La question morale du bonheur par Jean-Pierre Lalloz Le commun ne cesse de répé
La question morale du bonheur par Jean-Pierre Lalloz Le commun ne cesse de répéter que le bonheur est le but de la vie, qu’il faut donc tout faire pour être heureux, et qu’on peut estimer avoir bien vécu quand la vie qu’on a menée peut globalement relever de cette idée. La notion de but signifie qu'une volonté s'est déterminée par une représentation. Si le bonheur est le but de la vie, cela peut donc signifier ou bien qu'il y a un Dieu qui veut que la vie débouche sur le bonheur, auquel cas c'est plutôt du souverain Bien (union du bonheur et de la vertu) qu'il s'agirait, ou bien que l'homme, sorti de sa propre vie par sa capacité réflexive, fait de cette vie le moyen du bonheur qui en serait dès lors la vérité. Car c'est la fin qui est la vérité du moyen en tant que moyen. Or cette vie qui serait moyen pour le vivant d'accéder au bonheur, elle comprend en elle-même la réflexion et la raison qui auront assuré cette position. Pour comprendre l’injonction commune au bonheur, il convient donc de commencer par la prendre à la lettre en examinant la possibilité de considérer le bonheur comme le but non seulement de la vie, mais de la raison qui en fait partie et qui serait en quelque sorte comme un moyen de nature seconde. Car si la vie est réflexivement constituée en moyen du bonheur, cela implique pour la raison qu'elle soit finalement constituée en moyen pour la vie. Ceci pour respecter le dit de l’injonction. Mais il n’y a de dit que d’un dire, et le second moment est celui d’une intelligence de cette injonction comme telle : comme injonction d’abord, c’est-à- dire comme parole de maître valant universellement, et comme injonction à être heureux ensuite, c’est-à-dire comme définition de chacun à partir de ce qui comblerait sa sensibilité. D’où cette question : en quoi la conscience commune est-elle si intéressée à ce que chacun soit heureux ou du moins fasse tout pour l’être ? Cet idéal de l'imagination est exclu de la nécessité exigée par sa propre notion Kant, penseur de la réflexion et dont les positions sont pour cette raison paradigmatiques, fait remarquer que l'idée de bonheur est d'emblée contradictoire. D'une part, dans son aspect formel, elle renvoie à une totalité absolue, puisqu'elle suppose, pour le maximum du bien être possible, la totalisation certaine du présent et de l'avenir. Cette notion implique donc que nous possédions la parfaite connaissance de toutes les conditions de la vie, c'est-à-dire que nous soyons omniscients. Comme ce n'est pas le cas, nous sommes contraints de nous contenter d'observations et de règles empiriques. La relativité du bonheur, son caractère " sublunaire " comme dirait Aristote, nous cantonne par conséquent dans l'ordre de l'habileté (Geschicklichkeit), incommensurable non seulement à l'absoluité de la conscience morale qui fait notre dignité, mais encore à l'absoluité de la notion même du bonheur. D'autre part, dans son aspect matériel, l'idée du bonheur ne peut pas contenir autre chose que des données particulières que nous aurons généralisées selon une légitimité toujours douteuse. Chacun a donc une représentation de son bonheur dont la partialité et la contingence jurent avec idéal de plénitude de la satisfaction que signifie l'idée de bonheur. " L'idée de bonheur est donc un idéal, non pas de la raison, mais de l'imagination, fondé uniquement sur des principes empiriques, dont on attendrait vainement qu'ils puissent déterminer une action par laquelle serait atteinte la totalité d'une série de conséquences en réalité infinie. " Un but étant une détermination de la raison et non de l'imagination, et la première répondant seule au critère de la nécessité quand la seconde reste le domaine d'une certaine contingence, ce premier argument, suffisant en droit, récuse l'éventualité représentative que nous consacrions toute notre vie à la tâche de nous rendre heureux. Premier moment de la déconstruction par elle-même de l’injonction commune. Le philosophe souligne également la naïveté d'une telle entreprise, qui supposerait la nature magiquement adaptée à nos souhaits. On peut certes user de prudence (mais vivre prudemment, est-ce vivre ?) et par là diminuer les risques de malheurs ; cependant nous devons savoir que beaucoup d'entre eux échappent totalement à notre prévision (c'est la définition même de l'accident qu'il soit imprévisible, même si on peut faire en sorte qu'il soit moins probable), et même à toute éventualité d'être empêchés (si prudent et retenu qu'on soit, on mourra, et surtout ceux qu'on aime mourront). Il est donc absurde de déterminer sa volonté par la représentation hasardeuse d'un idéal dont la réalisation présente en outre la propriété de ne quasiment pas offrir de prise à la volonté. L'idée du bonheur comme but de la vie est donc logiquement absurde. Que veut donc la conscience commune quand elle veut que nous soyons heureux ? Tout autre chose, apparemment. Purement sensible, le bonheur ne relève pas de la morale, voire la contredit Si un but est une détermination de la volonté et pas simplement du désir ou du souhait (voire de l'envie, qui est la souffrance de voir la satisfaction des autres), il doit correspondre aux fins de la raison en tant que telle. En quoi c'est la nécessité morale que l'on désigne : agir moralement, c'est seulement agir comme la raison nécessite qu'on agisse, autrement dit c'est s'en tenir à la forme même de la raison, à la légalité pure des actions. Ainsi pour savoir si le bonheur peut être un but pour la vie, il faut s'interroger sur sa compatibilité avec l'exigence morale. a) la question du bonheur est étrangère à la question morale Un premier argument s'impose immédiatement : le bonheur ne relève pas de la morale, c'est-à- dire du commandement par quoi la raison s'impose à la sensibilité, puisqu'il relève de cette sensibilité même - et qu'il va dès lors de soi qu'un être sensible le souhaite pour la seule raison qu’il est sensible. Autrement dit, il serait absurde d'accorder la moindre valeur morale à ce qu'on recherche spontanément : on ne peut dire qu'on a du mérite à travailler à son propre bonheur. En ce sens le bonheur est parfaitement étranger à la question de la liberté dont la morale est la mise en œuvre, précisément à cause du caractère formel et non matériel de cette dernière. Or le devoir n'a de sens que par la liberté, à laquelle l'aspiration au bonheur est dès lors étrangère : la liberté est autonomie (se déterminer par soi-même, donc d'une manière purement formelle parce qu'autrement on serait déterminé par le caractère désirable de tel ou tel objet), alors que la notion du bonheur est celle de l'hétéronomie, puisqu'il s'y agit de la manière dont le monde se conciliera avec nos exigences sensibles, telles qu'elles sont conditionnées par les objets qui se présentent à elles. Autrement dit le bonheur relève d'une singularité, telle que mon expérience factuelle et contingente la constitue dans mon imagination, et par conséquent reste étranger à la détermination formelle et universelle de la bonne volonté, c'est-à-dire de la volonté qui ne se détermine que selon le respect de la loi comme loi. Le bonheur qui relève de la prudence non de la nécessité catégorique reste très clairement étranger à la question morale. Mais il faut aller plus loin encore dans cette direction, et rappeler que la question morale a été résolue par Kant au moment où il l'a libérée du savoir de son objet. Dans l'Antiquité, il était toujours question d'agir selon le Bien, et par conséquent d'en avoir la connaissance. Concrètement la question de la morale était confondue avec celle du savoir et de la sagesse. Or même " un humble artisan ", nous dit Kant, est susceptible de hauteur morale, bien qu'il n'ait jamais entendu parler de l'Idée platonicienne du Bien ou de la sagesse des stoïciens, parce qu'il possède la raison en lui (c'est un être humain) ; et la raison, par définition, est purement formelle. Nous savons tous, autrement dit, qu'une action strictement morale est celle que nous accomplissons par représentation de la loi pure c'est-à-dire en tant que représentants de l'humanité. La morale exclut tout savoir déterminé : elle ne dit pas ce que je dois faire, mais seulement que je dois - la déterminité des actions n'étant impliquée que dans le caractère impératif du devoir, c'est-à-dire dans la nécessité que la formalité de la loi s'impose à l'encontre de la sensibilité qui est toujours concrète. Or justement, comme idéal de l'imagination, le bonheur renvoie chacun au savoir de ce qui le rendrait heureux, tel qu'il peut le constituer empiriquement. Si maintenant on se place d'un point de vue subjectif, la question devient celle de la valeur morale du sentiment. En effet le bonheur relève éminemment de cette problématique, puisqu'être heureux ne diffère pas du sentiment d'être heureux (alors que se sentir en bonne santé peut être illusoire, par exemple). Or le sentiment est exclusif de la nécessité rationnelle, et par conséquent pour nous de l'idée même de but pour la vie. uploads/Philosophie/ la-question-morale-du-bonheur-pdf.pdf
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- Publié le Jan 28, 2021
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