1 QU’EST-CE QUE L’ACTE PHILOSOPHIQUE CHEZ UN MYSTIQUE ? (Un travail du recherch

1 QU’EST-CE QUE L’ACTE PHILOSOPHIQUE CHEZ UN MYSTIQUE ? (Un travail du recherche par frère Vincent Babu OFM Cap) JUIN 2003 (Une lecture critique de la philosophie de Shankaracharya1, philosophe indien du VIII e siècle) La philosophie est une discipline ambitieuse. En effet, son projet englobe tous les domaines de l’existence. Rien ne semble échapper à son pouvoir d’investigation. Mais quand on parcourt les cheminements de la philosophie au cours de l’histoire on peut simplement constater le fait qu’elle s’est tenue à distance de tout ce qui concerne la religion. Surtout après l’âge des lumières un fossé s’est creusé entre la philosophie et la religion. Cette séparation pose question car elle ne rend pas justice à la véritable nature de la philosophie elle-même qui est intéressée par tout ce qui touche l’être humain vivant. N’est-il pas important de prendre en compte la dimension religieuse si essentielle pour définir l’être-au-monde de l’homme ? Des tentatives ont bien été faites pour «comprendre la raison de la religion» en constituant la philosophie de la religion comme une véritable discipline. En occident, on peut citer Henri Duméry2 qui a cherché l’intelligibilité du phénomène religieux mais cette science n’est pas unanimement reconnue par tous. Pourquoi y a-t-il cette hostilité ? Est-ce que la philosophie et la religion sont deux phénomènes « polaires » simplement juxtaposés ? Cette manière de réduire les champs d’intervention semble très artificielle au regard de la tradition orientale. Pour cette dernière, il paraît tout à fait impossible d’établir une zone frontière entre la philosophie et la religion. En effet la plupart des 1 . La signification du mot acharya en Sanscrit est « le maître ». 2 . GREISCH.J., « La philosophie de la religion devant le fait chrétien » in INTRODUCTION A L’ETUDE DE LA THEOLOGIE, ed., Desclée , Paris, 1991, p.248. 2 philosophes orientaux accordent le primat à l’expérience transcendantale sur une recherche trop exclusivement rationnelle et développent leur réflexion en fonction de celle-ci. On sait bien que les philosophes occidentaux reconnaissent difficilement les orientaux comme de véritables philosophes car ils leur apparaissent marqués par une expérience « mystique » qui échappe trop aux lois de la logique formelle. Cette conception semble réductrice car en Orient seuls les véritables philosophes sont des mystiques. Chez eux, l’épreuve d’un lien avec l’Absolu fonde souvent leur recherche. Dans cette perspective, philosophie et religion sont indissolublement liées car elles représentent deux aspects d’une seule et même démarche vers la vérité. Les philosophes orientaux et les philosophes occidentaux ont bien une visée commune en ce qui concerne la question de la vérité mais des tendances assez divergentes semblent manifestement les séparer. En conséquence, il devient important d’affronter la question « Qu’est-ce que philosopher pour un mystique ? » Cette interrogation fondamentale entraîne toute une série de questions à prendre en compte. Pour l’essentiel on est affronté à la question relative à l’acte de philosopher. Etant reconnu le bien-fondé du lien avec l’Absolu, quel type de vérité est-elle atteinte à travers le recours à l’expérience mystique ? Comment peut-on articuler cette épreuve mystique de l’Absolu et la réflexion philosophique ? Quelle est la spécificité d’une philosophie inspirée par l’expérience mystique ? Comment projeter dans un langage ce qui semble échapper à tout discours rationnel ? Il ne s’agit pas d’abord d’apporter des réponses argumentées à toutes ces questions complexes mais légitimes. Dans le cadre de ce travail, le projet de fonder cette thèse demeure trop ambitieux. Par contre, il serait intéressant de convoquer un mystique pour voir la façon dont son expérience a déterminé sa réflexion philosophique. Shankara un philosophe indien du VIIIe siècle offre des matériaux suffisants pour un travail de lecture critique. Ainsi ce travail de philosophie relèvera plus de l’histoire de la philosophie mais cette référence à l’histoire peut nous apporter des éléments concernant notre sujet. Dans ce travail il s’agira de présenter simplement la raison d’un choix fait parmi plusieurs penseurs indiens susceptibles d’intéresser notre sujet. Il faut d'abord reconnaître l’empreinte remarquable laissée par ce mystique dans l’histoire de la philosophie indienne. Aujourd’hui encore, la religion hindoue lui garde une place considérable. Son influence s’est étendue au-delà des frontières. Ainsi sa pensée a attiré des philosophes occidentaux renommés parmi lesquels nous pouvons citer Rudolf Otto. De fait la plupart des œuvres importantes de Shankara ont été bien traduites dans la 3 langue française. Il convient ici de faire une remarque concernant notre choix. Shankara est inscrit dans le cadre d’une religion instituée reconnaissant en particulier l’autorité des textes sacrés et cela représente un élément déterminant. L’Inde a aussi connu des penseurs « incontestables » comme Bouddha refusant l’autorité des textes sacrés et dont la réflexion est bien fondée sur l’expérience mystique. Ils nous auraient ainsi fourni des matériaux d’analyse suffisants mais la prise en compte d’une tradition religieuse dans un projet de lier ensemble l’acte de philosopher et l’expérience mystique semble constituer un « défi » pour la philosophie. Par conséquent je voudrais tenter une lecture critique de l’œuvre d’un auteur soucieux de développer une réflexion au sein d’un schéma herméneutique articulant les pôles du langage, de l’expérience mystique et des textes sacrés. Première partie : Le fonctionnement de sa philosophie Il s’agira d’engager un travail de lecture critique de la pensée de Shankara. Selon une approche habituelle on présentera sa vie et son œuvre en prenant soin de situer le philosophe dans son contexte. Shankara a vécu au VIIIe siècle à une époque déterminée. Il faudra s’interroger sur le milieu dans lequel il a vécu, les influences qu’il a subies, les traditions religieuses et philosophiques dans lesquelles il s’est inscrit. Une première question à traiter est celle du statut épistémologique de sa philosophie. En d’autres termes je m’interrogerai sur la façon dont il s’exerce à la philosophie. Quelles sont ses sources d’inspiration ? Sa tradition religieuse tient manifestement une place centrale dans sa pensée mais il entretient un rapport très particulier avec les textes sacrés. Ainsi il a fait une lecture des Védas bien « réduite » aux seules Upanisads qui constituent une partie réflexive au sujet de l’être. A partir de là il a écrit beaucoup de commentaires. Il a aussi commenté d’autres textes sacrés comme la Bagavad-Gîta. Il s’inspire aussi d’autres textes comme Brahmasutra Bashya. Son choix fournit ainsi des indications précieuses au sujet de sa problématique. Celle- ci concerne la question du rapport entre la finitude et l’Absolu. Toutes ses lectures sont faites en fonction d’une seule finalité : tout est orienté vers l’union mystique avec l’Un. Il ne s’agit pas maintenant de préciser la façon dont il propose une herméneutique de l’Absolu ou de chercher la signification de cette expérience mystique qui demeure à l’horizon de tout son travail philosophique. Il faut avant tout repérer le langage métaphysique qu’il utilise pour développer sa réflexion. Quels sont les concepts 4 fondamentaux à partir desquels il élabore un système connu sous le nom d’Advaita ou « non-dualiste » ? En conséquence, j’essaierai de définir le statut épistémologique de sa philosophie en recourant à la distinction devenue classique entre la philosophie de la religion et la philosophie religieuse. La philosophie de la religion cherche avant tout « la raison de la religion ». Dans cet exercice, il s’agit toujours de garder une distance suffisante par rapport aux phénomènes religieux pour en acquérir une certaine intelligibilité. Cette exigence d’extériorité permet à la raison d’y voir clair dans sa recherche de signification de l’expérience vers laquelle oriente effectivement la religion. Ce philosophe peut bien être inscrit dans une tradition particulière mais cette nécessaire distance lui donne la capacité d’envisager l’ensemble des religions pour découvrir une dimension profonde de l’être de l’homme en lien avec l’Absolu. La philosophie religieuse, quant à elle, adhère à une foi particulière et utilise les ressources de l’intelligence pour en expliciter le contenu. Son seul souci est d’élaborer un langage théorique pour donner consistance au rapport entre l’homme et Dieu proposé par sa religion. Dans cet exercice, la raison philosophique peut encourir le risque d’être maintenue dans les limites d’une seule religion. Dans la perspective de cette classification il « suffira » d’examiner l’œuvre de Shankara à travers cette grille de lecture occidentale. Deuxième partie : L’expérience mystique et le travail d’intelligence Il s’agit maintenant d’aborder une question centrale pour notre projet d’intelligibilité de la pensée de Shankara. En d’autres termes notre tâche consistera à repérer la façon dont il articule mystique et philosophie. Nous essaierons de mettre les deux termes en rapport dialectique pour voir la façon dont il élabore un langage relatif à son expérience. Nous prendrons comme point de départ l’expérience mystique qui constitue le « cœur » de son système de pensée. Nous ferons une approche phénoménologique et lirons ainsi l’expérience d’union mystique au moyen d’une grille proposée par des auteurs ayant autorité en la matière. Nous pensons à celle de Louis Gardet utilisée dans son ouvrage sur la mystique (collection que sais-je ?) et à celle du dictionnaire de spiritualité (article mystique). Quelque soit le choix effectué, des éléments permanents de l’expérience uploads/Philosophie/ th-se-de-fr-babou-l-x27-acte-de-philosopher-pour-un-mystiquepar-fr-vincent-babu-ofmcap.pdf

  • 31
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager