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Tous droits réservés © Athéna éditions, 2017 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 10 jan. 2022 05:39 Cahiers de recherche sociologique Quelques contributions de Peirce à l’épistémologie des sciences sociales Some Peircian Contributions to the Epistemology of Social Sciences Algunas contribuciones de Peirce a la epistemología de las Ciencias Sociales Alain Létourneau Peirce et les sciences sociales. Une sociologie pragmaticiste ? Numéro 62, hiver 2017 URI : https://id.erudit.org/iderudit/1045613ar DOI : https://doi.org/10.7202/1045613ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Athéna éditions ISSN 0831-1048 (imprimé) 1923-5771 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Létourneau, A. (2017). Quelques contributions de Peirce à l’épistémologie des sciences sociales. Cahiers de recherche sociologique, (62), 21–44. https://doi.org/10.7202/1045613ar Résumé de l'article Le but de l’article est surtout de montrer que si nous réfléchissons aux liens entre deux notions de base de la philosophie de Peirce, soit le traité de la sémiosis et le traité des catégories (soit la priméité, la secondéité et la tiercéité), nous pouvons y découvrir les bases d’une épistémologie des sciences interprétatives, et notamment les sciences sociales qui se réclament d’une telle perspective. Si tout l’interactionnisme repose sur une notion interactive du signe, c’est que déjà chez Peirce l’interprétation des signes est sociale. De plus, s’il est bien exact que les sciences sociales ont souvent voulu thématiser l’action humaine, et ce notamment au 20e siècle, il est clair qu’une troisième idée de Peirce, soit la notion de science normative de l’action appelée « practics », a quelque chose d’inaugural au plan conceptuel, tant pour la sociologie que pour une éthique qui ne voudrait pas s’identifier à la morale mais thématiser sa réflexion pratique. Quelques contributions de Peirce à l’épistémologie des sciences sociales Alain Létourneau Introduction La difficulté de traiter Peirce est connue : compte tenu des aléas d’une car- rière qui ne fut pas couronnée de succès, bon nombre de ses écrits n’ont pas été publiés de son vivant, encore moins ont-ils pu être convenablement revus et corrigés par lui-même. Après plusieurs éditions partielles, les Presses de l’Université de l’Indiana ont commencé à faire paraître les œuvres com- plètes, les Writings ; le 8e volume est paru en 2010, mais nous savons qu’ils en ont encore pour plusieurs années, et en français les traductions s’addition- nent peu à peu, à une vitesse relativement lente ; je me référerai aux volumes parus aux éditions du Cerf ainsi qu’à l’ouvrage paru au Seuil, puis celui chez Aubier1. Si les premiers grands textes publiés dans les revues, alors que Peirce avait un certain rayonnement universitaire, sont assez connus, parmi lesquels on trouve « Comment rendre nos idées claires » ou bien « Quelques consé- quences de quatre incapacités », bien d’autres textes importants le sont très peu en dehors du cercle des spécialistes. Je ne souhaite pas trop m’avancer sur le terrain des textes plus métaphysiques de Peirce, produits plus tardive- ment et pas dans les meilleures conditions. 1. C. S. Peirce, Textes anticartésiens, Tr. Joseph Chenu, Paris, Aubier, 1984. Cahiers de recherche sociologique, no 62 hiver 2017 Peirce a souvent remis sur le chantier des questions déjà traitées ailleurs sans qu’il fasse lui-même les liens avec ses élaborations précédentes ; la fré- quentation de ses textes montre qu’il renvoie peu à ses propres écrits2. On mésestime en général le travail de réécriture constant et d’élargissement que fut celui de Peirce, fascinés que nous sommes peut-être par la rigueur de ses raisonnements et par la logique de son discours. De fait il ne se gêne pas pour reprendre à nouveaux frais la réflexion, et rejoint alors tendancielle- ment certains points qu’il a établis ailleurs et autrement, sans qu’il y ait une totale identité entre ces divers développements. Ce qui va de pair avec des variations de vocabulaire déjà bien identifiées par Deledalle il y a plusieurs décennies3. Hans Joas a déjà fait remarquer combien l’apport de Peirce a pu être révolutionnaire. Il rappelait d’abord quelques conséquences de la pensée de Peirce et du pragmatisme en général : impossibilité d’un doute abstrait à la Descartes, et donc renonciation à un point de départ dans une conscience solitaire ; le doute ne fait surface que dans des situations d’action ; nous pou- vons alors penser le processus cognitif comme un processus coopératif4. Dès lors, la pensée naît dans des situations problématiques, pensée et agir sont intimement liés et le dualisme opposant corps et esprit peut aussi être évité�5 Et de fait, il n’y a qu’à reprendre par la réflexion la maxime du pragmatisme formulée par Peirce lors de ses fréquentations du Metaphysical Club pour retrouver cette étroite connexion entre la pensée et l’action6. L’agent est conçu comme actif et résolvant des problèmes, non comme passif et recevant seulement des stimuli auxquels il s’agirait de répondre7. Mais pour Joas, c’est seulement avec Dewey et surtout Mead que l’ap- port du pragmatisme aux sciences sociales est devenu clair. C’est en portant l’attention sur les actions que les individus ont les uns sur les autres que Mead permettait, plutôt que de s’arrêter sur l’agent individuel solitaire, de prendre une perspective intersubjective8. La formation de l’individu deve- nait du même coup un espace de réflexion pour comprendre le processus 2. À titre d’exemple, quand il réfléchit en 1906 aux sciences normatives dans leur lien avec la pragmaticisme, il mentionne certes les Harvard Lectures qu’il prépare, mais il ne revient aucunement sur les textes des années 1867 et suivantes, souvent considérées de la première importance. Voir Nathan Houser et al. (dir.), The Peirce Edition Project, The Essential Peirce, v. 2, Bloomington, Indiana University Press, 1998, p. 371 s. 3. Gérard Deledalle, « Commentaire », dans Ch. S. Peirce, Écrits sur le signe, Paris, Seuil, 1978, p. 203 s. 4. Hans Joas et Wolfgang Knöbl, Social Theory. Twenty Introductory Lectures, Cambridge, Cambridge University Press, 2009, p 126. 5. Ibid., p. 127. 6. Elle est formulée par écrit d’abord dans « How To Make Our Ideas Clear » (1878) : « Consider what effects, which might conceivably have practical bearings, we conceive the object of our conception to have. Then, our conception of these is the whole of our conception of the object » (W 3 : 265). 7. Hans Joas, Pragmatism and Social Theory, Chicago, University of Chicago Press, 1993. 8. Hans Joas et Wolfgang Knöbl, Social Theory, op. cit., p. 128. Quelques contributions de Peirce à l’épistémologie des sciences sociales de socialisation lui-même. Les choses deviennent de fait plus claires avec la théorie de la communication de Mead : les symboles, qu’il s’agisse d’objets, de gestes, de mots prennent leur sens dans les interactions. Ce que nous proposons de faire ici, et à notre sens cela n’a pas été encore accompli, c’est de faire retour à Peirce après l’apport de Mead, de l’interactionnisme et après la relecture de Eco9. On verra que certains de ses concepts clés peuvent être décodés en montrant, mieux qu’on ne l’a fait jusqu’à maintenant, leur intérêt pour les sciences interprétatives en général, parmi lesquelles il faut compter du moins certaines des sciences sociales. Si Umberto Eco a bien vu la pertinence de Peirce pour l’interprétation des œuvres (et ses limites), on ne peut pas dire que la portée plus vaste du lien entre la triadicité des catégories peirciennes et la question de l’inférence pour les sciences interprétatives a été bien ressaisie10. Mais pour montrer ceci, il nous faudra aussi revenir sur les bases de l’apport théorique de Peirce. Le caractère normatif de la démarche de Peirce a aussi d’importantes consé- quences pour les sciences sociales, et constitue l’amorce d’une importante critique des morales sociales, tout en inaugurant en un sens le domaine des sciences de l’action, comme on le verra plus loin. Pertinence de Peirce pour l’épistémologie Si nous soutenons que le travail de Peirce est pertinent pour ce que nous appelons l’épistémologie, encore faut-il bien sûr éviter de penser celle-ci comme quelque chose qui surplomberait dans un discours détaché une pro- duction scientifique donnée, lui précisant dès lors son rôle et ses limites. Peirce ne se serait pas engagé dans une telle entreprise, ce qui ne veut pas dire que ses écrits n’éclairent pas la question de savoir comment on connaît, question qui semble bien être au cœur de la démarche épistémologique, et de son propre travail. Tout son impressionnant défrichement en logique a des conséquences pour la discussion épistémologique, et ce quel que soit le champ scientifique particulier concerné. Pour lui, la logique comme science normative serait aussi une dialectique au sens de la critique des arguments : rappelons les discussions sur l’inférence sous ses différentes modalités, la ques- tion de l’inférence probable, la place de uploads/Philosophie/ some-peircian-contributions-to-the-epistemology-of-social-sciences-algunas-contribuciones-de-peirce-a-la-epistemologia-de-las-ciencias-sociales.pdf
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- Publié le Fev 02, 2022
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