1 Lacan et les mathématiques 9 et 10 février 2011- Université de Rouen L’idée d

1 Lacan et les mathématiques 9 et 10 février 2011- Université de Rouen L’idée d’objet borroméen, à l’articulation entre les nœuds et la logique lacanienne René Guitart (Université Paris Diderot Paris 7) Introduction De façon insistante Jacques Lacan parle la psychanalyse au travers de montages que l’on peut qualifier de mathématico-logiques ; certains sont de logique, comme dans l’analyse du temps logique ou dans l’analyse des quatre discours, d’autres sont de topologiques autour des nœuds. Ce n’est pas la même chose, Lacan distingue soigneusement la mathématique de la logique. Lacan n’est pas mathématicien au sens ou il démontrerait des théorèmes neufs, mais en revanche il est pleinement logicien et s’en réclame, et dans ce fil il invente une disposition tout à fait originale pour l’analyse des discours, à savoir la tenue borroméenne des trois registres du réel, du symbolique, et de l’imaginaire, R, S et I : et ce point magistral de logique se donne à voir au travers d’effets topologiques. C’est donc de cette borroméanité, qui d’une certaine façon montre de l’impossible, que doit se fonder la logique, l’ordre de la parole des sujets ; ou, comme l’exprime Lacan, c’est de cette peinturlure que la logique doit être tamponnée en guise de sens. Aussi il importe, et je veux m’y employer ici, de dépasser la topologie du borroméen pour en construire le schème en logique, au sens propre, voire l’algèbre et la fonction littérale pure de la borroméanité, sans rester à un stade métaphorique. Il s’agirait de ramener effectivement l’intuition d’un voir du borroméen dans l’ordre du logique, où donc elle pourrait alors opérer effectivement. Ainsi je voudrais pouvoir affirmer non seulement que le champ de la parole est « comme » sous condition de la tenue borroméenne géométrique des trois ronds R, S et I, et proposer plus, qu’il soit littéralement sous condition de la borroméanité, qu’il soit un objet borroméen dans le registre de la logique, ce que je nommerai une logique borroméenne. Mais alors, le topologique étant mis entre parenthèses, qu’est-ce donc purement qu’un objet borroméen ? 1.L’entrelac borroméen dont Lacan s’occupe : la trinité impossible Au tableau, dans la séance du 12 mars 1974 du Séminaire de Lacan, trois entrelacs, le troisième est comme celui de notre première figure. Plus tard seulement il y ajoutera le a que nous y mettons tout de suite. Et le premier commentaire de Lacan est de se demander pourquoi on n’utilise pas cela pour tenir serrée la question des trois dimensions. Par cela j’entendrai : serrée en tant qu’un impossible à voir où à défaire, ou autre ; et cela pose la question de quel impossible, c’est-à-dire suivant la terminologie lacanienne, de quel réel s’agit-il ? Pour mon compte, en tentant de le lire, ce réel s’entendra d’abord comme physico- géométrique, même s’il n’est tel que pour pouvoir faire signe d’un autre du côté des sujets de 2 parole. Par ailleurs Lacan dira que c’est là la logique : logique de la parole ? logique de l’inconscient (qui ne connaîtrait pas la logique au sens purement classique du terme) ? En tous cas admettré-je, il serait de la logique qui concerne les psychanalystes dans leur pratique, ce petit dispositif où se tiennent par trois et pas par deux les trois ronds du Réel, du Symbolique, de l’Imaginaire, notés donc R, S et I ; ainsi ce serait là la structure paradoxale de l’objet a du désir d’être ce qui est enserré là. J’y reviendrai pour conclure. Mais pour commencer il faut voir là un défi d’écriture, la question est alors d’écrire en lettres d’algèbre quel nouage logique paradoxal est ainsi figuré, ce qui s’y calculerait, ou y serait incalculable. Ailleurs encore Lacan exhibe une variante, celle qui fait l’affiche de ce colloque, ou nous lirons la même problématique. De cette figure au tableau, nous avons trace depuis longtemps dans la théologie chrétienne pour représenter la trinité divine. La trinité se lit d’abord de façon « ordinaire », dans « Trinité, trône de grâce », de Robert Campin au XIVème siècle, elle se lit ensuite avec une légère étrangeté (suivant les trois visages identiques, les croisements des regards) dans l’icône de la Trinité d’Andrei Roublev (vers 1411), et puis donc franchement en tant que paradoxe (son sens est le paradoxe), dans notre figure 2 ici représentée de l’unitas trinitaire. Lire celle-ci n’est pas exactement équivalent à lire la première, non plus que lire l’affiche du Colloque, nous allons en faire l’expérience. Cette unitas trinitaire est aussi nommée entrelac borroméen, ou simplement borroméen, ou bien « anneaux de Borromée », du nom de la famille Borromeo, de Milan, qui en usait abondamment partout en ses demeures. Plus anciennement elle figure déjà vers le dixième siècle et même un peu avant sur des stèles phalliques dans les pays nordiques, en une figure de trois triangles enlacés, faisant symbole de la mort, auprès d’une scène sacrificielle. On la retrouve souvent jusqu’à nos jours. Diane de Poitiers en faisait son emblème, par trois croissants de lunes ainsi se tenant. Aujourd’hui on la verra sur le sol de Saint-Pierre en Gallicante à Jérusalem (1931). On retiendra ici, près du souci de Jacques Lacan, cette figure de l’unitas trinitaire, comme forme aboutie d’un paradoxe physico-géométrique, comme exhibition d’un paradoxal logique, donné à scruter. a Fig. 1 Fig. 2 3 2. La preuve de l’impossible L’impossible est figuré et donné à voir dans de nombreux tableaux de René Magritte, desquels nous retiendrons « Le blanc-seing », de 1965, où une cavalière traverse un sous-bois, de sorte qu’elle et son cheval sont tantôt cachés par des arbres et aussi bien, placés devant tel arbre et cachés par l’espace suivant (l’espace entre cet arbre et l’arbre suivant). Un tableau magnifique. On trouve la même impossibilité dans « Waterfall » (1961) de Maurits Cornelis Escher, où une rivière descend, puis fait une chute, et arrive alors au point de départ de sa descente. Ces deux exemples relèvent d’un diagramme « fautif » dont le cœur est le tribar inventé et promu par Oscar Reutersvärd, Lionel Penrose et Roger Penrose, notamment (figure 3). Un modèle en trois poutres de bois est encore plus saisissant (figure 4). Il importe de comprendre ce qui là est impossible : il semble impossible que dans l’espace à trois dimensions il existe un corps dont le tribar soit l’image, la vue en perspective correcte ; et il faut produire le diagramme analysant cette bizarrerie. Sur le tribar, nous voyons trois faces planes, non parallèles, car elles se coupent deux par deux suivant des lignes, chacune ayant la silhouette d’un « L », que nous nommerons A, B, C. On se réfère au fait géométrique suivant : dans l’espace tridimensionnel, trois plans non parallèles se coupent un un seul point. Mais ici ce n’est pas possible car si A et B se coupent suivant L, B et C suivant M, C et A suivant N, les trois lignes L, M et N devraient se couper en ce point unique appartenant aux trois plans, et manifestement ce n’est pas le cas, le point d’intersection de L et M n’est pas sur la droite N, etc. Ceci fait preuve de l’impossible en question. Il faudrait, c’est tout à fait possible, mais je laisserai les détails de ce point ici, expliquer comment on peut produire une telle image faussée ; l’idée est qu’elle est construite suivant un recollement illicite de trois morceaux parfaitement normaux (les trois « coins »), et cela, pour le dire en termes savants, s’analyse en calculant de la cohomologie (Roger Penrose Fig. 3 Fig. 4 4 en indique la possibilité). Alors l’impossibilité est prouvable à nouveau par le fait qu’un calcul sur la figure produit un invariant qui n’est pas 0, alors qui devrait être 0. Cet examen du tribar, dont au demeurant Lacan ne s’est pas occupé, va cependant nous aider à comprendre l’impossible du borroméen. 3. Un impossible peut en cacher un autre Je vais montrer, plus précisément, qu’une étrangeté peut cacher un impossible, qui lui- même cache un possible. Revenons donc maintenant au borroméen, pour comprendre l’impossible qui s’y niche. En fait l’unitas trinitaire dont l’image est reproduite ci-avant comporte une étrangeté, visible, qui est que là tiennent ensemble trois ronds, mais que ces ronds ne tiennent pas ensemble deux par deux ; mais enfin, somme toute, la figure montre que cette étrangeté est possible, il ne s’agit donc pas à proprement parler d’une impossibilité, exhibée, mais au contraire de la « solution » géométrique de quelque chose d’a priori impossible à faire ou à imaginer, pour certains du moins, mais que voilà. Je désignerai donc cela comme étrange. Ainsi cette image de Dieu est étrange, mais possible comme dispositif qui fait « un » de trois personnes. Premier fait. Mais voici un deuxième fait. Cette étrangeté en nous fascinant cache une véritable impossibilité, du même ordre que celle du tribar, et dont je vous donnerai la preuve. En effet la figure laisse entendre que les anneaux sont des vrais anneaux circulaires ; uploads/Philosophie/ guitart.pdf

  • 20
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager