Alter Revue de phénoménologie 27 | 2019 Patočka Le méontique et le monde. Sur l
Alter Revue de phénoménologie 27 | 2019 Patočka Le méontique et le monde. Sur l’itinéraire philosophique d’Eugen Fink Ovidiu Stanciu Édition électronique URL : https://journals.openedition.org/alter/1926 DOI : 10.4000/alter.1926 ISSN : 2558-7927 Éditeur : Association ALTER, Archives Husserl (CNRS-UMR 8547) Édition imprimée Date de publication : 1 novembre 2019 Pagination : 211-226 ISBN : 978-2-9550449-5-7 ISSN : 1249-8947 Référence électronique Ovidiu Stanciu, « Le méontique et le monde. Sur l’itinéraire philosophique d’Eugen Fink », Alter [En ligne], 27 | 2019, mis en ligne le 22 décembre 2020, consulté le 13 juin 2021. URL : http:// journals.openedition.org/alter/1926 ; DOI : https://doi.org/10.4000/alter.1926 Ce document a été généré automatiquement le 13 juin 2021. Revue Alter Le méontique et le monde. Sur l’itinéraire philosophique d’Eugen Fink Ovidiu Stanciu 1 Si l’on s’en tient uniquement aux ouvrages publiés de son vivant, l’itinéraire philosophique de Fink semble marqué par une profonde césure. Après avoir été l’élève et l’assistant de Husserl, le collaborateur de ce dernier, dans les années 1930, au projet d’une refonte systématique de la phénoménologie – travail qui lui a valu la réputation d’être le porte-parole attitré de la phénoménologie husserlienne et dont le témoignage le plus éclatant est la 6e Méditation cartésienne –, Eugen Fink a développé dans l’après- guerre un programme philosophique qui, thématiquement et stylistiquement, est situé dans la proximité des enquêtes ontologiques de Heidegger. Pourtant, la publication du Nachlass finkéen et, en particulier, des volumes recueillant son « atelier phénoménologique » des années 19301, offre des appuis solides pour contester cette division tranchée de son œuvre en deux périodes distinctes et incommunicables. Plus encore, l’examen de ces notes de travail nous permet de récuser l’image d’un philosophe qui, dans sa jeunesse, n’aurait été que le simple collaborateur méticuleux et l’assistant dévoué de Husserl, et laisse apparaître les contours d’un projet théorique original, que Fink concevait comme se situant au croisement des approches husserliennes et heideggériennes, si ce n’est au point de leur dépassement symétrique2. Nous nous proposons dans ce qui suit de fournir une interprétation transversale de son parcours philosophique en dégageant un fil conducteur et en indiquant les déplacements d’accents responsables pour les écarts entre les deux grandes périodes de sa trajectoire philosophique. 2 L’hypothèse qui guidera notre entreprise est la suivante : l’élément transversal de l’œuvre de Fink réside dans le refus de concevoir le lieu ultime de la constitution dans le vocabulaire de l’être. S’il est indéniable que lorsqu’il s’agit de nommer positivement cette dimension Fink évolue au cours de sa carrière sur des registres distincts, qui peuvent même paraître antagoniques – ainsi, dans les années 30, la question Le méontique et le monde. Sur l’itinéraire philosophique d’Eugen Fink Alter, 27 | 2019 1 fondamentale porte sur l’« origine du monde », alors qu’elle devient plus tard celle du « monde lui-même » ou de la « mondification » (Welten) du monde – il n’en demeure pas moins qu’à chaque moment de son évolution philosophique la dimension d’origine ne saurait supporter une caractérisation en termes ontologiques. L’écart entre la première et la deuxième philosophie de Fink réside dans la détermination positive qui est fournie à ce qui s’excepte du champ de l’ontologie : si dans les années 1930, le lieu dernier de l’élucidation philosophique est ressaisi comme vie transcendantale ou comme subjectivité absolue méontique, il sera déterminé plus tard comme « processus du monde », mondification du monde ou, tout simplement, monde. Si le rejet de l’ontologie constitue la basse continue de son évolution philosophique, le sens de celle- ci peut être caractérisé positivement comme allant du méontique au monde. Afin d’étayer cette thèse, nous relèverons d’abord les engagements doctrinaires décisifs de la cosmologie phénoménologique que Fink expose dans ses cours et publications d’après-guerre pour ensuite faire apparaître que celle-ci reprend et développe des noyaux thématiques déjà présents dans les manuscrits de travail des années 19303. I. Le cèlement comme dimension du monde 3 La promotion du monde au rang de thème par excellence, de Sache selbst de la phénoménologie peut être envisagé comme le trait distinctif de la philosophie cosmologique de Fink4. Cette démarche s’accompagne d’une polémique explicite à l’égard des manières concurrentes de ressaisir l’articulation spécifique du champ de la phénoménologie et notamment à l’égard des deux grandes tendances qui dominent la scène dès l’institution de la phénoménologie, c’est-à-dire de son auto-compréhension comme une doctrine de la subjectivité et de son identification avec une ontologie. Deux gestes théoriques sont donc déterminants pour l’établissement d’une approche cosmologique : la dé-subjectivation et la dés-ontologisation du champ phénoménal. C’est à l’explicitation de cette seconde démarche, qui est solidaire d’une critique de l’orientation globale de la pensée de Heidegger, que nous consacrerons cette première partie de notre parcours. La mise en avant de l’irréductibilité du questionnement cosmologique à un horizon ontologique conduit Fink à soutenir que la question de l’être est abstraite, car dépendante d’une compréhension de part en part langagière5 ; qu’elle est régionale, dans la mesure où elle prend appui sur des phénomènes relevant du « domaine de la lumière » et, partant, ne peut pas rendre compte de l’expérience du monde qui traverse d’autres phénomènes fondamentaux de l’existence humaine, tels la lutte, le travail, l’amour, la mort, le jeu6 ; enfin, que la question de l’être est dérivée, car sa position même ne peut s’effectuer que dès lors que quelque chose – un ti libre de toute qualification – fait d’abord irruption, que dès lors que quelque chose devient manifeste7. 4 Ce qui donne le coup d’envoi et assure l’ancrage de la question de l’être, ce qui prémunit toute enquête ontologique contre l’objection selon laquelle elle serait le fruit d’une spéculation oiseuse, c’est le fait (Faktum) de la compréhension : « Il faut bien qu’il y ait quelque chose comme l’être si nous en parlons légitimement et si nous nous rapportons à l’étant en le comprenant comme étant, c’est-à-dire dans son être »8. La parole est donc le lieu où l’être s’atteste, de sorte que la tâche de toute enquête ontologique réside dans l’élaboration de cette compréhension, dans l’explicitation de cette entente préalable qui revêt ainsi la fonction d’un sol. Or le choix de ce point de Le méontique et le monde. Sur l’itinéraire philosophique d’Eugen Fink Alter, 27 | 2019 2 départ n’est nullement anodin et il grève le projet ontologique tout entier. Pour autant que Heidegger n’aspire pas seulement à restituer la structuration interne de la compréhension, mais soutient que l’articulation qui se fait jour dans le logos est la norme de tout phainomenon, il assume une identification implicite de l’on avec l’on legomenon. Ceci implique non seulement que le logos est conçu comme un pouvoir de « rendre manifeste », que la parole est saisie selon sa dimension « dévoilante » mais, plus encore, que l’étant est envisagé depuis son « pouvoir-être-dit », que la manifestation est déterminée comme inscription dans l’espace de la parole. Dans un texte prononcé au colloque phénoménologique de Krefeld de 1956, Fink indique de manière explicite les dangers que cette approche recèle : Peut-être est-ce seulement par le fil conducteur du langage, par son dire incessant du mot « est », que nous pouvons, d’une certaine manière, penser ce que toujours nous comprenons et que pourtant nous n’avons jamais en face de nous à la manière d’un objet. L’orientation du concept d’être par le Logos du langage laisse échapper le caractère spatio-temporel de l’être compris mondainement. L’être court le danger de devenir une « chose de pensée », de se volatiliser dans un concept. L’espace- temps complet de l’être, nous le nommons le monde. Cela ne signifie à présent, ni un horizon intentionnel, ni un halo de la tournure et de la significativité de vie de choses pour un groupe d’hommes, mais cela signifie l’univers, le tout du monde9. 5 Et quelques années plus tard, dans Le Jeu comme symbole du monde, il précise le sens de sa critique : Si l’on place le rapport de l’homme avec l’être de tous les étants surtout dans la parole ; si l’on considère l’homme comme un être doué de parole, dans ce cas la structuration et l’organisation « logique » de la réalité intramondaine se place en avant. Elles dissimulent ce faisant la totalité englobante, à partir de laquelle se montrent les articulations de sens logiquement saisissables de l’étant intra- mondain. Et cela ne change pas beaucoup si on reverse la formule pour dire que ce n’est pas l’homme qui possède le langage et la compréhension de l’être s’articulant à lui, mais que c’est le langage qui possède l’homme, en tant que lumière de l’être, préservée, structurée et rassemblée10. 6 La conviction qui sous-tend ces passages est double : d’un côté, que la question de l’être est indissociable de celle du logos ; de l’autre côté, que le logos n’a pas ampleur de monde, qu’une dimension du monde est biffée ou gommée dès lors qu’il est envisagé selon le fil conducteur du logos11. C’est en donnant des contours conceptuels plus précis à cette restriction que l’on sera à même de circonscrire uploads/Philosophie/alter-1926.pdf
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- Publié le Nov 28, 2022
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