Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture Secré

Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture Secrétariat des pays du Commonwealth CLT-99/CONF.601/CPL-5 Paris, janvier 1999 Original anglais Colloque VERS UN PL URALISME CONSTRUCTIF (Siège de l’UNESCO, Paris, 28-30 janvier 1999) Contribution au débat sur Le défi du pluralisme L’INTERCULTURALITE : UNE APPROCHE PHILOSOPHIQUE par Rudolph Brandner, philosophe Université de Fribourg (Allemagne) (CLT-99KONF.60KLD.2) Les dénominations employées et la présentation adoptée dans le présent document en ce qui concerne les différents pays et territoires n’impliquent aucune prise de position du Secrétariat sur leur statut légal, leur régime ou le tracé de leurs frontières. L’auteur est responsable du choix et de la présentation des faits contenus dans le présent document, et les opinions qu’il y exprime ne sont pas nécessairement celles de l’UNESCO et n’engagent pas l’Organisation. TABLE DES MATIERES 1. Remarques préliminaires 1.1 L’effet pratique de la pensée philosophique 1.2 Approche éthique contre approche technologique de l’interculturalité 1.3 La constellation bipolaire de l’interculturalité contemporaine 1.4 Les antagonismes dialectiques de l’interculturalité 1.5 Questions politiques et philosophiques liées à l’interculturalité 2. Opposition entre religion et rationalité scientifique et technologique 2.1 Le concept de religion 2.2 La révolution scientifique et technologique 2.3 Le problème sotériologique dans la perspective interculturelle 3. Conclusion : la question des recommandations pratiques CLT-99/CONF.601/CPL-5 1. Remarques préliminaires’ 1.1 L’effet pratique de la pensée philosophique On pourrait penser que les philosophes risquent fort de se couvrir de ridicule quand ils tentent de prendre en charge une demande qui concerne des applications pratiques, Or, la pensée philosophique est en soi pratique : en modifiant et en transformant notre compréhension des choses et le monde en général, nous ferons évoluer notre comportement et nos interactions avec ce qui nous entoure. Le plus souvent, ces transformations s’opéreront dans la durée ; comme la philosophie est abstraite car elle fait correspondre des situations empiriques concrètes à des caractéristiques essentielles de l’être, son effet sur le monde historique peut difficilement être immédiat. La représentation historique des théories philosophiques prend du temps car la prise de conscience conceptuelle est un processus fondamental, et rien ne permet d’affirmer que ces théories resteront dans le monde historique telles qu’elles ont été initialement conçues. S’agissant de l’interculturalité, l’effet pratique immédiat de la pensée philosophique devient évident dès lors qu’on admet que la pensée de l’être humain, dans son fonctionnement spontané, est toujours d’une manière ou d’une autre enracinée dans des expressions culturellement prédéterminées qu’il convient de neutraliser si l’on veut rendre possible la rencontre avec autrui. Comme la réflexion philosophique sur l’interculturalité ne peut en aucun cas prétendre faire accéder immédiatement à une “superperspective transculturelle”, seule la persévérance dans l’étude des présuppositions issues du mode de pensée classique en cours depuis des millénaires permettra d’atteindre l’ouverture d’esprit nécessaire. La pensée en soi devient un exercice permanent qui consiste à transformer des expressions prises pour hypothèses en un nouveau terrain de rencontre du monde et des choses ; c’est fondamentalement ce travail du sujet qui philosophe sur lui-même, qui pourrait ouvrir de nouvelles perspectives de rencontre interculturelle. Par conséquent, l’aspect “pratique” de la pensée ne saurait consister à demander à d’autres de concrétiser nos idées ; il réside seulement dans la force de transformation de l’être humain proprement dit et de sa relation au monde. La pensée n’est pas pratique au sens technologique de production d’objets, autrement dit par la transformation d’objets mentaux en entités “réelles” ; elle l’est par la transformation des sujets humains eux-mêmes, par la compréhension de leur façon d’être. Si l’on se place du point de vue de la transformation de la relation de l’être humain au monde, alors la pensée philosophique est, de cette façon non apparente révélée par les événements marquants de I’Histoire, immédiatement pratique. Sa finalité est la constitution “éthique” de l’être humain, au sens original d”‘ethos” (résidence, séjour, habitation), la manière spécifiquement humaine d’habiter le monde. I Pour mieux situer la présente étude, le lecteur anglophone peut consulter l’article que j’ai intitulé : The sit~rt~on qf’philosophy todoy md the question of Intercdturality, publié dans (1) Mesotes. Zeitschrift für philosophischen Ost-West Dialog, avril 1994, p. 491-5 13, et (2) Journal of Indian Council of Philosophical Research (JICPR), Vol. XIII, no 1, Delhi, 1996, p. l-28. Pour l’élaboration conceptuelle de l’aspect philosophique de “l’interculturalité”, le lecteur germanophone peut se reporter à la monographie que j’ai rédigée sous le titre : Heideggers Begr$f’der Geschichte und dus neuzeitliche Geschichtsdenken, Vienne, 1994. CLT-99/CONF.60lICPL-5 - page 2 1.2 Approche éthique contre approche technologique de l’interculturalité Il importe d’autant plus de privilégier cette orientation axée sur le sujet éthique que le débat sur l’interculturalité a été marqué, dans une certaine mesure avec le modèle techno- logique, par les affirmations constantes de valeurs abstraites (prétendument universelles) que l’humanité tout entière est censée tenir pour acquises, au besoin sous la contrainte d’institutions politiques et juridiques comme les Nations Unies. Comme ce n’est pas en imposant des “valeurs” de l’extérieur qu’on parvient à créer la réalité d’un “ethos” intériorise par l’être humain, le discours interculturel a trop souvent dégénéré en une plainte rituelle sur le refus manifeste du monde historique de fonctionner selon les aspirations de l’idéologie occidentale ; les prétendues “valeurs universelles” issues de la laïcisation opérée au siècle des lumières ne représentent pas l’humanité dans son être historique et son projet de partage d’un monde seul et unique. En vérité, ce n’est guère surprenant : à quei titre des peuples dont l’expérience historique n’est pas marquée par la désacralisation de la religion chrétienne ni par la montée de la rationalité scientifique et technologique avec ses transformations socio- économiques et politiques et sa désorientation métaphysique devraient-ils concevoir leur relation au monde en des termes qui tout simplement ne correspondent pas aux expériences concrètes qu’ils ont accumulées au fil des générations ? A cet égard, la principale lacune du débat sur l’interculturalité axé sur les valeurs tient, semble-t-il, à la rapidité avec laquelle la dimension historique de l’être humain s’est imposée. On semble considérer ce qu’est l’être humain comme une circonstance momentanée, instantanée, dépourvue de la dimension historique qui l’a fait devenir ce qu’il est, par ses expériences et ses dispositions culturellement déterminées. Or l’homme n’est pas tombé du ciel ; la personne’ en tant qu’individu est au contraire le masque dans lequel résonnent l’expérience collective accumulée au cours des siècles et des millénaires, les savoirs et les arts peu à peu distillés, et l’aptitude à s’adapter au monde dans sa fïnitude d’être humain. La croissance “naturelle” des communautés et des sociétés humaines au fil du temps en tant qu’incarnation d’un certain “ethos”, et la constitution dans une perspective historique d’une relation culturellement spécifique entre 1’Homme et le Monde représentent la seule véritable dimension de la pensée interculturelle. Celle-ci ne peut parvenir au niveau d’ouverture requis qu’en approfondissant la connaissance de sa constitution chronologique, autrement dit en n’opérant aucune rupture avec l’histoire, et en ayant davantage conscience du caractère contestable de certaines évidences fondamentales considérées de tout temps comme des vérités premières. A cet égard, la pensée interculturelle n’est pas l’exclusivité de certains “spécialistes” ; elle concerne tous ceux qui n’ignorent rien de leur situation dans un monde multiculturel. Contrairement au modèle technologique courant qui privilégie la dimension historique de l’être humain en ayant recours à des définitions extérieures, juridiques et politiques, pour mieux concrétiser des valeurs abstraites, l’approche éthique insiste sur l’évolution historique des êtres humains en fonction de leurs traditions particulières, et sur l’élaboration spontanée. de stratégies culturelles spécifiques adaptées au monde moderne. Aucune réglementation extérieure ne peut se substituer à ce qui relève de l’évolution intérieure de l’être humain dans un contexte traditionnel et historique qui lui est propre. Si la question éthique demeure au Rappelons que le mot “personne” vient du latin “per-sonare” (retentir, résonner) utilisé pour désigner le masque de théâtre. CLT-99/CONF.601/CPL-5 - page 3 coeur du processus interculturel, il n’en demeure pas moins qu’il est absolument nécessaire d’assortir ce processus de moyens socio-économiques, juridiques et politiques pour faciliter le dialogue entre les cultures à l’époque contemporaine. L’approche éthique n’est en aucun cas exclusive ; au contraire, dans le long terme, elle insiste sur l’absolue nécessité de l’autonomie dans la participation à la culture et à sa façon de relever le défi de la modernité dans une perspective historique. Reconnaître que le caractère artificiel de l’histoire est un processus autonome qui relève des interactions d’une réalité multiculturelle entraîne un certain scepticisme à l’égard de ceux qui imposent des “valeurs universelles” et toute forme de “pensée posée comme postulat” prétendant maîtriser parfaitement la vérité que l’humanité doit admettre. S’agissant de la probité intellectuelle qui consiste à percevoir la réalité humaine telle qu’elle est - le principe de réalité - la question qui se pose est plutôt la suivante : que pourrait-il arriver dans des circonstances et un contexte historiques donnés, et comment orienter des tendances historiques reposant sur des faits en vue de leur meilleur accomplissement possible’ ‘ ! Le “pluralisme constructif’ pourrait ici être pertinent, si et siulement si il est profondément enraciné dans la réalité historique proprement dite et ses tendances intrinsèques. 1.3 uploads/Philosophie/ towards-a-constructive-pluralism.pdf

  • 34
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager