Lidil Revue de linguistique et de didactique des langues 44 | 2011 Langues, min
Lidil Revue de linguistique et de didactique des langues 44 | 2011 Langues, minor(is)ations et marginalisations Regards sur le concept de diglossie, à l’épreuve du terrain corse Pascal Ottavi Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/lidil/3145 DOI : 10.4000/lidil.3145 ISSN : 1960-6052 Éditeur UGA Éditions/Université Grenoble Alpes Édition imprimée Date de publication : 15 décembre 2011 Pagination : 111-124 ISBN : 978-2-84310-212-7 ISSN : 1146-6480 Référence électronique Pascal Ottavi, « Regards sur le concept de diglossie, à l’épreuve du terrain corse », Lidil [En ligne], 44 | 2011, mis en ligne le 15 juin 2013, consulté le 30 avril 2019. URL : http://journals.openedition.org/ lidil/3145 ; DOI : 10.4000/lidil.3145 © Lidil Regards sur le concept de diglossie : à l’épreuve du terrain corse Pascal Ottavi * RÉSUMÉ Dans cet article, l’auteur effectue un retour critique sur le concept de diglossie et sur ceux de bilinguisme et de contact des langues, qui lui sont corrélés. Revenant tout d’abord sur les travaux de Prudent et Kremnitz, il s’efforce de montrer en quoi la question de la diglossie demeure valide dans le domaine des langues minorées dans la mesure où, d’une part, elle se signale par des données de terrain, d’autre part, elle constitue un sujet de débat au sein de la sociolinguistique même. ABSTRACT In this article, the author conducts a critical review of the concept of diglossia and those of bilingualism and languages contact both corre- lated to it. Returning irst on the works of Prudent and Kremnitz, he is attempting to show in which way the question of diglossia remains valid in the ield of minor languages inasmuch as it is reported in Field data on the one hand and on the other hand as it constitutes a controversial issue within sociolinguistics itself. La question de la diglossie me parait d’importance, pour au moins deux raisons. La première tient à une préoccupation épistémologique : aborder de nouveau ce problème revient en effet à mettre en jeu d’autres concepts tels ceux de bilinguisme et, subséquemment, de contact des langues. La seconde trouve ses racines dans des préoccupations d’ordre glottopolitique : elle renvoie à des enjeux de politique linguistique, à leur gestion, et donc à des choix sociétaux ; dans une France qui a (plus ou moins) reconnu ses « langues régionales » et s’interroge sur sa diversité culturelle, les conlits de langues ont-ils pour autant disparu, remplacés qu’ils seraient alors par des situations de continuums dans lesquels les * Université de Corte. pascal ottavi 112 interlectes joueraient un rôle non négligeable, quantitativement et qua- litativement, dans la communication quotidienne ? Pour répondre à mon interrogation, et donc fonder sa légitimité, je m’appuierai tout d’abord sur les études de Lambert-Félix Prudent et Georg Kremnitz, parues conjointement dans un numéro de la revue Lan- gages (1981), qui nous permettront de situer historiquement le concept. J’examinerai ensuite les termes du débat relatif à sa validité ou à son invalidité, entre ses « partisans » et ses « détracteurs ». La diglossie : histoire du concept Bilinguisme, contact des langues, paléo-diglossie 1 Je me tournerai d’abord, donc, vers les travaux de Prudent, qui s’efforce d’historiciser la diglossie. À l’origine de la chaine, il situe Ferdinand de Saussure, père de la linguistique structurale, dont il souligne les contradictions. L’aspect social du langage, déini par nature, ne mérite pas les investigations poussées dont la « parole » fera l’objet, dans son ininie variation spatio-temporelle, comme l’aura pointé précédemment William Labov (1976). Si bien que « le structuralisme saussurien se déploie à partir d’une vision harmonieuse et conciliatrice de l’évolu- tion des systèmes… » (Prudent, 1981 : 14). Structuralisme non exempt d’essentialisme, par exemple chez Albert Dauzat, l’un des initiateurs des études dialectologiques en France, qui prononce une sorte de double relégation ontologique contre les ruraux : « Le paysan parle patois parce qu’il ne peut pas faire autrement, parce qu’il éprouve encore trop de dificultés à parler couramment le français, par habitude autant que par paresse d’esprit. Mais il ne faut pas prendre cette habitude pour du patriotisme linguistique. Un tel sentiment suppose une culture intel- lectuelle et un amour des traditions tout à fait étranger aux ruraux. » (Prudent, 1981 : 15) Kremnitz souligne quant à lui la longue ignorance par les linguistes de la dimension sociale du bilinguisme, qu’ils considèrent comme un phénomène d’essence individuelle relevant plus particulièrement de la psychologie, jusqu’à la publication, en 1953, de l’ouvrage de Uriel Weinreich, Languages in contact : l’auteur y met au jour l’existence d’un 1. Terme employé par Lambert-Félix Prudent dans son effort d’historicisation du concept. regards sur le concept de diglossie 113 bilinguisme affectant des groupes, donc un collectif, et se manifestant sous la forme de contacts de langue. La nouvelle déinition fait lorès, par exemple en Espagne, où la classe dirigeante va jusqu’à enregistrer son existence tout en assignant aux langues des fonctions différenciées. Dans son esprit comme dans celui des spécialistes, le bilinguisme col- lectif renvoie toujours à des situations par nature asymétriques. Charles Ferguson lève l’ambiguïté en 1959, « qui propose le terme de diglossie pour la différenciation linguistique interne de certaines sociétés, sous condition que cette différenciation aille de pair avec une différencia- tion des fonctions des différentes formes linguistiques dans la société concernée » (Kremnitz, 1981 : 64). Le terme « diglossie » a fait sa première apparition en 1885 sous la plume de l’helléniste Jean Psichari, qui s’intéresse à la situation linguis- tique de la Grèce contemporaine, marquée par l’usage simultané de deux variétés de langue, la démotiki, ou langue populaire, et la katarévousa, ou langue des institutions et de l’école. En 1928, il revient sur le concept en y insistant sur la notion de conlit linguistique. Marcais, professeur au Collège de France, emploiera pour la pre- mière fois le terme diglossie sans guillemets pour l’appliquer, dans une approche positiviste, à la situation des pays du Maghreb, qui relève de la seule responsabilité des locaux : n’ayant pas choisi historiquement entre les variétés de l’arabe, les peuples concernés ne sont capables ni de faire émerger une littérature moderne ni de proposer des productions intel- lectuelles dans la variété populaire. Il opère cependant un lien pertinent entre usage des langues et statuts respectifs du colon et de l’indigène. Ce faisant, Marcais passe en quelque sorte d’une diglossie endogène à une diglossie exogène relative à la confrontation de la langue autochtone avec celle du pouvoir extérieur, à travers la relation de sujétion coloniale. Consolidation et remise en cause du concept En établissant une dichotomie entre high-speech et low speech, Charles Ferguson fait en son temps œuvre utile car son analyse renvoie sans dif- iculté à l’expérience de tout un chacun en situation unilingue (lorsqu’elle existe) : nous mobilisons, dans nos besoins de communication quotidiens, guidés par les représentations que nous y impliquons, l’ensemble des ressources linguistiques disponibles en fonction des situations que nous vivons, de nos interlocuteurs, de leurs statuts respectifs et du degré de proximité ou de distance que nous entretenons avec eux. Pour la variété de high-speech, la formalisation opérée par Ferguson peut se constater de pascal ottavi 114 façon quasi iconique dans les instructions oficielles consacrées à l’ensei- gnement du français en 1923 : « Les enfants ont un vocabulaire pauvre qui appartient à l’argot du quartier, au patois du village, au dialecte de la province » (Giacomo, 1975 : 22). En même temps, celles-ci signiient en quelque sorte les limites du modèle unilingue posé, qu’élargira Joshua Fishman en 1967. Ce dernier propose d’étendre l’application du concept aux situations bilingues et/ou plurilingues. La perception d’une hié- rarchie peut être d’origine endogène ou exogène. Il considère également nécessaire de distinguer le bilinguisme, capacité d’un individu à utiliser deux langues, qui relèverait du champ de la psycholinguistique, de la diglossie (utilisation de plusieurs langues dans la société), qui relève- rait, elle, de la linguistique sociale, sans toutefois insister sur l’existence potentielle ou réelle du conlit linguistique, qu’il ne nie toutefois pas. Le modèle canonique institué par la linguistique nord-américaine lisse en quelque sorte les rugosités du terrain d’exercice des langues : Georg Kremnitz, Lambert-Félix Prudent et plus tard Louis-Jean Calvet (1987) constatent que la situation semble caractérisée de façon intrinsèque par une sorte de continuité, d’homogénéité et de cohérence des situations langagières. Louis-Jean Calvet indique que, pourtant, dès 1962, Einar Haugen avait souligné les limites de l’analyse descriptive et statique de la variation. En introduisant la notion de schizoglossie, il signale la présence possible du conlit linguistique. En signiiant en creux l’existence et le poids de la référence au pouvoir, aux relations de sujétion sociale, aux rap- ports de force que l’exercice de ce dernier implique, il introduit au cœur du concept la dimension fondamentale de la dynamique, de la tension. Une troisième lecture critique intervient avec les textes de linguistes issus des minorités (Prudent). Il s’agit des Catalans Lluis Aracil (1965) et Rafael Ninyoles (1969), de l’Occitan Robert Lafont (1971), de Pierre Davy (1971) pour la Guadeloupe, de Jean-Pierre Jardel (1974) pour la Martinique et de Alain Chantefort (1976) pour le Québec. Chacun uploads/Philosophie/ regards-sur-le-concept-de-diglossie-a-l-x27-epreuve-du-terrain-corse.pdf
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- Publié le Mai 30, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
- Langue French
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