L'ONTO-LOGIQUE DE L'ÉVÉNEMENT CHEZ WHITEHEAD Pierre Rodrigo Presses Universitai
L'ONTO-LOGIQUE DE L'ÉVÉNEMENT CHEZ WHITEHEAD Pierre Rodrigo Presses Universitaires de France | « Les Études philosophiques » 2002/4 n° 63 | pages 475 à 490 ISSN 0014-2166 ISBN 9782130526063 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-les-etudes-philosophiques-2002-4-page-475.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses Universitaires de France. © Presses Universitaires de France. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Quand j’identifie – et je le fais spontanément – cette configuration comme un objet (un monsieur) et la modification de détail comme un événement (soulever son chapeau), j’ai déjà franchi le seuil de la perception purement formelle pour pénétrer dans une première sphère de signification [...] ; je la saisis en identifiant tout simplement certaines formes visibles à certains objets connus de moi par expérience pratique, et en identifiant le changement survenu dans leurs relations à certaines actions, ou événements. » Dans ce texte la perception est considérée comme l’occasion du dévoile- ment d’une signification d’objet. Il est d’ailleurs clair que Panofsky suit dans ces lignes le chemin tracé par Kant et que son texte constitue, plus qu’une description fidèle de l’expérience perceptive, une glose de l’énoncé kantien de la « Première analogie de l’expérience » – c’est-à-dire de ce que Kant nommait le « principe de la permanence », qui s’énonce en ces termes : « Tous les phénomènes contiennent quelque chose de permanent (substance) considéré comme l’objet lui-même, et quelque chose de changeant, considéré comme une simple détermination de cet objet, c’est-à-dire d’un mode d’existence de cet objet. »2 L’iconologie d’Erwin Panofsky s’appuie donc sur une double évidence, qui est caractéristique de la tradition de pensée métaphysique dont nous allons devoir mesurer les limites. Cette double évidence est celle de la percep- tion d’objet et de l’ontologie substantialiste. Toute la question est de savoir si cette ontologie, pour laquelle l’événement n’est qu’une affection seconde adve- Les Études philosophiques, no 4/2002 1. Plus précisément, dès la première page de l’édition américaine de 1939 des Essays. Ce passage était absent de la première édition parue en Allemagne en 1932. Cf. trad. franç., Paris, Gallimard, p. 13-14. 2. E. Kant, Critique de la raison pure, Paris, PUF, p. 177. © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 01/11/2020 sur www.cairn.info (IP: 79.85.235.191) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 01/11/2020 sur www.cairn.info (IP: 79.85.235.191) nant à l’objet, peut rendre compte de l’expérience perceptive. Pour le dire avec Whitehead, toute la question est de savoir si l’ontologie substantialiste de l’objet est justifiable du point de vue de l’expérience immédiate1. Or il faut bien admettre, pour rester un instant encore dans le cadre de la philosophie de l’art, que l’expérience esthétique de la vision d’une icône, par exemple, invalide, si l’on y réfléchit bien, l’ontologie de l’objet et les théories de l’art qui en dérivent. Sans entrer ici dans le détail, je rappellerai seulement que, pour les Pères de l’Église, la toute première icône est le Verbe divin compris comme « image naturelle » (eikôn phusikè), et qu’une image artifi- cielle faite de main d’homme doit être tendue vers le Verbe : pros logon, « ad- verbiale » si l’on veut2. C’est en raison de cette ex-tension ad-verbiale que l’on peut affirmer que « pour l’icône la forme a une réalité non objective » et qu’elle est « vers le Christ, qui ne cesse de s’en retirer »3. Dès lors contempler une icône, ce n’est en aucune façon voir un objet (et pas davantage une Idée objectivée) ; c’est être tenu sous le charme d’une absence, ou être retenu par la trace d’un passage. On peut par conséquent en conclure qu’à l’origine de l’iconologie et de la cosmologie qui la supporte se trouve, non pas l’objet substantiel, mais le passage : l’Incarnation comme passage, tout d’abord, puis le visible lui- même comme passage. Bref, l’événementialité de la nature, telle que l’entend Whitehead. I. Objets et événements : vers une « tinologie » de la nature Lorsqu’il prononce en 1919, à Cambridge, ses conférences sur la philo- sophie des sciences, Whitehead limite son propos à la philosophie et aux sciences de la nature. Il se limite même, en un sens, à la recherche d’une détermination satisfaisante de la seule nature4. L’ensemble du propos tient en une seule question : « Qu’entendons-nous par nature ? » Whitehead répond à cette question d’une manière remarquablement simple : « La nature est ce que nous observons dans la perception par les sens. »5 La sim- 476 Pierre Rodrigo 1. Cf. Procès et Réalité (PR), p. 4/47 : « L’élucidation de l’expérience immédiate est l’unique justification d’une pensée ; et le point de départ de la pensée, c’est l’examen analy- tique des composants de cette expérience » [notre double pagination renvoie d’abord à Process and Reality, corrected édition (by D. R. Griffin - D. W. Sherburne), New York, The Free Press, 1978, puis à la trad. franç. par D. Charles et al., Paris, Gallimard, 1995]. Voir aussi La science et le monde moderne (SMM), trad. franç. P. Couturiau, Monaco, Éd. du Rocher, 1994, chap. V, p. 112. 2. Voir sur ces questions l’ouvrage de M.-J. Mondzain, Image, icône, économie, Paris, Le Seuil, 1996, p. 116. 3. M.-J. Mondzain, op. cit., p. 117. 4. Ces conférences seront d’ailleurs éditées sous le titre The Concept of Nature (CN), Cam- bridge, Cambridge Univ. Press, 1920 (trad. franç. par J. Douchement, Le concept de nature, Paris, Vrin, 1998). 5. CN, p. 3/32 [la double pagination renvoie à l’éd. originale puis à la trad. franç. La pagination simple renvoie à la seule trad. franç.]. © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 01/11/2020 sur www.cairn.info (IP: 79.85.235.191) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 01/11/2020 sur www.cairn.info (IP: 79.85.235.191) plicité de ce commencement est cependant trompeuse, car la question ne manque pas de resurgir aussitôt sous la forme d’une interrogation du statut fort énigmatique de « ce que » nous percevons. En effet, si la nature est tout simplement « cela », ce « quelque chose » qui nous est livré dans et par l’expérience perceptive, nous sommes néanmoins loin d’avoir pu concep- tualiser, tant dans le champ philosophique que dans celui des sciences, le mode d’être de cette nature ; nous sommes encore loin de l’avoir pensée selon son mode d’être. Aussi Whitehead n’hésite-t-il pas à affirmer, en conclu- sion de sa deuxième conférence, que « parmi les nécessaires prolégomènes à la philosophie et à la science de la nature, il y a la compréhension approfondie des types d’entités et des types de relations entre ces entités, qui nous sont dévoilés dans nos perceptions de la nature » (CN, p. 48/68). Cette thèse comporte, bien entendu, une critique de principe de la méta- physique classique et de la science qui lui est liée. Elle comporte en particu- lier in nuce la critique whiteheadienne de la « localisation simple » spatio- temporelle et du système ou du « schème » relationnel qui en dérive (y com- pris du système des relations secondes entre un « sujet » et un « objet » monadiques essentiellement clos sur eux-mêmes). Mais cette thèse présente aussi une signification positive qui est, comme Jean Wahl et Maurice Mer- leau-Ponty s’en sont avisés parmi les premiers, du côté du moins des philo- sophes continentaux, celle d’une radicale « transcendance de la nature »1. En effet, penser la nature selon son propre mode d’être ou, comme le dit Whi- tehead, la penser de façon « homogène » (CN, p. 3/32), c’est — 1 / reconnaître qu’elle a une consistance ontologique spécifique, qu’elle ne se réduit par conséquent, ni à nos sensations, ni à notre pensée ; et — 2 / admettre que la nature, qui n’est rien d’autre que ce que nous en per- cevons, nous reste pourtant « opaque à titre définitif [...], aussi distante et aussi proche que possible » dans la perception2 ; closed to the mind, dans les termes de Whitehead : « La uploads/Philosophie/ rodrigo-l-x27-onto-logique-de-l-x27-evenement-chez-whitehead.pdf
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- Publié le Fev 01, 2021
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