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Tous droits réservés © Société de philosophie du Québec, 2016 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 23 août 2022 05:16 Philosophiques Varia Habermas, lecteur de J. L. Austin L’illocution et la perlocution dans le modè le communicationnel Sébastien Roman Volume 43, numéro 2, automne 2016 Dossier. Usages de la réflexivité en philosophie allemande URI : https://id.erudit.org/iderudit/1038214ar DOI : https://doi.org/10.7202/1038214ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Société de philosophie du Québec ISSN 0316-2923 (imprimé) 1492-1391 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Roman, S. (2016). Habermas, lecteur de J. L. Austin : l’illocution et la perlocution dans le modèle communicationnel. Philosophiques, 43(2), 441–464. https://doi.org/10.7202/1038214ar Résumé de l'article Dans la Théorie de l’agir communicationnel, Jürgen Habermas élabore pour la première fois le modèle communicationnel, dans l’intention d’en faire la norme de toutes les pratiques langagières. Pour ce faire, il recourt aux analyses austiniennes sur l’illocution et la perlocution, dont il propose une réinterprétation qui prétend parvenir à leur donner un sens adéquat, et les distinguer clairement. Le présent article fait l’examen critique de cette prétention, et démontre que la pragmatique formelle habermassienne n’est pas convaincante. PHILOSOPHIQUES 43/2 — Automne 2016, p. 441-464 Habermas, lecteur de J. L. Austin L’illocution et la perlocution dans le modèle communicationnel SÉBASTIEN ROMAN ENS Lyon sbrom@free.fr RÉSUMÉ. — Dans la Théorie de l’agir communicationnel, Jürgen Habermas éla- bore pour la première fois le modèle communicationnel, dans l’intention d’en faire la norme de toutes les pratiques langagières. Pour ce faire, il recourt aux analyses austiniennes sur l’illocution et la perlocution, dont il propose une réin- terprétation qui prétend parvenir à leur donner un sens adéquat, et les distinguer clairement. Le présent article fait l’examen critique de cette prétention, et démontre que la pragmatique formelle habermassienne n’est pas convaincante. ABSTRACT. — In the Theory of Communicative Action, Jürgen Habermas, for the first time, develops the communicational model, with the intent to take it as the norm of language practices. To this end, he refers to John L. Austin’s analysis of illocutionary and perlocutionary acts, and proposes to reinterpret these notions in order to adequately define and clearly distinguish them. The present paper evaluates this Habermasian project, and shows that Habermas’ Formal Prag- matics is not convincing. L’éthique habermassienne de la discussion est aujourd’hui très bien connue, et son consensualisme, ainsi que son formalisme, ont et continuent de donner lieu à de nombreux commentaires. Notre intention ici est d’attirer l’attention sur un moment crucial de sa gestation dans la Théorie de l’agir communicationnel1, quand Habermas propose une justification de la nor- mativité de l’agir communicationnel par une reprise des travaux de John Langshaw Austin sur l’illocution et la perlocution. Habermas se sert d’Austin pour faire de l’agir communicationnel le modèle à partir duquel devront être évaluées toutes les pratiques langa- gières. Pour ce faire, il prétend avoir trouvé le sens véritable de l’illocution et de la perlocution, qui manquait à Austin pour parvenir à les distinguer clairement. Dans Quand dire, c’est faire2, Austin n’était pas lui-même satis- fait de sa classification des actes de discours, et il est indéniable qu’il n’est pas toujours facile de le suivre dans ses tentatives de distinction des actes illocutoires et perlocutoires. Habermas prétend avoir trouvé le moyen de mettre fin aux hésitations austiniennes par l’élaboration d’un formalisme 1. Jürgen Habermas, Théorie de l’agir communicationnel, Paris, Fayard, 1987, tome 1. Dans la Théorie de l’agir communicationnel, le modèle de l’éthique de la discussion n’est pas encore (explicitement) élaboré ou construit. Mais les réflexions menées par Habermas sur la normativité de l’agir communicationnel y contribuent fortement, si bien que les contester revient à remettre en cause un tel modèle. 2. John L. Austin, Quand dire, c’est faire, Paris, Seuil, 1970. 442 • Philosophiques / Automne 2016 qui permettrait de dépasser les embarras liés à une approche empirique du langage qui ne peut que se perdre, selon lui, dans la diversité des actes de parole étudiés. Par conséquent, l’enjeu est de savoir si Habermas tient parole, autre- ment dit si son interprétation de l’illocution et de la perlocution est convain- cante, non seulement pour reprendre, voire achever les travaux d’Austin, mais également pour ériger en norme l’agir communicationnel. Habermas découvre-t-il le sens véritable des actes illocutoire et perlocutoire, ou n’en propose-t-il qu’une modification substantielle qui, loin de convaincre, révèle le caractère infondé et contradictoire du modèle communicationnel ? La pré- tention à l’universalité de l’agir communicationnel est-elle légitime, ou n’est- elle que l’invention d’un métadiscours qui à la fois occulte l’hétérogénéité des pratiques langagières, introduit une dimension intentionnelle probléma- tique dans l’analyse du langage, et fait abstraction du monde social, notam- ment de la hiérarchie et des rapports de force qui existent entre les individus ? Notre raisonnement va procéder en deux temps : nous allons, premiè- rement, expliciter les raisons pour lesquelles Habermas lit Austin, et la manière dont il le fait. Il sera question, ensuite, d’évaluer la pertinence de son interprétation des actes illocutoire et perlocutoire, en reprenant certains points des discussions très intéressantes que Habermas a eues avec Erling Skjei à ce sujet, et avec Herbert Schnädelbach sur la question de la rationa- lité communicationnelle, pour les prolonger et les compléter3. 1.  L’illocution et la perlocution : leur clarification par la distinction entre l’agir communicationnel et l’agir stratégique Rappelons très brièvement, pour commencer, certains points essentiels. La Théorie de l’agir communicationnel est l’ouvrage dans lequel, pour la pre- mière fois, Habermas élabore conceptuellement sa théorie de l’activité com- municationnelle4. Nombre de commentateurs considèrent, avec raison, que cet ouvrage représente un tournant dans la pensée habermassienne, et ne s’opposent ensuite que sur la manière de l’interpréter, soit positivement comme le signe d’un perfectionnement, soit de façon beaucoup plus critique 3. Erling Skjei, « A Comment on Performative, Subject, and Proposition in Habermas’s Theory of Communication », Inquiry, n° 28, 1985, p. 87-105 ; Jürgen Habermas, « Reply to Skjei », Inquiry, n° 28, 1985, p. 105-113 ; « Some Further Clarifications of the Concept of Communicative Rationality » (1996), in Jürgen Habermas, On the Pragmatics of Communica- tion, Cambridge (Mass.), Mit Press, 1998, p. 307-342. Ces textes ne sont pas encore traduits en français. D’où l’intérêt de les commenter aujourd’hui pour en favoriser une plus grande connaissance. 4. Très schématiquement, Habermas s’intéresse de plus près à la théorie de l’activité communicationnelle dès 1968, après Connaissance et intérêt qui marque sa rupture avec le modèle de la psychanalyse pour penser l’élaboration des sciences sociales critiques. Mais il faut attendre la Théorie de l’agir communicationnel pour en avoir une modélisation plus précise et rigoureuse. Habermas, lecteur de J. L. Austin • 443 — c’est notre cas — comme celui d’un éloignement vis-à-vis des travaux de Max Horkheimer et de Theodor W. Adorno en raison de l’abstraction du modèle adopté. Pour autant, Habermas ne change pas de projet5. Depuis L’espace public, publié en 1961, son intention est de permettre l’exercice d’une démo- cratie authentique en reprenant l’idéal ou l’idée d’humanité (morale) de la « sphère publique bourgeoise » ou « opinion publique » (Öffentlichkeit) advenue au xviiie siècle. Une démocratie véritable suppose idéalement, au nom de la dignité humaine, une participation de tous à la vie publique qui prendrait la forme d’un usage public de la raison permettant aux individus de s’abstraire de leurs inégalités sociales et économiques, pour réfléchir ensemble et de manière désintéressée sur ce que doit être une société juste. La Théorie de l’agir communicationnel est le moment où Habermas forge conceptuellement le moyen de réaliser son projet, en partant de la révolution majeure opérée selon lui par le linguistic turn, à savoir l’élabora- tion possible d’une pensée post-métaphysique qui dépasse le cadre solipsiste de la philosophie de la conscience. Le tournant linguistique démontre de manière indubitable et définitive la dimension intersubjective de l’identité personnelle. Ce faisant, l’enjeu est de proposer une nouvelle lecture de la rationalité de la modernité après Max Weber, en développant sa dimension communicationnelle contre sa réduction sur le plan strictement instru- mental. Habermas désire élaborer une philosophie post-métaphysique qui se nourrit des sciences sociales. La philosophie moderne a perdu son autosuffi- sance en ne pouvant plus prétendre s’appliquer au monde dans son ensemble. Ce qui la caractérise est désormais d’être une méta-philosophie, une disci- pline qui doit faire un retour critique sur elle-même pour prendre conscience de ses limites. N’étant plus totalisante, elle a tout à gagner à travailler avec d’autres disciplines, particulièrement la sociologie qui a su conserver une approche globale des phénomènes sociaux tout en étant soucieuse de leur diversité, ce qui la rend capable d’être sensible aux différentes formes de rationalité de l’action. Pour Habermas, uploads/Philosophie/ s-roman-habermas-lecteur-de-j-l-austin.pdf

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