Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Univ
Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : erudit@umontreal.ca Article Jean-Yves Goffi Laval théologique et philosophique, vol. 44, n° 3, 1988, p. 327-337. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : URI: http://id.erudit.org/iderudit/400397ar DOI: 10.7202/400397ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI http://www.erudit.org/apropos/utilisation.html Document téléchargé le 26 January 2013 11:11 « Gilbert Hottois, penseur de la technique » Laval théologique et philosophique, 44, 3 (octobre 1988) GILBERT HOTTOIS, PENSEUR DE LA TECHNIQUE Jean-Yves GOFFI « La machine n'est jamais silencieuse, écrivit Jarry. Je m'imagine parfois entendre des voix dans son bourdonnement perpétuel, dans ses grondements intermittents, dans ses grésillements d'énergie. Je suis seul ici, à la station de Terremorte. » R. ZELAZNY Les Clefs de Décembre RÉSUMÉ. — Selon G. Hottois, le tournant linguistique de la philosophie contempo- raine, dans sa version analytique comme dans sa version herméneutique, peut être interprété comme un symptôme. Un tel enfermement dans le langage est une conséquence du fait que la techno-science s'est emparée du domaine traditionnel- lement réservé à la philosophie : celui de l'être au monde par le symbole. Parce que la techno-science est opératoire, manipulatoire, qu'elle ouvre sans discrimination le champ de tous les possibles, elle est le contraire de l'approche philosophique ; aussi une attitude lucide de résistance s'impose, qui vise à préserver la possibilité d'une sensibilité éthique. N AGUÈRE, il était d'usage de déplorer que les philosophes aient investi toute leur attention dans la considération de la science théorique et de ses oeuvres, témoignages les plus éclatants des puissance de la rationalité, et n'aient accordé à la technique, parente pauvre, que la curiosité un peu condescendante que l'on doit à l'application, au geste, bref à ce qui porte seulement la marque de l'efficacité et de l'ingéniosité. Cette tactique, parfaitement illustrée chez J.M. Auzias l, sent son artifice. En fait la technique est reconnue, chez presque tous les penseurs attentifs à la modernité, comme un objet philosophique à part entière, c'est-à-dire à la fois 1. J.M. AUZIAS, La Philosophie et les techniques. Paris, P.U.F., 1971. Voir en particulier l'avant-propos. 327 JEAN-YVES GOFFI énigmatique et intelligible. Très schématiquement2, trois pistes ont été frayées. On peut s'attacher à décrire de façon quasi-phénoménologique, voire franchement phénoménologique, l'objet technique dans sa structure, sa genèse et dans ses effets. C'est ce que font G. Simondon, D. Ihde et M. Heidegger3. On peut aussi aborder, de façon anthropologique, les objets techniques dans le phénomène de la technique. C'est ce que font4 Leroi-Gourhan, J. Habermas, l'école de Francfort en général et, au fond, Marx lui-même5. On peut enfin aborder le problème en se demandant quelle est l'intention à l'œuvre derrière le phénomène technique. C'est ce que font, à des titres très divers, J. Brun, M. Heidegger II, O. Spengler, J. Ellul et H. Arendt6. Si l'on ajoute à ces voies descriptives les analyses et définitions véritablement fondatrices d'une philosophie de la technique que l'on trouve chez M. Weber et F. Von Gottl-Ottlilienfeld7, on est tenté de se demander comment une analyse originale et radicale de la technique pourrait être entreprise. Cependant, le livre de G. Hottois Le Signe et la technique* semble remplir ces deux conditions : on y trouve une intuition simple et puissante, développée de façon rigoureuse et étayée par des analyses précises9. Sans faire une synthèse — à vrai dire impossible — des trois attitudes résumées ci-dessus, et d'autres encore imaginables, G. Hottois donne de la technique une description qui va du symbolique au cosmologique et se montre soucieux de réintégrer en celle-ci10 une dimension éthique (ce qui. fait de la technique quelque chose de monstrueux c'est justement la totale indifférence de celle- ci envers un impératif éthique, quel qu'il soit et même envers toute sensibilité éthique). Comme les thèses développées dans ce livre sont dans le prolongement de celles qui 2. «Très schématiquement» veut dire qu'il ne saurait être question de confondre des analyses aussi diverses que celles qui vont être mentionnées, mais qu'il semble possible de les regrouper selon l'approche essentielle qu'elles illustrent. 3. G. SIMONDON, DU mode d'existence des objets techniques. Paris, Aubier-Montaigne, 1969. Voir surtout la première partie ; D. IHDE, Technics and Praxis. Dordrecht, D. Reidel Publishing Company, 1979; M. HEIDEGGER, L'être et le temps. Paris, Gallimard, 1972, pp. 90 à 101. 4. Dans des intentions très différentes, est-il besoin de le souligner. Mais ce qui rapproche ces analyses est qu'elles font de l'existence humaine quelque chose de construit et non de donné, et de la technique l'activité anthropogène par excellence. Les différences portent plutôt sur le point de savoir ce qui dans la technique adhère encore au donné biologique ; ce qui est, somme toute, la différence entre une méthode généalogique — descriptive — prospective et une méthode généalogique — critique prospective (entre Leroi-Gourhan et l'école de Francfort). 5. A. LEROI-GOURHAN, Évolution et Techniques. Paris, Albin-Michel [Nouvelle Édition], 1971. Le Geste et la parole, Paris, Albin-Michel. 1964; J. HABERMAS, La Technique et la science comme idéologie. Paris, Denoël, 1978. 6. J. BRUN, Les Masques du désir. Paris, Buchet-Chastel. 1981 ; M. HEIDEGGER, «La Question de la technique», Essais et conférences, Paris, Gallimard, 1973; O. SPENGLER, L'Homme et la technique. Paris, Gallimard, 1969; J. ELLUL, Le Système technicien. Paris, Calmann-Lévy, 1977; H. ARENDT, Condition de l'homme moderne. Paris, Calmann-Lévy, 1983. 7. Un article de G. RODOHL, — « La Signification des concepts de "Technique" et de "Technologie"dans la langue allemande », De la technique à la technologie, Paris, Éditions du CNRS (Cahiers S.T.S., science - technologie - société, n° 2), 1984 — donne de ces analyses un compte-rendu d'une grande clarté. 8. G. HOTTOIS, Le signe et la technique. Paris, Aubier, 1984. — Le livre est sous-titré : La Philosophie à l'épreuve de la technique. 9. Le livre comporte, pp. 205 à 219, une importante bibliographie de philosophie de la technique. 10. Ou plutôt à côté de celle-ci. 328 GILBERT HOTTOIS, PENSEUR DE LA TECHNIQUE figurent dans L'Inflation du langage dans la philosophie contemporaine n, je com- mencerai par rappeler celles-ci; puis j'indiquerai comment Le signe et la technique pousse jusqu'au bout les intuitions antérieures. Enfin j'essayerai de montrer qu'il existe au moins un point de l'analyse de G. Hottois, point central d'ailleurs, qui reste à éclaircir. G. Hottois est l'auteur d'un livre sur la philosophie du langage de Wittgenstein12 et de nombreux articles centrés autour de la philosophie du langage. De telles préoccupations l'ont conduit à s'interroger sur une attitude constante dans la philosophie contemporaine : il s'agit, en gros, de ce qu'on pourrait appeler l'enfermement dans le langage, ou bien encore le fait que l'expérience privilégiée de la philosophie contemporaine soit celle d'un redoublement du langage. Que ce soit, et là c'est flagrant, dans la philosophie analytique — celle qui loge dans un quadrilatère Wittgenstein-Ryle-Austin-Strawson —, ou bien, et là les choses sont moins évidentes mais non moins significatives, dans la philosophie continentale post-phénoménologique — celle qui loge dans un quadrilatère Merleau-Ponty — Heidegger — Gadamer — Derrida —, il semble que les philosophes aient abandonné l'ambition de parler directement de quoi que ce soit. Tout se passe comme si la philosophie était devenue une activité au second degré, d'où le terme de secondante linguistique. Une telle philosophie sera donc philosophie du langage : entendons par là qu'elle portera sur un langage déjà constitué par ailleurs (autrefois, ou bien dans les théories scientifiques, ou bien même dans l'univers exo-linguistique, lui-même devenu langage). La référence de la philosophie contemporaine sera donc le langage, et non pas le monde des choses 13. Mais dans le langage ce qui sera référence, ce ne sera pas, par exemple le système de la langue, ou la structure profonde — car la philosophie deviendrait une linguistique ; cette solution serait un positivisme déguisé : ce n'est pas le langage qui deviendra objet, mais les objets qui tendront à devenir langage. C'est donc le sens qui va être au centre de l'attention philosophique. La philosophie de la deuxième moitié du vingtième siècle est, en conséquence, essentiellement secondaire : en elle s'est rompu l'équilibre instauré par la posture théorétique classique, équilibre qui consistait à ancrer le sens sur la référence. On va donc voir proliférer les analyses inspirées par la secondante, à la faveur de cette émancipation du sens. Deux figures du déploiement de la secondante retiennent l'attention de G. Hottois14. Il y a une secondante ouverte, reconnue, avérée et somme toute consciente de son ancrage dans la tradition. Disons que l'on y retrouve encore les choses à travers les mots. C'est la secondante métalinguistique illustrée, par exemple, par B. Russell et uploads/Philosophie/ gilbert-hottois-penser-de-la-technique.pdf
Documents similaires










-
26
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Mar 04, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
- Langue French
- Taille du fichier 1.2177MB