RÉALITÉ VIRTUELLE ET RÉALITÉ SEXUELLE Carlo Viganò, Traduction de Marie-Rosalie
RÉALITÉ VIRTUELLE ET RÉALITÉ SEXUELLE Carlo Viganò, Traduction de Marie-Rosalie Di Giorgio L'École de la Cause freudienne | « La Cause freudienne » 2009/3 N° 73 | pages 37 à 41 ISSN 2258-8051 ISBN 9782905040671 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-la-cause-freudienne-2009-3-page-37.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour L'École de la Cause freudienne. © L'École de la Cause freudienne. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Croyant avoir inventé ce néologisme, il l’emploie sous les espèces de la négation, soit pour dire que l’intimité se perd comme valeur de la vie sexuelle. Jacques Lacan se prête à ce genre de distorsions ou contresens : on détourne l’usage de l’un de ses néologismes, « extimité » en l’occurrence, et on le vend comme le nom d’un nouveau phénomène humain et clinique de la société contemporaine. Or, pour Lacan, c’est au contraire le registre de l’extime, l’impossible à dire du rapport sexuel, qui constitue le ressort de toute intimité sexuelle. Mais quelle est l’incidence subjective de l’artifice virtuel, quand celui-ci tend à libérer l’organisme humain du choix forcé du langage (aliénation) et propose une forme de communication supposée rendre le rapport sexuel possible ? Au fond, le capitalisme moderne offre le même type de perversion lorsqu’il transforme cette mesure symbolique de la richesse qu’est l’argent en un objet qui peut à son tour s’acheter. On passe, en effet, du « je paierai » de la reconnaissance de dette à la perversion de l’éternisation de la dette ; celle-ci, dès lors soustraite au réel du temps, se faufile au-delà de la mort. Vu sous cet angle, le virtuel ne s’oppose plus tant au vrai ou à la vérité scientifique, formelle, qu’à la vérité de la parole et à l’échange : ce dernier n’implique-t-il pas de consentir à ne pouvoir, cette vérité, la la Cause freudienne n° 73 * Carlo Viganò est psychanalyste, membre de l’École de la Cause freudienne et de la Scuola lacaniana di psicoanalisi [SLP]. Ce texte a été présenté lors des Journées annuelles de la SLP (16-17 mai 2009, Naples) qui avaient pour titre Variazioni sessuali e realtà dell’inconscio [« Variations sexuelles et réalité de l’inconscient »]. © L'École de la Cause freudienne | Téléchargé le 31/07/2021 sur www.cairn.info (IP: 188.77.46.168) © L'École de la Cause freudienne | Téléchargé le 31/07/2021 sur www.cairn.info (IP: 188.77.46.168) Carlo Viganò dire toute, autrement dit d’accepter la dette symbolique ? Seule la position de l’analyste, permet que, sous transfert, cette vérité se mette en acte comme réalité sexuelle de l’inconscient ; le concept psychanalytique de transfert sera donc notre pierre de touche pour appréhender les effets de la réalité virtuelle sur la réalité sexuelle. Virtuelle réalité Posons d’abord que, pour l’être parlant, la réalité se forme via la fenêtre du fantasme : c’est la réalité psychique que Freud a toujours différenciée de la « réalité extérieure ». Il y a ainsi discontinuité entre ce que les instruments scientifiques permettent d’observer et l’imaginaire, qui se forme à partir du stade du miroir. La réalité est une création, celle-là même qui, lors d’un déclenchement psychotique, est réellement perdue, au point de devoir être reconstruite par le sujet au travers du délire. La réalité est en somme une formation de l’inconscient. Là se trouvent les origines de la littérature et de l’art, eux-mêmes dérivés du jeu de l’enfant…, soit tout ce que Freud rapporte à « l’Autre scène », l’Autre du langage pour le dire avec Lacan – qui, rappelons-le, trouva dans le surréalisme une source féconde. À différents moments de son enseignement, Lacan a présentifié l’espace de la réalité au moyen du schéma optique : situé au-delà du miroir plan (A), l’espace y est virtuel au sens des lois de la réfraction optique. Pour le sujet, la réalité, c’est ce qui est derrière le miroir ; ce champ de perspective se trace à partir de l’Idéal du moi – I(A), selon la notation de Lacan1. Un nouveau champ de recherche clinique s’ouvre aujourd’hui à partir des transformations du langage produites par internet dans un monde où l’Autre n’existe pas – déclin des idéaux que Jacques-Alain Miller écrit I < a. En effet, ces transformations ne concernent pas le caractère virtuel de la réalité (qui reste un fait de structure) mais une question plus délicate, son envers presque, c’est-à-dire la structure de l’aliénation, la topologie de l’Autre sur laquelle repose cette virtualité. Un monde virtuel sans désir ni angoisse Tel est le cas de Second life. Présent sur le marché en ligne depuis 2003, Second life est un univers électronique tridimensionnel, négociable, non périssable, ouvert et hautement configurable. « Créer une simulation numérique du monde » : voilà le nouveau besoin auquel il répond, besoin qui, dans bien des cas, peut être envisagé comme une véritable demande. Incontestablement créatif, cet espace est d’accès libre et fortement participatif. Contrairement aux programmes que nous utilisons habituellement (du type Office par exemple), ce programme est ouvert2, et l’acte de naissance du sujet consiste à le modifier. 38 1. Cf. Lacan J., « Remarque sur le rapport de Daniel Lagache : “Psychanalyse et structure de la personnalité” », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 647-684. 2. En Amérique du Nord, les programmes ouverts ont donné naissance à un courant de pensée : l’open source. © L'École de la Cause freudienne | Téléchargé le 31/07/2021 sur www.cairn.info (IP: 188.77.46.168) © L'École de la Cause freudienne | Téléchargé le 31/07/2021 sur www.cairn.info (IP: 188.77.46.168) Réalité virtuelle et réalité sexuelle 39 Le séjour à titre permanent dans cet univers obéit cependant à une règle de type capitaliste. La cote des échanges effectués en 24 heures avoisine actuellement le million de dollars. Un tiers de ces échanges est de nature sexuelle, allant de l’acquisition d’organes génitaux à des activités sexuelles payantes (prostitution), en passant par la pédophilie et sa réglementation instable ou sa dérèglementation mouvante. Les résidents sont aujourd’hui 3 400 000. Ils passent en moyenne un tiers de leur temps dans Second life, mais certains y vivent à temps complet. De nombreux objets créés dans Second life sont désormais commercialisés au-delà des frontières dudit univers, sous la forme d’écrits, de vidéos, de musiques, mais aussi de cours, de simulations à but thérapeutique – pour le syndrome d’Asperger, pour les hallucinations, etc. La complexité de cet univers virtuel le rend même si sélectif que la majorité des visiteurs abandonne après la première visite. Si l’on considère la position du sujet dans ce que nous nommerons le transfert médiatique, une différence majeure sépare l’Autre en jeu dans Second life d’une part, et dans Face book d’autre part. Le premier est entièrement commercial, à l’instar de la chaîne de Saint-Antoine, tandis que le second peut servir le lien social et le discours, laissant donc un reste. La différence se situe précisément là où Shakespeare a introduit la livre de chair dans son Marchand de Venise. Le jeu purement commercial se pose comme une voie alternative, qu’on dirait plutôt aujourd’hui « préventive » – au sens de ce que l’on appelle aujourd’hui la « santé mentale » – eu égard à la prématurité du petit d’homme que Lacan met au principe du stade du miroir. C’est en effet l’expérience du miroir qui, dans l’espace virtuel, amène le sujet à repérer son corps comme moi idéal, i’(a)3. Mais cette opération complexe, pourquoi ne pas penser que je pourrais en faire l’économie et ce, en modelant le vase de mon corps dans un espace virtuel préformé par un artifice technologique lequel, étant monnayable, me permet de court-circuiter par ce biais l’extraction de la livre de chair ? Si l’écran de l’ordinateur se substitue au regard de la mère, l’image qui entre dans le jeu de l’enfant ne sera pas le moi idéal mais un « avatar », c’est-à- dire un double avec lequel il n’y a pas d’identification possible. Car, comme l’indique le terme d’avatar qui a cours dans cet univers, il s’agit d’une réincarnation. Il y uploads/Philosophie/ realite-virtuelle-et-realite-sexuelle.pdf
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- Publié le Apv 29, 2021
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