Soi-même comme un autre Author(s): Paul Ricœur and Gwendoline Jarczyk Source: R
Soi-même comme un autre Author(s): Paul Ricœur and Gwendoline Jarczyk Source: Rue Descartes, No. 1/2, Des Grecs (Avril 1991), pp. 225-237 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40978284 . Accessed: 06/11/2014 04:39 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org. . Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Rue Descartes. http://www.jstor.org This content downloaded from 193.55.96.119 on Thu, 6 Nov 2014 04:39:36 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions Un entretien avec Paul Ricœur Soi-même comme un autre (Propos recueillis par Gwendoline Jarczyk) Gwendoline JARCZYK. - Votre dernier ouvrage, au titre évocateur de Soi-même comme un autre, apporte une contribution importante à votre recherche de toujours. Comment y rencontrez-vous le « sujet » ? Paul RICŒUR. - Je le rencontre sous un titre qui a été choisi à dessein : distinct du «Moi». Dans les discussions philosophiques, il est généralement fait Papologie ou l'attaque de la philosophie du sujet. Comme si, nécessai- rement, elle était une « égologie », une théorie du « Moi ». J'ai donc choisi un terme moins marqué par ces querelles, et peut-être plus disponible pour cette raison : «Soi». Il comporte deux particularités grammaticales - je commence par là : tout d'abord, «Soi» ne figure pas dans la liste des pro- noms personnels; ce n'est ni «Je», ni «tu», ni «il», ni «elle», mais bien le réfléchi de tous ces pronoms personnels. Ce réfléchi - c'est là ma deuxième observation au niveau de la grammaire - se remarque surtout en liaison avec les infinitifs. C'est-à-dire, ainsi que Guillaume l'avait noté autrefois, l'infinitif exprime le verbe « en puissance », avant qu'il soit déployé dans les temps verbaux. En effet, quand nous disons «se connaître», «se comprendre», «s'estimer soi-même», le «se» est le réfléchi du verbe qui pourra être distribué sur toutes les personnes. C'est donc ce caractère de réfléchi distribuable sur tous les pronoms personnels, y compris sur les pronoms «non-personnels», comme «on» et «chacun», qui m'a retenu. Prenez la formule du droit «à chacun "son" dû»... Le «se» m'a semblé être ainsi un terme extrêmement fort qui avait peut-être échappé à des que- relles philosophiques centrées sur le primat de la première personne. Puis- que le «se» peut être le réfléchi de la troisième personne, je comprends parfaitement les phrases suivantes : «II "se" souvenait», «elle "se" disait à elle-même». Pour sortir de la grammaire et en arriver à la discussion phi- losophique, ce qui m'a paru remarquable dans ce terme « soi » et « soi-même » (où le « même » renforce le « soi »), c'est qu'il est toujours indirect ; si, par This content downloaded from 193.55.96.119 on Thu, 6 Nov 2014 04:39:36 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions 226 PAUL RICŒUR exemple, je dis « le souci de soi » - Tun des derniers beaux titres de Michel Foucault - on voit que le « Soi » est le réfléchi et le complément d'un infi- nitif sous-entendu : se soucier. Voilà qui est dans la ligne de mon hermé- neutique, selon laquelle il n'y a pas de connaissance de soi immédiate, mais on se connaît à travers, comme je l'ai dit bien des fois, des signes, des oeuvres, des textes que l'on a compris et aimés. Il s'agit donc de ce caractère indi- rect de l'atteinte de « soi » : à travers l'action - je me connais comme l'agent de mon action -, à travers mes récits - je me connais soit comme le narra- teur soit comme le personnage des récits que je fais sur moi-même, que les autres font sur moi-même -, et je suis aussi l'objet ou le terme des appré- ciations morales, dans l'estime, dans le respect. Quand je dis, par exemple, «estime de soi», je ne dis pas «estime de moi», mais je pense à l'estime du « Soi » en quiconque ; et quand je parle du respect de soi, je vise d'abord autrui, mais également moi-même. Et donc le « toi » et le « moi » aussi sont en quelque sorte enveloppés dans ce «Soi» réfléchi. Je reviens à votre question. J'ai évité précisément le vocabulaire du sujet, parce qu'il a été marqué historiquement par la première personne, le « ego cogito» de Descartes, le «Ich denke» de Kant, puis le «Je» tout-puissant, en tous cas tout-constituant, de Husserl. C'est donc pour m'éloigner de cette tradition idéaliste que j'ai choisi cette dénomination. G. J. - Que reprochez-vous à cette tradition où le «Je» est appréhendé à la première personne ? P. R. - Le fait qu'elle a pu provoquer une réaction saine, qui est celle, par exemple, de Levinas disant : «Non, il faut commencer par l'autre, parce que la présupposition de cette alternative, c'est que c'est "Moi" qui com- mande le jeu dans une philosophie du sujet ; la seule alternative est alors l'alternative forte que Levinas a poussée (j'ai écrit quelque part que sa rhé- torique était une rhétorique de l'hyperbole) jusqu'à faire du «Moi » l'otage de Tautre, la substitution (je dois me mettre à la place de...), précisément parce que la philosophie morale de Levinas est une philosophie où le sujet c'est « Moi ». En ce sens, j'ai la même cible que lui ; seulement, comme j'essaie de libérer la question du «Soi» de cet impérialisme du «Je», je sens moins fortement la nécessité de lui donner une seule alternative, à savoir de commencer par la seconde personne. Je rencontre ce problème moi aussi, bien entendu, mais sous l'égide, si je puis dire, de la question plus générale du «Soi». Si vous me permettez une autre légitimation de cette préférence, je me suis heurté, non pas dans des discussions avec la philosophie classique euro- péenne - Descartes, Kant et d'autres - mais avec la philosophie analyti- que anglo-saxonne, à un problème qui est extrêmement discuté dans ladite This content downloaded from 193.55.96.119 on Thu, 6 Nov 2014 04:39:36 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions Soi-même comme un autre 227 philosophie lorsqu'elle en vient aux questions du sujet - depuis Witt- genstein, en particulier -, c'est la question de l'identité. Qu'est-ce qui fait l'identité d'un «Soi» ? Je suis frappé par le fait que, sous les mots «identi- que » ou « identité », nous mettons deux significations tout à fait différen- tes : selon la première, l'identique, c'est ce qui ne change pas ; c'est l'immuable. Il s'est fait une sorte de fusion avec les philosophies du sujet en «Je» (première personne) et de l'identique (en immutabilité), comme s'il y avait un substrat qui ne bougeait pas derrière les changements. C'est cette collusion justement entre l'identité immuable et la première personne toute- puissante que j'ai essayé de briser en donnant un autre sens à « identique », qui est cette sorte d'identité que nous connaissons par la fidélité à la parole donnée ; ici, « identique » ne veut pas dire que je ne change pas, mais que, malgré mes changements, je me maintiens dans une obligation. L'identi- que est donc le « ipse » latin plutôt que le « idem », le « idem » étant le non- changeant, tandis que le « ipse» c'est tout ce qui répond à la question « Qui suis-je ? » Non pas « que » suis-je, mais « qui » suis-je. Quand on entre dans la question «qui», on entre dans un ensemble de problèmes qui justement échappent à la sorte d'identification objective poursuivie dans la philoso- phie analytique sous le titre de l'identité personnelle. G. J. - Telle est donc la raison qui a déterminé ce nouvel ouvrage... P. R, - C'est une recherche qui vient très tard et à la fin sans doute de mon travail philosophique ; parce que j'ai voulu régler mes comptes non pas avec les autres, mais avec moi-même, c'est-à-dire avec tous ceux que j'ai croisés pendant trente ou quarante années de travail, et qui ont représenté des varia- tions énormes sur cette question du sujet. Depuis le personnalisme de Mou- nier et de Gabriel Marcel en un certain sens, l'existentialisme de Sartre, la phénoménologie de Merleau-Ponty, l'herméneutique, et puis la grande vague inverse du structuralisme : on élimine le sujet, on va même jusqu'à l'idée de la malfaisance de l'humanisme... ; c'est donc face à ces renversements que je me suis demandé : « Quel cap ai-je tenu à travers tout cela ? » Et si, d'une part, je n'ai jamais cédé à l'antihumanisme, et que d'autre part je n'ai jamais fait l'apologie du «cogito» cartésien, je me suis dit uploads/Philosophie/ soi-meme-comme-un-autre-entretien-avec-ricoeur-jarczyk-1991.pdf
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- Publié le Sep 21, 2022
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