Raisonnement critique : tous défaillants, tous concernés Helen Lee Bouygues, Fo

Raisonnement critique : tous défaillants, tous concernés Helen Lee Bouygues, Fondation Reboot Helen Lee Bouygues Janvier 2019 SOMMAIRE I. Raisonnement critique : tous défaillants, tous concernés II. État des lieux du raisonnement critique Principaux enseignements de l’enquête menée par la Fondation Reboot en octobre 2018 1. Contexte de l’étude 2. Principaux enseignements 3. Méthodologie 3 11 14 27 3 RAISONNEMENT CRITIQUE : TOUS DÉFAILLANTS, TOUS CONCERNÉS Nous vivons une drôle d’époque. L’information n’a jamais circulé aussi vite, ne s’est autant joué des frontières. Le revers de la médaille est que cet immense progrès semble surtout bénéficier aux infox (« fake news ») et aux opinions les plus tranchées voire les plus radicales. D’où vient ce phénomène, pourquoi l’infox se hisse-t-elle au rang de vérité ? Une enquête menée en octobre 2018 par la Fondation Reboot apporte des éléments de réponse. « Il y a urgence à redonner sa place au raisonnement critique », observe sa présidente, Helen Lee Bouygues. Car même au pays de Descartes, il semblerait que l’on ait désappris à réfléchir . Savoir raisonner a toujours été un atout ; mais aujourd’hui, dans notre environnement de plus en plus complexe, plus qu’un atout, des qualités de réflexion solides sont devenues une nécessité. Dans une étude récente, la chercheuse américaine et professeure de psychologie Heather Butler a montré qu’« il arrive moins de mauvaises choses à ceux qui utilisent leur esprit critique » 1 : ces derniers seraient moins susceptibles d’hypothéquer leur maison ou de s’endetter , à l’inverse de ceux qui manient peu le raisonnement critique et seraient plus enclins à consommer de l’alcool au volant par exemple.2 Pire, il est abondamment prouvé que le manque de pensée réfléchie met notre démocratie en danger. Partout dans le monde, des politiciens utilisent réseaux sociaux et nouvelles technologies pour diviser au lieu de rassembler , et propager des idées que l’on a vu renaître et qui balaient un large spectre allant du racisme au fascisme.3 Le constat est unanimement partagé, mais paradoxalement on a l’impression que l’aptitude à raisonner se trouve de plus en plus reléguée au second plan, voire « ringardisée ». Comment en est- on arrivé là ? Nos institutions en font-elles assez pour donner aux écoliers, aux étudiants et finalement à tous les citoyens, des outils de raisonnement critique efficaces ? Les parents sont-ils assez armés pour aider leurs enfants à développer leurs capacités de réflexion ? 1 Heather A. Butler , Christopher Pentoney, Mabelle P. Bong. « Pourquoi les gens intelligents font-ils des choses stupides? » Scientific American, 3 octobre 2017 . https://www.scientificamerican.com/article/why- do-smart-people-do-foolish-things/ 2 Heather A. Butler , Christopher Pentoney, Mabelle P. Bong. « Prédire la réussite dans la vie réelle : le raisonnement critique est un meileur déterminant que l’intelligence ». ScienceDirect, Thinking Skills and Creativity, volume 25, septembre 2017 . https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/ S1871187116300384 3 Yuva Noah Harari, « Pourquoi la technologie favorise la tyrannie ». The Atlantic, octobre 2018 https://www.theatlantic.com/magazine/archive/2018/10/yuval-noah-harari-technology-tyranny/568330/ 4 L’enjeu est crucial : la qualité de la réflexion est le seul moyen de prendre de la hauteur dans ce monde complexe alimenté par un flot continu d’informations plus ou moins fiables. Pour s’en convaincre, il suffit de se rappeler qu’en octobre 2018, Twitter a dû fermer une cinquantaine de comptes de faux législateurs républicains, destinés à influencer les électeurs de 50 États pour le vote des midterms aux États-Unis.4 Pour dresser l’état des lieux, la Fondation Reboot a mené une vaste enquête d’opinion en ligne auprès d’un millier de personnes. Un sondage similaire a été mené aux États-Unis à la même période, selon la même méthodologie, ce qui autorise la comparaison entre les deux pays. Cette étude a vocation à être renouvelée chaque année. En voici les grandes leçons. 1. Raisonnement critique, où es-tu ? T outes les personnes interrogées (93 %), quelle que soit leur catégorie – âge, revenu ou genre – jugent le raisonnement critique nécessaire dans le monde actuel. Mais où le trouver ? 70 % d’entre elles considèrent que les jeunes manquent de capacités de raisonnement critique ; une responsabilité qui incombe plus aux évolutions de la société (changement de normes sociétales, développement technologique) qu’à une défaillance du système éducatif (jugé responsable pour 20 % d’entre eux). 4 Sheera Frenkel, « Des Américains s’inspirent des méthodes russes pour frauder : Facebook s’attaque à cette menace croissante ». New York Times, 11 octobre 2018. https://www.nytimes.com/2018/10/11/technology/fake-news-online-disinformation.html 5 40 % disent avoir étudié le raisonnement critique à l’école, et 49 % considèrent que l’école leur a transmis cette compétence. 2. Développer le raisonnement critique, qui s’en charge ? 46 % des parents interrogés se considèrent comme responsables de cet enseignement, 38 % pensent que c’est à l’école de le faire, et 13 % que les enfants devraient l’apprendre eux-mêmes. Une petite différence avec les États-Unis, où ce dernier chiffre monte à 22 %. Une responsabilité partagée, donc, mais qui pose une question : qui est en charge ? Il semblerait tout bonnement que l’enseignement du raisonnement critique passe à travers les mailles du filet… 3. Enseigner le raisonnement critique, d’accord, mais comment ? 91 % des personnes interrogées pensent qu’il est important d’enseigner le raisonnement critique à leurs enfants, mais seulement 59 % déclarent savoir comment s’y prendre. Dans ce pays formé à la dissertation en trois parties, il semblerait que la réflexion complexe se soit égarée : seule une petite majorité de parents discutent régulièrement avec leurs enfants de questions qui n’appellent ni bonne ni mauvaise réponse (53 %) et seulement 42 % leur demandent d’envisager le point de vue opposé quand ils étudient une problématique. La comparaison avec les Etats-Unis est intéressante : 96 % des parents américains interrogés considèrent que l’enseignement du raisonnement critique est important, et 72 % pensent savoir comment faire. C’est bien plus que les 59 % de parents français. Mais les pratiques La Fondation Reboot Fondée par Helen Lee Bouygues, la Fondation Reboot soutient des initiatives destinées à intégrer le raisonnement critique dans la vie quotidienne, et a pour vocation de promouvoir une pensée plus riche. La Fondation mène des enquêtes et sondages d’opinion, conduit ses propres recherches et soutient les travaux de chercheurs d’universités. La Fondation développe également des outils pratiques destinés aux parents, aux enseignants, aux employeurs et à tous ceux intéressés par l’entretien de leurs capacités de raisonnement critique. Plus d’information sur reboot-foundation.org 6 ne sont pas meilleures : ils ne sont que 20 % à exiger de leurs enfants qu’ils considèrent les avis opposés aux leurs, et seulement un tiers à discuter de problématiques qui n’appellent ni bonne ni mauvaise réponse. 4. Raisonnement critique, tous incompétents ? Une grande majorité des répondants s’estiment dotés d’une capacité de raisonnement critique solide, et 73 % considèrent même que cette aptitude s’est améliorée au fil du temps. Mais… 38 % ne réfléchissent pas en amont à l’endroit où ils vont chercher de l’information lorsqu’ils effectuent des requêtes, 36 % ne se réfèrent qu’à une seule source d’information. Plus d’un tiers (35 %) des répondants considèrent Wikipedia, site encyclopédique contributif, comme l’équivalent d’une encyclopédie rigoureusement contrôlée ; notre étude montre que les gens se fient autant à Wikipedia qu’à des sites officiels. Plus d’un tiers de ce que l’on peut lire sur Facebook ou Twitter est considéré comme vrai. Les personnes interrogées se tournent volontiers vers de l’information non vérifiée ou informelle, et près de 40 % déclarent lire régulièrement des blogs à la place de publications « officielles » comme les journaux. 5. Faites ce que je dis, mais pas ce que je fais ! Alors que 85 % des sondés déclarent important et utile de considérer un point de vue opposé au sien, peu le mettent en pratique. Si 62 % disent rester ouverts à des idées différentes quand ils prennent une décision, 36 % reconnaissent éviter les avis opposés sur les sujets Qu’est-ce que le raisonnement critique ? Nous utilisons une définition large du raisonnement critique : il s’agit d’une forme de réflexion qui combine raisonnement, logique et analyse pour comprendre les problèmes et faire des choix. Parmi les éléments clés, on trouve le fait de s’inté­ resser à des points de vue opposés au sien, celui de s’appuyer sur des preuves, et celui d’accepter le débat. 7 importants, et ils ne sont que 39 % à se confronter à des personnes qui pensent différemment d’eux pour discuter et débattre. Il est intéressant de constater les différences entre les deux pays sur ces comportements : moins d’un quart des Américains s’intéressent à des opinions qui questionnent les leurs, mais ils ne sont que 24 % à éviter ceux qui ne pensent pas comme eux. En d’autres termes, même lorsque l’on prétend solliciter l’avis des autres, en pratique on ne remet pas assez en question ses propres opinions, et cela alors que tout nous prouve que s’intéresser à des points de vue opposés est crucial pour enrichir le raisonnement critique.5 En conclusion Le raisonnement critique est indispensable dans le monde d’aujourd’hui, mais nous sommes trop nombreux à surestimer nos capacités de raisonnement uploads/Philosophie/ reboot-foundation-livre-blanc.pdf

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