* Psychanalyste et philosophe. Maître de conférences à la faculté de Médecine d
* Psychanalyste et philosophe. Maître de conférences à la faculté de Médecine de l’Université fédérale de Rio de Janeiro. Membre de l’Espace brésilien d’études psychanalytiques. Pulsion de mort : cause ou effet ? • André Martins * • Freud proposa la pulsion de mort, d’une part, comme une explication à cer- tains cadres cliniques qui ne trouvaient pas de réponse dans sa théorie des pul- sions précédente, d’autre part, comme une solution à l’impasse théorique liée au dualisme mis en question par Jung. Nous nous proposons d’analyser ces deux aspects, clinique et théorique, de sorte à, inspirés de Spinoza, poser la question : Ce que l’on peut appeler la pulsion de mort, est-ce une cause ou un effet ? La conception de la pulsion de mort répondait à deux champs de questions, l’un métapsychologique, l’autre clinique et phénoménal. Les manifestations de la pulsion de mort comportent le sadisme et les pulsions destructives lorsqu’elle se tourne vers l’extérieur ; le masochisme primaire lorsqu’elle se tourne vers l’inté- rieur, caractérisé par la contrainte de répétition qui serait à son tour à l’origine des névroses de transfert, de destin et traumatiques, ainsi que des jeux d’enfant. Les masochismes secondaires seraient caractérisés par le retour du sadisme sur le moi, mais satisferaient le masochisme primaire. Le sadisme et la destruction auraient ainsi la fonction d’éviter l’autodestruction. Dans les textes qui suivent Au-delà du principe de plaisir, Freud reprit très souvent l’idée de la pulsion de mort, sans la modifier significativement. Dans Le moi et le ça, par exemple, Freud énumère trois destins possibles pour les pulsions de mort : fusionner avec les pulsions sexuelles ou érotiques en général et par là perdre leur caractère destructif ; se dévier vers le monde extérieur sous la forme de la violence ; rester dans l’intérieur de l’individu comme autodestruction. Ces trois destins coexisteraient à des degrés différents en chaque personne. 166 • FIGURES DE LA PSYCHANALYSE 12 • 1. Ibid., VI, p. 333. 2. Ibid., VI, p. 334. 3. Ibid., VI, p. 316-317. Considérations préliminaires de méthode et de démarche, ou comment penser la théorie en psychanalyse Freud, dans ses écrits, appelle souvent le lecteur à avoir une lecture critique de ce qu’il propose lorsqu’il s’agit de spéculations de sa part, d’hypothèses théo- riques qui ne peuvent jamais, en tant que telles, être exactement « confirmées » par l’observation clinique. Dans Au-delà du principe de plaisir, Freud le dit très clairement : pour suivre une idée telle que celle de la pulsion de mort, il est inévi- tablement nécessaire de combiner « plusieurs fois de suite du factuel avec du pur produit de la pensée, ainsi en s’éloignant beaucoup de l’observation 1 ». À quoi il rajoute que ce travail est assez souvent dominé « par des préférences profon- dément enracinées », auxquels la spéculation donne avantage 2. Freud rappelle très souvent aussi la philosophie de Schopenhauer, ainsi que, de temps en temps, celle de Platon. Il écrit encore, faisant allusion à Schiller : « Peut-être cette croyance que la mort qui advient est en conformité interne avec une loi n’est-elle encore qu’une des illusions que nous nous sommes créées “pour supporter la lourdeur de l’existence” 3 ». Plus précisément, créée afin d’aider à accepter le fait de la mort, en opposition à la croyance primitive selon laquelle la mort viendrait toujours d’une cause extérieure qui aurait pu être évitée. Tous ces aveux seraient-ils de la rhétorique ? Que de la rhétorique ? Nous ne le pensons pas. Il s’agit de la franchise d’un investigateur et créateur de théorie qui a eu le courage de la changer assez souvent au long de sa vie, et qui avait le désir de voir ce chemin de recherche investigatrice se développer dans le futur. Comment alors comprendre que les psychanalystes osent, le plus souvent, si peu ? Nous pensons que l’origine de cette prudence sans doute excessive vient du fait que Freud a toujours souligné que, disons, l’essence de la psychanalyse devait être gardée, devait traverser et survivre aux changements de théorie. Lui-même a donné l’exemple de ce qu’était ne pas respecter cet aspect essentiel, lorsqu’il s’est séparé d’Adler ou de Jung. Ce qui était en jeu, c’était bien de préserver cette essence. Pour nous psychanalystes, un message dérivé est sans doute resté, qui semble être celui d’un tabou, d’un canon à adopter, d’un dogme à défendre à 167 PULSION DE MORT : CAUSE OU EFFET ? tout prix, l’image d’une doctrine close, imperméable aux changements, pouvant chasser les insoumis ou les rebelles. Un legs marqué par la peur d’une perte d’identité, bien différent de l’exercice investigateur et innovateur freudien. La question qui aurait engendré cette confusion, et qui demeure, est cepen- dant : quelle est cette essence ? Il nous semble qu’Adler et Jung auraient suivi un chemin de dénaturation de la psychanalyse du fait d’avoir amenuisé l’importance de l’inconscient, au profit d’une surestimation du moi et de la personnalité. Autrement dit, les analyses qu’ils ont proposées ou qu’ils ont engendrées n’iraient pas jusqu’aux causes psychiques plus profondes des névroses ou des dif- ficultés subies par les patients. Chercher les sources profondes des difficultés psy- chiques serait ainsi une première caractéristique fondamentale de la psychana- lyse. L’importance de la sexualité en serait une autre, sûrement. L’obstination de Freud à préserver le dualisme de sa théorie peut nous informer d’une autre carac- téristique fondamentale quant à ce qu’il vise : le conflit psychique, voire pulsion- nel, ainsi que le fait de la non complétude de l’existence et de l’être humain. Tout psychanalyste doit sentir – ou savoir, même si ce n’est pas consciemment – ce qui fait que la psychanalyse est psychanalyse. Freud le savait très bien, et c’est cela qui lui permettait de créer des théories, de les changer et de faire des recherches libres. Mais la plupart d’entre nous, ou nous tous la plupart du temps, avons peur de viser mal, de quitter le terrain de la psychanalyse, de sorte que les textes freudiens, ou de ses continuateurs, nous servent évidemment de repères. Le problème, c’est que bien souvent on doit discerner quels sont les repères qui risquent de devenir canoniques et surmoïques. Mais si l’on se fie à notre savoir psychanalytique, même s’il est inconscient, nous pouvons nous permettre d’oser davantage. Autrement dit, si la psychanalyse n’est pas une philosophie – et à notre sens elle ne l’est pas –, elle ne doit pas s’attacher au contenu d’une théo- rie, c’est précisément ce contenu théorique que Freud a tant changé tout au long de son parcours, au point qu’on doive dire « siennes » ses théories, au pluriel, ses topiques, ses théories des pulsions, sans que ce qui fait que la psychanalyse est de la psychanalyse ait jamais été mis en question. C’est précisément en croyant à cette caractéristique fondamentale de la psy- chanalyse qu’est la recherche clinique de la compréhension des causes des diffi- cultés psychiques que, dans notre expérience clinique, nous nous sommes posé des questions au sujet de la pulsion de mort. Serait-elle nécessaire, ou même inté- ressante, pour expliquer les phénomènes qu’elle se propose d’expliquer ? Est-elle utile, a-t-elle des avantages ? Est-elle fondamentale pour maintenir les caracté- 168 • FIGURES DE LA PSYCHANALYSE 12 • ristiques fondamentales de la psychanalyse telles qu’elles étaient menacées par les conceptions divergentes de Jung à l’époque d’Au-delà du principe de plaisir ? Revisiter les manifestations cliniques de la pulsion de mort Récapitulons et revisitons, à la lumière de l’observation clinique, les situations que Freud a présentées. Le principe de plaisir consiste à chercher la libération des tensions tandis que, selon le principe de réalité, nous acceptons des tensions, des déplaisirs ou même des angoisses, afin d’obtenir d’autres sortes de plaisirs, en ayant reporté le plaisir de la décharge immédiate des tensions. Aussi la gestion de nos déplaisirs et de nos devoirs peu ou pas plaisants n’irait-elle pas contre le prin- cipe de plaisir. Le principe de plaisir serait également présent dans les névroses, où le refoulement provoque du déplaisir du fait, disons, de n’être jamais vraiment réussi, c’est-à-dire de ne pas empêcher que certaines pulsions refoulées s’expri- ment, ce qui engendre de la souffrance due au conflit entre le ça et le surmoi. La première manifestation de la pulsion de mort serait donc les rêves dans les cas de névrose traumatique. Car si le rêve révèle toujours des désirs refoulés, et si dans ces névroses le contenu révélé est douloureux, alors il faudrait conclure qu’il s’agit d’un désir masochiste. Le masochisme, donc, serait un premier signe ou symptôme de l’existence d’une pulsion de mort en nous. Freud passe alors au jeu d’enfant avec la bobine à fil. Il remarque que la joie la plus grande de l’en- fant vient du retour de la bobine, qui correspondrait au retour de sa mère après une absence. Il remarque encore que cette expérience permet à l’enfant de maî- triser un évènement désagréable sur lequel il n’avait pas eu de maîtrise. Freud ne se contente pas de sa propre explication uploads/Philosophie/ pulsion-de-mort-cause-ou-effet-andre-martins.pdf
Documents similaires










-
56
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Mar 10, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
- Langue French
- Taille du fichier 0.1412MB