Cahiers d’ethnomusicologie Anciennement Cahiers de musiques traditionnelles 24

Cahiers d’ethnomusicologie Anciennement Cahiers de musiques traditionnelles 24 | 2011 Questions d’éthique Réflexion sur les enjeux éthiques de la collecte en ethnomusicologie Frédéric Léotar Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/ethnomusicologie/1746 ISSN : 2235-7688 Éditeur ADEM - Ateliers d’ethnomusicologie Édition imprimée Date de publication : 31 décembre 2011 Pagination : 27-43 ISBN : 978-2-88474-256-6 ISSN : 1662-372X Référence électronique Frédéric Léotar, « Réflexion sur les enjeux éthiques de la collecte en ethnomusicologie », Cahiers d’ethnomusicologie [En ligne], 24 | 2011, mis en ligne le 31 décembre 2013, consulté le 05 mai 2019. URL : http://journals.openedition.org/ethnomusicologie/1746 Article L.111-1 du Code de la propriété intellectuelle. 27 L e terme « éthique », de plus en plus présent dans le discours des chercheurs et des institutions, renvoie à des problématiques parfois complexes et contro- versées d’une discipline à l’autre. En quoi l’éthique peut-elle éclairer la pratique du terrain en ethnomusicologie ? Ce faisant, quelles problématiques d’ordre éthique et quelles perspectives se dégagent inévitablement de tout travail de collecte ? La constitution et l’importance croissante des « comités d’éthique » à travers l’espace nord-américain et, plus généralement, anglo-saxon représente-t-il une menace pour la sphère ethnomusicologique, un développement inévitable de l’évolution des recherches ou encore une opportunité d’élargissement du dialogue entre disciplines connexes ? Voici la réflexion que se propose d’aborder cet article. Pour rappel, le travail d’ethnomusicologue connaît trois temps forts au cours d’une procédure classique de recherche : la collecte d’informations et de documents (le « terrain » en tant que tel), l’analyse des éléments collectés et leur diffusion. Chacune de ces trois étapes renvoie à des problématiques dif- férentes en termes d’éthique. Prenons le cas de la publication. Les questions d’éthique ne se posent pas de la même manière selon qu’elle s’adresse à la communauté universitaire des chercheurs, ou qu’elle est destinée à un public plus large. L’édition d’un CD, par exemple, n’a pas la même portée qu’un article technique publié dans une revue spécialisée. En prenant un cas extrême mais révélateur des risques encourus en matière d’éthique dès lors qu’un disque est mis sur le marché, citons la fameuse Sweet Lullaby, une pièce musicale échan- tillonnée par le groupe français Deep Forest à partir d’un enregistrement réalisé aux Îles Salomon. Outre le reformatage de la pièce, le « buzz » sans précédent généré des deux côtés de l’océan Atlantique par ce titre, ne rapporta pas le moindre droit d’auteur aux chanteurs originaux ni à l’ethnomusicologue l’ayant Réflexion sur les enjeux éthiques de la collecte en ethnomusicologie Frédéric Léotar 28 Cahiers d’ethnomusicologie 24 / 2011 enregistré (Zemp 1996). D’autres cas problématiques ont été référencés, non seulement vis-à-vis du non-respect des droits d’auteurs autochtones mais aussi de musiques placées dans des contextes pour le moins incongrus, à des fins publicitaires ou esthétiques (voir entre autres Levin 2006 : 218 et suiv.). En réalité, les questions d’éthique au sens de « morale », concernent égale- ment l’activité de collecte et, plus largement, les rapports mis en place par l’ethno- musicologue avec un musicien et une communauté locale. Mais avant d’aborder ces rapports dans une perspective de recherche, voici un rappel historique des circonstances ayant mené à une prise de conscience des risques posés par les recherches impliquant des humains. Quelques repères historiques La problématique concernant, sur un plan légal, le bien-être des personnes impli- quées dans des recherches est cruellement apparue lors du Procès de Nurem- berg mis en place après la Seconde Guerre mondiale pour sanctionner, outre les responsables politiques et militaires, les médecins ayant pratiqué des expériences médicales sur l’homme. Il en ressortit un code, jusque là absent, de ce qui définis- sait, en dix points, la médecine légale 1. En réalité, après le Code de Nuremberg (1947), de nouveaux scandales éclatèrent, impliquant des chercheurs isolés dont le comportement posait pro- blème quant à l’intégrité physique, morale et psychologique des personnes acceptant de participer à leurs recherches médicales. La multiplication de ces « affaires » déboucha sur la Déclaration d’Helsinki (1964) et la constitution de multiples Institutional Review Boards aux États-Unis. Ainsi, la mise au point de protocoles éthiques fut une réponse à des cas avérés d’abus (Doucet 2000). Or, du côté des anthropologues qui ont également formulé des principes éthiques, le même processus peut être observé. Le code d’éthique adopté en 1967 par l’American Anthropological Asso- ciation fut lui aussi établi à partir d’allégations considérées par la communauté des chercheurs comme problématiques. Le projet qui eut le plus de retentisse- ment à l’époque était intitulé Project Camelot. Conçu en 1964, ce programme de l’armée américaine consistait à financer des universitaires afin d’identifier les causes menant une population à l’insurrection et les options qu’un gouvernement pourrait prendre pour éviter d’être renversé. L’étude de cas d’un tel projet fut réa- lisée au Chili. Or, même si ce programme financé par le Ministère de la Défense 1 Pour rappel, le fameux serment d’Hippocrate, bien que proposant un cadre moral, n’a aucune valeur légale. Dossier / Léotar 29 américain n’était nullement secret, sa médiatisation à travers la communauté des anthropologues provoqua un tel tollé qu’il fut rapidement abandonné. D’une façon plus globale, les craintes que le financement des sciences sociales par un gouvernement ne serve les intérêts d’une anthropologie clandes- tine vont rapidement se développer dans le contexte de la Guerre du Vietnam, alimenté en mars 1970 par le « scandale thaïlandais » tendant à prouver que des recherches menées par plusieurs anthropologues servaient là aussi des objec- tifs anti-insurrectionnels. De vigoureux débats eurent lieu au sein de l’American Anthropological Association à propos des financements gouvernementaux. Deux craintes majeures émergèrent alors : le détournement des données de terrain pour contrôler des mouvements insurrectionnels et le risque que les populations, soupçonnant les chercheurs américains d’espionnage, n’en arrivent à refuser toute participation ultérieure (Hill 1987). Ces craintes menèrent à une première mouture (Statement of Professional Responsibility) destinée à l’ensemble des anthropologues américains afin de rejeter de façon explicite les clauses secrètes dans les procédures de recherche et d’assurer un principe d’anonymat pour les participants. Le texte sera par la suite réactualisé en un Code of Ethics, destiné à « fournir aux anthropologues des outils afin de développer et maintenir un cadre éthique pour toute recherche en anthropologie (qu’elle soit archéologique, biolo- gique, linguistique ou socioculturelle ») 2. Codes et Comités d’éthique Aujourd’hui, il existe un certain nombre de principes éthiques sur lesquels s’ac- cordent de plus en plus d’organismes internationaux et d’universités. De ce point de vue, les universités nord-américaines font partie des plus avancées. Elles intègrent désormais dans leur structure des comités d’éthique qui évaluent l’im- pact de toute recherche impliquant des personnes avant de donner leur accord sous la forme d’un « certificat d’éthique ». Sans pour l’instant préjuger des pro- blématiques induites par l’obtention de ce droit à la recherche selon des critères « éthiques », voici un rappel des principes inaliénables les plus répandus à partir desquels les comités évaluent les demandes de certificat. Dans le prolongement du premier article de la Déclaration universelle des droits de l’Homme (1948), toute recherche doit garantir le respect de la dignité humaine. Ce devoir rend les chercheurs responsables de l’intégrité morale, psy- chologique, culturelle et physique des participants à leurs recherches, ces derniers devant être traités de façon juste et équitable. Le respect de la dignité humaine inclut aussi le respect des personnes vulnérables (personnes déficientes sur le plan mental, enfants, personnes âgées…). À cela s’ajoute une préoccupation pour 2 <http ://www.aaanet.org/committees/ethics/ethcode.htm> (site consulté le 06.09.201 1). 30 Cahiers d’ethnomusicologie 24 / 2011 le bien-être des participants, une notion s’appliquant aux plans physique, affectif et moral. En réponse aux risques évoqués plus haut, l’attention est aussi portée au respect de la vie privée et de la confidentialité. Enfin, dans la continuité du Code de Nuremberg, toute recherche impliquant des êtres humains ne peut être initiée sans qu’un consentement libre et éclairé ait été accordé par les participants. Pour les comités d’éthique, une évaluation des risques associés à la recherche et la rédaction d’un formulaire de consentement doivent faire partie des éléments à inclure dans toute demande. De plus, le projet doit réduire au maximum les risques et les inconvénients qu’il pourrait occasionner sur les personnes sol- licitées. Par conséquent, le principe d’une conciliation entre les avantages et les risques associés à la recherche doit être clairement établi avant sa mise en œuvre. Ces grands principes forment une matrice élaborée à partir de chartes, de codes et de déclarations reconnus à un niveau international, puis adaptés au milieu de la recherche. Et ils répondaient à des problématiques d’éthique d’abord apparues, pour des motifs évidents de santé publique, au niveau de la recherche médicale. Or, même s’il est certain que les questions d’éthique ne sont pas cloi- sonnées aux recherches concernant la santé physique, l’application de ces prin- cipes généraux à l’ensemble des disciplines pose plusieurs problèmes (Desclaux 2008). Prenons l’exemple du Canada. Les subventions gouvernementales en matière de recherche se font par l’intermédiaire de trois organismes spécialisés dans des domaines distincts : l’Institut de recherche en santé du Canada uploads/Philosophie/ reflexion-sur-les-enjeux-ethiques-de-la-collecte-en-ethnomusicologie.pdf

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