Le Portique Revue de philosophie et de sciences humaines 26 | 2011 Paul Ricœur
Le Portique Revue de philosophie et de sciences humaines 26 | 2011 Paul Ricœur : une anthropologie philosophique Dire l’être-à-dire : l’intrépidité ontologique de Paul Ricœur Ricœur’s être-à-dire, an ontologically daring notion Da Sein-zum-Sagen sagen: Ricœurs ontologische Kühnheit Rose Goetz Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/leportique/2508 ISSN : 1777-5280 Éditeur Association "Les Amis du Portique" Édition imprimée Date de publication : 11 février 2011 ISSN : 1283-8594 Référence électronique Rose Goetz, « Dire l’être-à-dire : l’intrépidité ontologique de Paul Ricœur », Le Portique [En ligne], 26 | 2011, document 3, mis en ligne le 11 février 2013, consulté le 01 mai 2019. URL : http:// journals.openedition.org/leportique/2508 Ce document a été généré automatiquement le 1 mai 2019. Tous droits réservés Dire l’être-à-dire : l’intrépidité ontologique de Paul Ricœur Ricœur’s être-à-dire, an ontologically daring notion Da Sein-zum-Sagen sagen: Ricœurs ontologische Kühnheit Rose Goetz 1 J’emprunte le titre de cette étude à un texte de 1983, repris (partiellement) en 1986 dans Du texte à l’action 1, dans lequel Ricœur expose les problèmes qui l’occupent, dit-il, « depuis une trentaine d’années » et dont nous pouvons aujourd’hui affirmer qu’ils ne cesseront de l’occuper, sous des formes diverses, au cours des vingt années à venir. Évoquant les analyses de la « référence » des énoncés métaphoriques et des intrigues narratives qu’il a menées dans La Métaphore vive 2 et dans Temps et récit 3, il écrit : « J’avoue très volontiers que ces analyses présupposent sans cesse la conviction que le discours n’est jamais for its own sake, pour sa propre gloire, mais qu’il veut, dans tous ses usages, porter au langage une expérience, une manière d’habiter et d’être-au-monde qui le précède et demande à être dite. C’est cette conviction de la préséance d’un être-à-dire à l’égard de notre dire qui explique mon obstination à découvrir dans les usages poétiques du langage le mode référentiel approprié à ces usages, à travers lequel le discours continue de dire l’être, lors même qu’il paraît s’être retiré en lui-même, pour se célébrer lui-même. Cette véhémence à fracturer la clôture du langage sur lui-même, je l’ai héritée de Sein und Zeit de Heidegger et de Wahrheit und Methode de Gadamer. Mais, en retour, j’ose croire que la description que je propose de la référence des énoncés métaphoriques et des énoncés narratifs ajoute à cette véhémence ontologique une précision analytique qui lui fait défaut » 4. 2 Ricœur parle ici d’« obstination », de « véhémence », pour qualifier son acharnement, son entêtement, son opiniâtreté à découvrir comment le langage peut s’éclater vers l’autre que lui-même, s’ouvrir à la réalité, au monde, à l’être, aux expériences que nous en avons, et, en s’efforçant de les dire, peut répondre à leur exigence d’être dites. Cette quête ardue et tenace, je la place sous le signe de l’« intrépidité » dont, en 1995, dans La Critique et la Conviction, Ricœur se déclare redevable à son professeur de philosophie du lycée de Rennes, Roland Dalbiez, qui lui dit un jour : « quand un obstacle se présente, il faut Dire l’être-à-dire : l’intrépidité ontologique de Paul Ricœur Le Portique, 26 | 2011 1 l’affronter, ne pas le contourner, ne jamais rester sur la peur d’y aller voir ». Soixante- cinq ans plus tard, le rappel de ce précepte s’accompagne de ce constat : « Cette espèce d’intré pidité philosophique m’a soutenu durant toute ma vie » 5. On la remarque, certes, en chacune des composantes de l’œuvre mais nulle part, sans doute, aussi nettement que dans l’élaboration de la philosophie du langage dont je voudrais, sommairement, retracer les principales étapes. 3 Le début des trente années que prend en compte « De l’interprétation » se situe au moment où Ricœur opère, dans La Symbolique du Mal 6, une « greffe herméneutique » sur la phénoménologie du volontaire et de l’involontaire à quoi se limitait la première partie de sa Philosophie de la Volonté 7. Pour lui, les symboles – en l’occurrence ceux du mal : chute, souillure, déviation, errance… — sont des expressions à double sens, porteuses d’un sens apparent, littéral, mais aussi d’un sens caché qui ne se révèle que dans les interprétations du premier. Plusieurs interprétations en sont possibles. L’enjeu d’une interprétation proprement philosophique des symboles, et des mythes qui les exposent, est de parvenir à penser, à rendre intelligible, ce qu’ils donnent à penser. Selon la Conclusion de l’ouvrage, précisément intitulée « Le Symbole donne à penser », ce don réside dans le dévoilement de certains aspects de l’expérience humaine inaccessibles à la réflexion immédiate de soi sur soi. Une réflexion médiatisée par les symboles permet un enrichissement de la conscience de soi et, surtout, la découverte des liens entre l’être de l’homme et l’être, qui l’interpelle en chaque symbole, d’autres êtres que lui-même. Telle est la « fonction ontologique » assignée au symbole : « C’est donc finalement comme indice de la situation de l’homme au cœur de l’être dans lequel il se meut, existe et veut, que le symbole nous parle. Dès lors la tâche du philosophe guidé par le symbole serait de rompre l’enceinte enchantée de la conscience de soi, de briser le privilège de la réflexion. Le symbole donne à penser que le Cogito est à l’intérieur de l’être et non l’inverse » 8. Les mythes et les symboles transmis par les grandes cultures humaines parlent (La Symbolique du Mal ne s’appuie que sur les cultures biblique et grecque, mais ne ferme pas la porte à d’autres). Ce dont ils parlent, c’est de l’expérience humaine concrète dont l’intellection requiert le détour par leur interprétation. Dès cette époque, Ricœur se barre la voie courte de la connaissance immédiate de soi, empruntée par Descartes et Husserl, par Hume et par Bergson, et s’engage délibérément sur la voie longue et hasardeuse d’une exploration des multiples médiations entre soi et soi. Ce n’est pas l’abandon d’une philosophie réflexive, dont toujours il se réclamera, mais l’affirmation, au sein de cette philosophie, du primat de la médiation sur la certitude immédiate du « Je pense ». 4 S’apercevant de l’insuffisance d’une herméneutique définie par l’inter prétation des symboles, Ricœur s’oriente, au cours des années suivantes, vers une herméneutique définie par l’interprétation des textes. Parmi les raisons qui ont déterminé ce déplacement et cette amplification du programme initial, il faut, si l’on en croit Réflexion faite 9, privilégier le rôle qu’a joué la préparation de son livre sur Freud 10, à laquelle il doit, dit-il, « la reconnaissance de contraintes spéculatives liées à ce que j’appelais le conflit des interprétations » 11 : la reconnaissance du droit égal d’interpréta tions rivales à être prises en considération par la spéculation philosophique. Ce qu’elles interprètent, ce sont des textes et leur conflit se déploie en des textes sur ces textes. L’herméneutique de Freud, « maître du soupçon », dans la lignée de Feuerbach, Marx et Nietzsche, fait ici face à la philosophie réflexive, à la phénoménologie et à une herméneutique non point démystificatrice mais instauratrice de sens (qu’illustre Gadamer). Une herméneutique critique doit assumer et valider l’interprétation réductrice de la psychanalyse d’où émerge Dire l’être-à-dire : l’intrépidité ontologique de Paul Ricœur Le Portique, 26 | 2011 2 un « Cogito blessé » : « Un Cogito qui se pose mais ne se possède point ; un Cogito qui ne comprend sa vérité originaire que dans et par l’aveu de l’inadéquation, de l’illusion, du mensonge de la conscience actuelle » 12. Mais elle doit, au même titre, accueillir l’interpré tation « amplifiante » pour laquelle la conscience n’est pas une origine mais une tâche à accomplir, une fin à viser. Dans l’ouvrage de 1965, Ricœur en trouve le parfait modèle dans La Phénoménologie de l’Esprit de Hegel et se livre à l’acrobatique tentative d’articuler dialectiquement l’une à l’autre l’« archéologie du sujet » freudienne – l’explicitation du « Sum » au cœur du « Cogito » qu’implique « la position du désir par quoi je suis posé, je me trouve déjà posé » 13 – et la « téléologie du sujet » hégélienne 14. 5 C’est cette « position du désir » qui permet de surmonter l’écart entre les deux espèces de langage qu’entremêlent les écrits de Freud, celui d’une énergétique énonçant des conflits de forces et celui d’une herméneutique, d’une interprétation du sens : ainsi le rêve, en tant qu’expression du désir, est-il à la flexion du sens et de la force. Sa lecture de Freud, et l’inter prétation philosophique qu’il en propose, centrée sur la téléologie implicite de la psychanalyse, sont, d’emblée, inscrites par Ricœur dans le grand débat sur le langage qui agite alors nombre de philosophes et de théoriciens des sciences humaines. On est à l’apogée du structuralisme qu’il a déjà affronté, comme en témoigne son infructueux essai de dialogue avec Lévi-Strauss, publié sous le titre « Structure et herméneutique » dans la revue Esprit en novembre 1963 15. La confrontation avec les disciplines diverses où triomphe l’explication structurale va lui imposer de nouveaux détours et le conduire sur un « second front uploads/Philosophie/ rose-goetz.pdf
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- Publié le Jul 07, 2021
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