« Le Syntagma philosophicum de Gassendi, essai de synthèse ou fondation d’un sy
« Le Syntagma philosophicum de Gassendi, essai de synthèse ou fondation d’un système a posteriori ? » L’œuvre philosophique de Gassendi (1592-1655) est constituée de différents ouvrages aux orientations variées (astronomie, physique, biographies, philologie, lettres) publiés pour l’essentiel dans les six tomes des Œuvres complètes parues, de façon posthume, en 1658 ; . Je me propose de rendre compte ici à gtrands traits de son activité philosophique son rejet des positions aristotéliciennes, systématiques, sa critique de Descartes, jugé de même, son éclectisme, son recours à l’érudition, et son adhésion acrobatique à la fois à l’épicurisme et au catholicisme qui sont peut- être des systèmes, mais qui en tout cas s’opposent bel et bien. Du point de vue de l’histoire de la pensée de Gassendi, il faut comparer les deux Syntagma, ce qui devrait bien évidemment éclairer l’épicurisme de Gassendi, puisque le premier Syntagme pondère Épicure par le catholicisme, le second cherchant une voie vers la vérité dans tout le corps de la philosophie. La question du système paraît donc capitale dans l’élaboration et dans la formulation de la philosophie de Gassendi, et cela à la fois du point de vue généalogique et quant à la pensée. Car il faut noter d’abord (j’y reviendrai tout à l’heure) que parmi les raisons qui ont pu dicter à Gassendi l’emploi du mot Syntagme (cette raison n’excluant certes pas les autres), une retient particulièrement mon attention : syntagma, c’est le terme que Cicéron emploie dans une lettre pour évoquer ses Académiques, qu’il est alors en train de rédiger. Ce jeu de référence, qui n’est pas définitivement établi, a néanmoins trois mérites : celui de faire intervenir le platonisme, une référence inattendue dans l’œuvre de Gassendi, de poser la question de l’érudition dans la construction de cette œuvre et de forcer à s’interroger sur les rapports entre le dogmatisme et le refus du système, c’est-à-dire délimiter la part du scepticisme de Gassendi. L’objectif de cet exposé est précisément d’essayer de mettre en évidence à quel point la question est d’importance et parcourt l’œuvre de Gassendi, comme la tension se retrouve à la fois dans le contenu de sa pensée et son choix de telle position philosophique et dans sa manière de traiter les thèmes qui se donnent à sa réflexion. Je souligne d’emblée mes lacunes : je n’ai pas comparé systématiquement les deux Syntagma et je m’en tiens donc à des remarques 1 plutôt formelles. Cet exposé se veut un exercice préparatoire à la lecture d’une œuvre complexe et touffue, souvent déroutante. Je commencerai par évoquer les différentes problématiques qui se construisent autour de la notion de système, quel que soit le nom qu’on lui donne par ailleurs, avant de revenir à la question précise du choix du terme Syntagme ; j’analyserai certains passages précisément pour démontrer comment la prise en charge d’un système et sa critique, sa mise en péril, sa contestation se réalisent, comme dans l’ensemble de l’œuvre de Gassendi, dans les cas particuliers. I La critique des systèmes Un premier constat s’impose : Gassendi construit sa philosophie sur la critique des différents systèmes dont il a fait l’apprentissage au cours de sa formation, essentiellement scolastique, dans la mesure où l’enseignement est chevillé à des dogmes très forts formant systèmes, du point de vue de la physique, de la philosophie et de la théologie, et de leurs différentes partitions qui se combinent de manière à rendre compte de la totalité de l’univers, à la fois matériel et spirituel, dans la synchronie et dans la diachronie. Cette vision totale des choses, fondée sur la Bible et Aristote relu et interprété par saint Thomas, s’appuie sur les concepts d’ordre et de création du monde par Dieu, accordant une place privilégiée à l’homme et reliée à une eschatologie dont les principaux points font matière de dogmes ; elle trouve son expression dans des Sommes. Cette conception s’accompagne d’un programme d’études proprement encyclopédique, le quadrivium et le trivium, censé exposer logiquement et selon un ordre pédagogique la totalité d’un savoir considéré comme acquis, sous l’autorité d’un maître. Fort de l’évidence que ce qu’on croit être le savoir ne l’est pas vraiment, mais qu’il comporte des erreurs que l’hypothèse cosmographique de Copernic dénonce, c’est cette autorité que Gassendi s’attache dans les premières années de sa carrière à contester. Car l’argument d’autorité est un principe, la clef de voûte du système ancien sans doute. 1 la cosmographie Gassendi choisit le domaine de l’astronomie qui s’ouvre à lui au hasard d’une rencontre avec un religieux de sa Provence pour s’inscrire en rupture avec les systèmes : le système de Ptolémée ne va pas sans une conception religieuse du monde et de l’homme, marquée par la distinction entre le sub lunaire et le supra lunaire qui renvoie elle-même en dernier lieu au dogme du péché originel. Une précision de vocabulaire explique sans doute pour une part le rejet de Gassendi d’employer le mot système : en français, comme l’atteste le 2 dictionnaire de Furetière qui l’orthographie avec un i, il renvoie explicitement d’abord aux machines cosmographiques, puis aux inventions des médecins - une médecine balbutiante qui sait devenir grotesque sous la plume de Molière, que ce soit le système des saveurs, celui des quatre éléments, des acides et des alcalis. Pour l’astronomie, je cite donc Furetière : Sistème : terme d’astronomie : supposition ou hypothèse que font les astronomes d’un certain état du ciel, sur le fondement de laquelle ils expliquent tous les phénomènes ou apparences. Le mot, parce qu’il évoque définitivement les erreurs scientifiques de ses prédécesseurs, peut difficilement trouver place dans le langage de Gassendi, qui s’emploie toute sa vie, en multipliant les observations nocturnes des astres parfois au péril de sa santé, à démontrer par différents arguments la justesse des intuitions de Copernic, dont il écrit la biographie, et la valeur des thèses de Galilée. Notons aussi que le terme évoque par ailleurs à la doctrine stoïcienne, que Gassendi combat. 2 la philosophie a) Aristote Le premier ouvrage publié par Gassendi est le livre I des Exercitationes contra Aristoteleos, en 1624. Le titre désigne d’emblée les adversaires visés par ces exercices, Aristote et ses épigones. Cet ouvrage, dont la rédaction est interrompue pour différentes raisons qu’il n’est pas nécessaire d’examiner ici, limite sa réflexion à la logique et attaque donc frontalement la question du système, dans la mesure où la condition de possibilité d’un système tient à la manière dont il est chevillé dans une logique. Pour Gassendi, s’opposer à la pensée systématique d’Aristote, c’est d’abord récuser la figure de l’autorité comme garante de la vérité d’un énoncé ; c’est aussi refuser le primat d’une certaine forme de logique, fondée sur le syllogisme. Car si le syllogisme est parfaitement adapté pour énoncer une connaissance, il est en revanche incapable de créer la connaissance. Cette méthode donne en effet des résultats dommageables sur le plan scientifique - c’est-à-dire avant tout le système de Ptolémée et l’on peut noter pour le plaisir des mots la complexité croissante des êtres inventés pour faire tenir une cosmogonie qui craque de toutes parts, avec ses excentriques et épicycles qui garnissent le ciel. Je cite une lettre de Gassendi à Mersenne du 13 décembre 1635 : « S’agissant de la discipline des choses célestes, ils ont l’habitude de poser de pareille manière des hypothèses pour la discipline des choses célestes telles qu’ils n’affirment pas que les concentriques, les épicycles, les déférents, les équants et ce genre de choses sont comme ils les posent ; et ils le font cependant, parce que le calcul 3 mathématique se comprend et procède par là. Alors qu’à propos de cette discipline, certains admettent le mouvement de la terre mais que tous les autres en admettent le repos (de ces deux opinions il convient que l’une soit fausse), tu vois bien cependant comment le calcul se construit à partir de l’une ou l’autre hypothèse. J’aborde ce point seulement pour que tu comprennes que je ne dis rien d’absurde quand je considère les points, les lignes et les surfaces définis par les mathématiciens comme de pures hypothèses et qu’elles peuvent se faire sur des choses sans aucune existence. » En réalité, ce système est une construction théorique a priori qui ne tient pas compte de la réalité. Les astronomes de la tradition ptoléméenne font l’objet d’une critique féroce dès la première lettre de Gassendi, en avril 1621 : « Il existe ici des philosophes et des mathématiciens qui s’occupent plus du soleil et de la lune des alchimistes que de ceux des astronomes : ils n’observent et ne craignent pas d’autres décours que ceux qui arrivent dans leurs bourses. » En fait, le reproche que Gassendi fait aux aristotéliciens - en précisant qu’ils dégénèrent par rapport à leur maître qui a toujours prôné le recours à l’observation -, c’est que, dans leur zèle à suivre les principes dégagés par une logique qu’il attaque comme purement formelle, ils succombent à la tentation de masquer la réalité pour qu’elle s’accorde avec leurs hypothèses. Pour Gassendi, il faut revenir au réel, car tout uploads/Philosophie/ systeme.pdf
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- Publié le Mai 17, 2021
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