La théorie de l’éloge dans la Rhétorique à Alexandre1 Pierre Chiron p. 11-39 TE
La théorie de l’éloge dans la Rhétorique à Alexandre1 Pierre Chiron p. 11-39 TEXTE NOTES NOTES DE FIN AUTEUR TEXTE INTÉGRAL 1 Nous tenons à remercier Mlle Marie-Pierre Noël et M. Michel Patillon pour leurs remarques et sugges (...) 1 Édition de référence : Anaximenis Ars Rhetorica, éd. M. Fuhrmann, coll. BT, Leipzig, 1966 [2000]. H (...) 1La Rhétorique à Alexandre1 n’est pas un texte « phare » dans l’histoire de la rhétorique grecque comme peuvent l’être, à des titres divers, la Rhétorique d’Aristote ou le Traité du Sublime du Pseudo-Longin. Mais c’est un texte intéressant, voire fondamental, notamment pour faire l’histoire de la théorie de l’éloge, et cela pour au moins quatre raisons : 2Tout d’abord, la position du texte dans la chronologie. En termes de généalogie doctrinale, sinon en termes chronologiques stricto sensu, il s’agit très probablement du plus ancien traité de rhétorique conservé ; c’est un texte qui reflète en tout cas l’état – ou un état – de la théorie rhétorique antérieur à l’intervention d’Aristote. S’il faut faire cette distinction entre généalogie doctrinale et chronologie, c’est que l’une des meilleures hypothèses sur la date de la Rhétorique à Alexandre (ca 340) conduit à l’intercaler entre les deux étapes de composition de la Rhétorique, que l’on assigne pour la première à la période académique (ca 35°) pour la seconde au second séjour du philosophe à Athènes (334-322). Sans entrer ici dans le débat difficile sur la chronologie, et sans exclure une interaction entre ces deux textes, on peut dire que, si l’un des deux ouvrages – celui d’Aristote – ouvre résolument une nouvelle période dans l’histoire de la rhétorique, la Rhétorique à Alexandre marque plutôt un point d’aboutissement de la tradition antérieure. 2 Voir la définition de la tekhnè dans l’Éthique à Nicomaque, 1140 a 6 et suiv. 3 Das systematische Lehrbuch,Göttingen, 1960, p. 11-28. 4 Voir P. Moraux, « Thucydide et la rhétorique », Les Études classiques, 22, 1954, p. 3-23 ; F. Romer (...) 3La seconde raison, liée à la première, est que nous avons accès, avec la Rhétorique à Alexandre, à une théorie rhétorique marquée par le professionnalisme (par opposition à la Rhétorique d’Aristote dont l’un des aspects majeurs est le caractère spéculatif2). Le but du rhéteur est de fournir à l’orateur – homme politique ou logographe – des conseils pratiques pour l’aider à persuader son auditoire, que ce soit à l’Assemblée ou au tribunal. La présentation systématique des préceptes, étudiée par M. Fuhrmann3, n’a pas une visée proprement théorique. Le travail d’abstraction, de définition, de division, d’organisation de la matière, a pour but d’assurer la clarté de la présentation et d’atteindre à l’exhaustivité, c’est-à-dire de couvrir à peu près tous les « cas de figure » auxquels l’orateur peut être confronté dans la pratique. Mais le rhéteur n’a pas le souci de présenter une théorie de la communication incluant, comme chez Aristote, les aspects épistémologiques, éthiques et psychologiques de cette communication. Un tel professionnalisme nous permet de considérer que la Rhétorique à Alexandre représente le – ou une des versions du – code rhétorique tel qu’il était enseigné au ive siècle avant J.-C. D’ailleurs, un code très voisin est déjà détectable dans les démégories thucydidéennes4. Par ailleurs, des orateurs attiques comme Andocide, Lysias, Démosthène, Eschine, etc. mettent en œuvre des techniques fort proches. Cela n’est pas négligeable, car la confrontation entre la Rhétorique à Alexandre et le corpus des orateurs attiques permet d’approfondir considérablement l’exégèse de ce dernier. 4La troisième raison de s’intéresser à la Rhétorique à Alexandre tient à la profonde empreinte qu’y a laissée la sophistique. La condamnation radicale de ce courant de pensée par Platon est bien connue. Même si le phénomène n’est pas imputable au seul Platon, il est sûr que les anciens sophistes ne nous sont guère connus maintenant que de manière fragmentaire et indirecte. Au contraire, les indications données par la Rhétorique à Alexandre tranchent par leur précision sur les informations partielles ou tendancieuses que donnent la plupart de nos autres sources. Certes, il n’est pas toujours facile d’isoler cette influence sophistique d’une autre influence forte, celle d’Isocrate, mais au fond, sur bien des points, Isocrate est encore un sophiste, et cette double influence suffit à écarter la Rhétorique à Alexandre de la tradition philosophique. Détail piquant, la Rhétorique à Alexandre doit probablement sa survie à sa transmission au sein d’un corpus philosophique, celui d’Aristote, dans lequel elle est entrée, sans doute au iie siècle après J.-C., à la faveur de l’adjonction, par un faussaire, d’une lettre dédicatoire prétendument écrite par Aristote à l’adresse d’Alexandre, d’où le titre actuel. 5Quatrième raison d’accorder de l’intérêt à la Rhétorique à Alexandre : la théorie de l’éloge est souvent associée à des contextes politiques non démocratiques. Avec la Rhétorique à Alexandre, nous sommes à Athènes vers le milieu du ive siècle, peu avant la défaite de Chéronée, donc dans une cité démocratique, et l’alternative politique à ce régime – telle qu'elle est présentée dans un passage du traité consacré à la législation – est non pas la monarchie mais l’oligarchie. Il n’est d’ailleurs jamais question de monarchie dans l’ouvrage. Il est à peine besoin de souligner que ce contexte politique induit une théorie spécifique de l’éloge, qui constitue un utile complément à celle de l’éloge du Prince. 5 Éd. B.P. Grenfell, A.S. Hunt, The Hibeh Papyri, Part I, Londres, 1906, p. 114-138 (et pl. III = col (...) 6 Sur ces différences, voir l’article de M. Patillon mentionné supra (n. I), p. 105-108. 7 M. Patillon, op. cit., p. 117-125. 8 Voir W.M.A. Grimaldi, Studies in the Philosophy of Aristotle’s Rhetoric (Hermes Einzelschriften, 25 (...) 6Au risque de prolonger démesurément cette introduction, il faut nuancer un peu l’optimisme dont on a fait preuve en vantant l’importance de la Rhétorique à Alexandre. Si ce texte a été assez peu étudié, s’il fut souvent négligé par ceux-là mêmes qui auraient dû s’y intéresser le plus – à savoir les historiens de la sophistique –, ce fut longtemps par suite des préjugés nourris à l’encontre de la rhétorique, mais aussi pour des raisons plus saines et plus scientifiques. Si l’on dispose de bonnes hypothèses sur l’auteur et la date de composition de l’ouvrage, on ne sait pas toujours exactement dans quelle mesure le texte que nous lisons aujourd’hui est fidèle à l’original du ive siècle. Les traités techniques sont en effet transmis par des utilisateurs, souvent tentés d’adapter à leur propre usage le texte dont ils héritent. L’entrée de la Rhétorique à Alexandre dans le corpus aristotélicien a pu, en outre, inciter lecteurs et copistes à harmoniser le texte avec la doctrine présentée dans la Rhétorique. Nous disposons d’ailleurs d’une preuve indiscutable que de tels phénomènes d’adaptation voire de réécriture sont intervenus dans la transmission de la Rhétorique à Alexandre. Un papyrus conservé à Londres, le PHib. 265, d’une ancienneté exceptionnelle puisqu’il date du milieu du iiie siècle avant J.-C., donne un texte sensiblement différent de celui que présente la tradition médiévale6. Malheureusement, le papyrus étant très lacunaire, la comparaison n’est possible que pour une partie minime du texte, environ dix pour cent. En tout cas, ces disparités incitent à la circonspection et on verra, dans ce qui suit, qu’un certain nombre d’analyses doivent être assorties d’un coefficient d’incertitude. Un second phénomène doit inciter à la prudence : le texte n’est pas d’une cohérence parfaite. D’une partie à l’autre, le traité présente des disparités, voire des incohérences, non seulement terminologiques mais doctrinales. M. Michel Patillon, tout récemment7, a construit sur ces disparités une hypothèse selon laquelle le traité serait une συναγωγὴ τεχνῶν dotée d’une structure unifiante, dont le dernier élément (la troisième partie du traité actuel, chap. 29-fin) aurait été remplacé, à date tardive, peut-être au vie siècle après J.-C., par un développement sur le même sujet, lui aussi ancien, mais étranger à la compilation primitive. C’est une hypothèse que nous ne retenons pas, en raison de l’unité de style et de conception8 qui, au-delà de nombreux flottements, caractérise l’ouvrage. Par ailleurs, il nous paraît extrêmement risqué d’appliquer à des textes anciens des critères de cohérence modernes, c’est-à-dire fondés sur l’écriture et l’imprimé. Les ouvrages de l’Antiquité étaient composés oralement, dictés. En outre, les préceptes techniques ne sont pas, par essence, figés. Ils sont reçus, mis à l’essai, modifiés, puis à nouveau transmis. La Rhétorique d’Aristote elle-même présente des hésitations, voire des contradictions, en tout cas des évolutions de la pensée d’une partie à l’autre. Cela dit, il faut immédiatement reconnaître que l’auteur – unique, selon la grande majorité des critiques – a emprunté à plusieurs sources et n’est pas toujours parvenu à les fondre de manière satisfaisante. 7Pour ordonner la présentation qui va suivre, nous avons choisi de poser six grandes questions. Les trois premières sont assez générales et tendent à éclairer les conceptions qui sous-tendent les préceptes du rhéteur : 8I. – Quelles sont les circonstances d’utilisation du discours d’éloge ? ou : y a-t-il un genre épidictique dans la Rhétorique à Alexandre ? 9II. – Qui ou quel est l’objet uploads/Philosophie/ rhetorique-d-x27-alexandre.pdf
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- Publié le Nov 27, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
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