison principale en est tout simplement que la question est trop vaste pour faire l’objet d’une synthèse succincte, car la dénomination se trouve mêlée, le plus souvent implicitement, à la quasi-totalité des réflexions théoriques sur la terminologie. En outre, quelques publications récentes font le point sur la question, en particulier celles du Centre de recherche en traduction et terminologie de l’Université de Lyon 2 (Thoiron éd. 1996 ; Boisson et Thoiron éd. 1997), et il nous a semblé préférable de caractériser la terminologie, puis d’examiner le processus de l’attribution de la dénomination. Nous séparons ainsi les deux sens de dénomination, qui, par une métonymie tout à fait régulière en français, désigne à la fois le processus (comment on donne un nom à un concept, ou bien comment on crée les termes, parfois appelé néonymie) et le nom issu de ce processus (le terme). En ce qui concerne la dénomination-processus, on prétend parfois que celle de la terminologie est le résultat d’une création consciente et systématique, contrairement ce qui se passe dans la langue dite géné- rale, dont la créativité lexicale serait inorganisée, incontrôlée. Or, si on regarde bien la réalité, on s’aperçoit que les créations conscientes et 2 Cahiers de praxématique 36, 2001 systématiques de dénominations terminologiques représentent des cas certes intéressants, mais plutôt minoritaires dans les vocabulaires spé- cialisés. En outre ces cas de création contrôlée sont distribués de façon inégale selon les spécialités, et aussi selon la nature du terme. Néan- moins, il est intéressant de prendre ce lieu commun comme prisme qui permet d’examiner la dénomination terminologique dans toute sa complexité, la soumettant à différentes grilles de lecture, la constante étant la nature et le degré de l’intervention possible sur le signifiant terminologique. Le fil conducteur est la proposition que la terminologie, comme secteur particulièrement soumis aux conventions des communautés ou des groupes qui la gèrent, est sujette à des interventions conscientes visant à répondre par le biais de la normalisation linguistique à certains enjeux de la communication spécialisée. Cette grille d’analyse nous permettra d’évoquer d’autres questions, notamment celles déjà posées de façon très pertinente il y a déjà quinze ans : « d’un point de vue socio-culturel, qui attribue les noms ? pourquoi ? comment ? » (Mortureux 1984 : 95). La description qu’on peut faire de la dénomination en terminologie dépend bien entendu de la définition du terme. La terminologie, et donc les termes, peuvent être vus selon le principe du prototype : s’il existe de bons oiseaux et de mauvais oiseaux, il existe aussi de bons termes et de mauvais termes, ou plutôt des termes que tout le monde reconnaît comme termes et d’autres qui font moins l’unanimité. La définition que nous adoptons ici, sans la formuler de façon précise, est englobante, et va de la nomenclature à toute sorte de formules linguistiques et non linguistiques exprimant une connaissance spécialisée. Il s’ensuit que certains termes sont des mots, ou des groupes de mots, d’autres des signes, surtout alphanumériques, d’autres encore des mélanges de signes linguistiques et non linguistiques. 1. Mise au point théorique et historique 1.1. Premières formulations : Eugen Wüster Eugen Wüster est généralement considéré comme fondateur de la terminologie moderne (« Les écoles terminologiques constituées, en général dépendantes, à travers Eugen Wüster, de la linguistique germanique de la première moitiés du XXe siècle, […] » Rey 1979 : Quelques enjeux de la dénomination en terminologie 3 30). Un axe significatif de cette linguistique est l’orientation résolument onomasiologique ; Wüster postule la primauté du concept dans l’exposition de sa théorie 1, aspect repris et souligné par tous ses successeurs, qu’on appelle souvent l’École de Vienne. Cette prise de position est de plus en plus contestée, surtout ces dernières années en France. Wüster ne néglige pas la dénomination pour autant. Un des neuf chapitres de son Introduction (Wüster 1985) est consacré aux dénominations ; il comporte trois fois plus de pages que le précédent, sur la définition, qui décrit et qui délimite le concept. « Nous avons vu, écrit-il, les concepts et les systèmes conceptuels et leurs relations, ensuite la description des concepts, les définitions, maintenant il est question des symboles linguistiques de ces concepts, leurs dénominations (Benennungen). Dans les langues de spécialité, on les appelle des termes. Ce sont des mots et des groupe de mots ». (tra- duction de Wüster 1985 : 32). On note en passant, outre l’orientation linguistique, une incohérence gênante lorsqu’on se penche sur la déno- mination : le terme est tantôt le signe linguistique dans son ensemble, tantôt uniquement le signifiant. Cette confusion est répétée par de nombreux auteurs, et souligne la difficulté qu’on éprouve à séparer la dénomination de son sens, même si on cherche, comme Wüster, à circonscrire le problème en limitant le signifié au concept spécialisé. Dans ce chapitre, Wüster s’attache aux aspects morphologiques des termes (allemands), leur composition, leur origine, leur flexion. Il distingue entre forme extérieure et intérieure ; celle-ci est la pronon- ciation et l’orthographe (soit des aspects de la dénomination), celle-là le sens de ses éléments. Il évoque ensuite les mots hérités, empruntés (Lehnwörter), étrangers (Fremdwörter) et ‘invités’ (Gastwörter). Ensuite il aborde les problèmes de la réduction morphologique (abré- viation et siglaison), qu’il examine sous l’angle de la prononciation, de 1 Wüster l’exprime ainsi : « Genau genommen bilden nur die Begriffe immer ein System, auf Grund der zwischen ihnen bestehenden Beziehungen. Die Bennennungen und andere Zeichen dagegen bilden im allgemeinen ein System nur mittelbar, d.h. dadurch, dass sie den Gliedern eines Begriffssystems zugeordnet sind. » À proprement parler, seul les concepts constituent un système, basé sur les relations qui existent entre eux. En revanche, les dénominations et autres signes constituent un système secondaire, dans la mesure où ils sont assimilés aux éléments du système conceptuel » Wüster 1985 : 78. 4 Cahiers de praxématique 36, 2001 l’orthographe, de la flexion, de la possibilité d’en faire des dérivés. À la fin de cette partie, il énonce des principes de création terminologique : il préconise l’emploi de sigles internationaux, qui renvoient à une langue internationale, surtout à l’anglais, sans oublier toutefois les langues classiques. Dans une section trop souvent oubliée, il présente les problèmes liés à la variation discursive des termes, les différentes formes qu’ils peuvent prendre dans les textes, non seulement en allemand, mais aussi en français et en anglais. En conclusion, et en guise de lien avec le chapitre sur le concept, il démontre que les différentes relations entre concepts peuvent être reflétées dans la façon de former le terme, c’est à dire par une dénomination motivée. Ainsi la composition d’un terme peut refléter sa place dans le système conceptuel. Il établit des critères qui doivent présider au choix de la bonne dénomination du terme — par exemple il critique Tonaufnah- megerät, car cet appareil enregistre non seulement des sons (purs : Töne) mais aussi des bruits, et propose à la place Schallaufnahmegerät. La place du concept et du système conceptuel, et leur indépendance par rapport aux dénominations, constituent un point central de la doc- trine wüstérienne. Wüster laisse entendre que les dénominations doivent refléter de la façon la plus fidèle possible ce système conceptuel et que s’il faut une intervention sur la langue, c’est précisément pour rapprocher les deux, afin d’atteindre la biunivocité (Wüster 1985 : 79) : une dénomination qui désigne un concept, et ce concept dénommé par une seule dénomination. Pour Wüster donc, l’intervention sur la dénomination fait partie de la terminologie : il parle davantage de « choix » de que de création ou d’intervention, et il n’en précise pas les modalités, mais il définit bien le cadre de cette activité : la traduction, l’emploi de sigles et d’abré- viations, sans pour autant prôner une rigidité qui lui est souvent prêtée : la variation textuelle de la dénomination (à l’exclusion du concept) est pleinement reconnue et prise en compte. 1.2. Alain Rey La doctrine de Wüster est présentée au public français surtout dans les écrits d’Alain Rey, puis sous la plume du sémanticien Pierre Lerat. Alain Rey reprend à son compte un aspect de la terminologie déjà évo- qué par l’école de Vienne, mais qu’il minimise comme elle : « Certes, Quelques enjeux de la dénomination en uploads/Philosophie/ praxematique-338.pdf
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- Publié le Jui 27, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
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