1 Théorie de la traduction littéraire (textes) Préambule « Vers 1970, la théori

1 Théorie de la traduction littéraire (textes) Préambule « Vers 1970, la théorie littéraire battait son plein et elle exerçait un immense attrait sur les jeunes gens de ma génération. Sous diverses appellations – « nouvelle critique », « poétique », « structuralisme », « sémiologie », « narratologie » –, elle brillait de tous ses feux. Quiconque a vécu ces années féériques ne peut s’en souvenir qu’avec nostalgie. Un courant puissant nous emportait tous. En ce temps-là, l’image de l’étude littéraire, soutenue par la théorie, était séduisante, persuasive, triomphante. Ce n’est plus exactement le cas. La théorie s’est institutionnalisée, elle s’est transformée en méthode, elle est devenue une petite technique pédagogique souvent aussi desséchante que l’explication de texte à laquelle elle s’en prenait alors avec verve. La stagnation semble inscrite dans le dessein scolaire de toute théorie. L’histoire littéraire, jeune discipline ambitieuse et attrayante à la fin du XIXe siècle, avait connu la même évolution triste, et la nouvelle critique n’y a pas échappé. Après la frénésie des années soixante et soixante-dix, pendant lesquelles les études littéraires françaises ont rattrapé et même dépassé les autres sur le chemin du formalisme et de la textualité, les recherches théoriques n’ont pas connu de développement majeur en France. Faut-il incriminer le monopole de l’histoire littéraire sur les études françaises, que la nouvelle critique n’aurait pas réussi à ébranler en profondeur, mais n’aurait fait que masquer provisoirement ? L’explication – c’est celle de Gérard Genette – paraît courte, car la nouvelle critique, même si elle n’a pas fait tomber les murs de la vieille Sorbonne, s’est solidement implantée dans l’Éducation nationale, notamment dans l’enseignement secondaire. C’est même probablement cela qui l’a rendue rigide. Il est impossible aujourd’hui de réussir un concours sans maîtriser les distinguos subtils et le parler de la narratologie. Un candidat qui ne saurait pas dire si le bout de texte qu’il a sous les yeux est « homo- » ou « hétérodiégétique », « singulatif » ou « itératif », à « focalisation interne » ou « externe », ne sera pas reçu, comme jadis il fallait reconnaître une anacoluthe d’une hypallage, et savoir la date de naissance de Montesquieu. (…) »1 1 COMPAGNON, Antoine : Le démon de la théorie. Littérature et sens commun, Paris, Seuil, 1998, repris dans la collection Points Essais, n°454, pp.9-10 2 Théorie de la traduction littéraire (textes) « La traduction littéraire fait cas de problèmes qui dépassent de loin les problèmes théoriques de la traduction. Nous ne nions pas l’existence des problèmes théoriques de la traduction, mais nous considérons que les problèmes pratiques ne sont pas non plus des moindres. En effet, dès qu’on évoque les problèmes théoriques de la traduction, on s’installe dans le domaine controversé de la pratique (…) »2 « Les praticiens ne sont pas rares qui réagissent avec humeur au seul énoncé du terme de traductologie : « Mais la traduction n’est pas une science ! » protestent-ils, « c’est un artisanat ! » (disent les traducteurs de textes spécialisés) ou bien « c’est un art ! » (affirment les traducteurs littéraires). Il est très facile de dissiper ce malentendu. Personne ne prétend que la traduction soit une science. Quant à la traductologie, il s’agit simplement du terme générique désignant l’ensemble des travaux de recherche qui prennent pour point de départ ou qui ont pour finalité les phénomènes « activité traduisante et traduction » […], autrement dit : on appelle traductologie l’étude scientifique de la traduction en tant que processus et en tant que produit. »3 2 DASUKI DANBABA, Ibrahim : Les problèmes pratiques de la traduction littéraire : le cas de la traduction en français de Magana Jari Ce, in : Synergies, 2011, n°4, p.93 3 REISS, Katharina : Problématiques de la traduction (traduit par Catherine A. Bocquet), Paris, Economica/Anthropos, Bibliothèque de traductologie, 2009, p.1 3 Théorie de la traduction littéraire (textes) « N’y a-t-il pas plus d’une manière d’extérioriser ses propres pensées et d’interpréter celles des autres ? N’y a-t-il pas une pluralité de philosophies ? Toute philosophie est un éclairage particulier sur un objet unique et complexe. Il faut se réjouir que les études traductologiques aient depuis bientôt un demi- siècle pris un virage qui va dans le sens de la multiplication des conceptions théoriques. Jusque-là, on avait tendance à évaluer les traductions à partir de leur seule composante linguistique et, le plus souvent, de manière normative. On a même essayé, bien naïvement, au XVIIe siècle en particulier, de codifier la traduction en édictant des « règles » sur la manière de traduire. Comme si cela avait un sens ! »4 Définition de la théorie selon Georges Mounin : « (…) rassemblement dans une construction organique systématique de tout ce que l’on sait – ou que l’on croit savoir – à un moment donné sur un sujet donné, construction destinée à décrire de manière ordonnée, à classer et à expliquer un ensemble de faits connus. »5 4 DELISLE Jean : Les théories de la traduction : une complexité à apprivoiser, in Pour dissiper le flou. Réflexion plurielle, publié sous la direction de Gina Abou Fadel et Henri Awaiss, Beyrouth, 2005, École de Traducteurs et d’Interprètes de Beyrouth, collection Sources-Cibles, p.69 5 https://www.academia.edu/5981786/Utilit%C3%A9_de_la_th%C3%A9orie_en_enseignement_de_la_traduction, p.106 (page consultée le 21 janvier 2016) 4 Théorie de la traduction littéraire (textes) « En dehors de ces auteurs qui précisent le point de départ et l’intention de leur œuvre, il y en a d’autres qui approfondissent la relation existante ou désirée entre théorie et pratique, ce qui révèle parfois des opinions contraires. Hönig (1997 : 7) trouve que la traductologie doit s’orienter de nouveau vers la pratique, tandis que Toury (1995 : 2) signale que l’orientation absolue vers l’applicabilité a freiné l’élaboration de théories et causé un manque de recherche descriptive en traductologie (Translation Studies). Reiß et Vermeer (1984 : vii-viii) déclarent leur intention de créer un lien avec la pratique, mais de dissiper en même temps un malentendu : la théorie ne peut être réduite à son service à la pratique. La théorie a un objet propre et une finalité propre, ce qu’ils illustrent par un exemple emprunté à l’astronomie : personne ne demande pourquoi on étudie la naissance du système solaire ? [sic] Pourquoi n’en va-t-il pas de même avec la théorie de la traduction ? La réponse doit être cherchée en partie du côté de la théorie et en partie du côté de la pratique. L’étude scientifique de la traduction est, en effet, une discipline de date assez récente. Le théologien, philosophe et pédagogue allemand, Schleiermacher, exigeait en 1814 une science de la traduction comme discipline autonome. Le développement de cette discipline ne commença toutefois qu’en 1945 […]. Il faut ajouter que, pendant les premières décennies de son développement, la traductologie ne se manifeste que comme un secteur d’autres disciplines scientifiques, surtout de la linguistique. Ce statut a pour conséquence un manque de méthode scientifique propre et adaptée. Cela explique que beaucoup de linguistes reprochent à la traductologie son caractère anecdotique et subjectif, ne menant pas à des généralisations. Mais par ailleurs certains traductologues […] reconnaissent que la théorie de la traduction n’a pas encore atteint le niveau d’une science. D’autre part le besoin permanent de la traductologie de justifier sa raison d’être par la pratique est également dû à l’attitude des traducteurs. Beaucoup de traducteurs sont – à moins qu’ils n’aient fait des études de philologie – formés en dehors du contexte académique et se profilent face aux philologues précisément par leur orientation pratique. Pour combler l’abîme entre théorie et pratique, une formation universitaire des traducteurs est indispensable, car […] 5 Théorie de la traduction littéraire (textes) l’enseignement de la traduction à l’université exige des méthodes scientifiques. »6 « L’enseignement est sans doute l’un des terrains d’expérience les plus fertiles pour celui qui se donne pour objectif de réfléchir sur la pratique de la traduction. Mise à l’épreuve de la réaction des étudiants, la conceptualisation se développe et mûrit. Initier l’apprenti traducteur aux rudiments de la traduction, puis le tenir par la main pour lui faire découvrir stratégies et procédés de traduction et le laisser enfin naviguer seul, à pleines voiles, dans des textes issus de différents domaines de la connaissance avant de l’amener à élaborer sa pensée traductologique propre, suppose, de la part de l’enseignant une méditation profonde et un auto-questionnement sur sa façon de faire. L’enseignement m’a aidée à construire une réflexion traductologique, non pas fondée sur une spéculation purement abstraite mais largement inspirée du vécu quotidien au contact des étudiants. »7 6 VAN VAERENBERGH, Léona : Linguistique et théorie(s) de la traduction : réflexions scientifiques au profit du traducteur, in : PEETERS Jan (ed.) : La traduction. De la théorie à la pratique et retour, Presses universitaires de Rennes, 2005, pp.19-20 7 ABOU FADEL, Gina : De l’expérience pratique à la réflexion théorique : un cheminement des plus sûrs, in : PEETERS Jan (ed.) : La traduction. De la théorie à la pratique et retour, Presses universitaires de Rennes, 2005, p.91 6 Théorie de la uploads/Philosophie/ theorie-de-la-traduction-litteraire-marcipont 1 .pdf

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