PRéSENTATION Miguel Abensour et Géraldine Muhlmann Editions Kimé | Tumultes 200
PRéSENTATION Miguel Abensour et Géraldine Muhlmann Editions Kimé | Tumultes 2001/2-2002-1 - n° 17-18 pages I IV ISSN 1243-549X Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Saint-Etienne - - 161.3.244.177 - 28/02/2014 12h15. © Editions Kimé TUMULTES, numéro 17-18, 2002 Présentation Il est des moments dans la vie d’une revue où l’explicitation — le passage de l’implicite à l’explicite — s’impose. Peut-être est-ce aux exigences apparues dans ces moments singuliers que le présent numéro tente de répondre. En effet nous sommes plusieurs ici à avoir noué des liens plus ou moins étroits à la Théorie Critique, à la première théorie critique, celle qui est associée à la prestigieuse revue Zeitschrift für Sozialforschung (Revue pour la recherche en sciences sociales, 1932-1941). Notre examen portera donc sur ce qu’on est convenu d’appeler l’Ecole de Francfort, celle qui fut fondée au début des années 1930, par M. Horkheimer, F. Pollock, T. W. Adorno, H. Marcuse avec comme membres plus ou moins proches du cercle initial, W. Benjamin, S. Kracauer, F. Neumann, O. Kirchheimer, F. Borkenau, G. Anders etc... Le lecteur le constatera, à aucun moment l’œuvre de J. Habermas n’est prise en compte. Nulle hostilité de notre part à l’égard de l’auteur de La Théorie de l’agir communicationnel, mais des questions et des hypothèses. Ou plutôt l’essai d’un contre-mouvement par rapport à la doctrine du jour. Il semblerait que chez la plupart des interprètes ou des critiques, il y ait une irrésistible tendance à lire les auteurs qui les intéressent à travers « les lunettes » de J. Habermas, comme si ce dernier était devenu un point de référence ou un passage obligé. A l’inverse, nous proposons une expérimentation qui consiste à lire la première théorie critique à l’écart du « massif » Habermas et en se débarrassant de l’idéologie du progrès qui conduit inévitablement à considérer que ce qui est venu avant, en premier, est désormais dépassé. Nous faisons le pari que la Théorie Critique, dans sa constellation première, a encore bien des choses à nous apprendre. Paradoxalement n’est-ce pas J. Habermas lui-même qui nous incite à procéder de la sorte ? N’a-t-il pas dans Le discours philosophique de la Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Saint-Etienne - - 161.3.244.177 - 28/02/2014 12h15. © Editions Kimé II Présentation modernité instauré une coupure épistémologique rigide à l’intérieur de la théorie critique ou à ses marges ? N’a-t-il pas dessiné avec La Dialectique de la raison (1944-1947) une ligne de partage des eaux, sur le modèle, erreur en deçà, vérité au-delà ? A suivre les analyses de J. Habermas dans le chapitre : « La complicité entre le mythe et la raison », Horkheimer et Adorno se seraient rendus coupables d’une rupture avec la théorie marxienne de la société, en se tournant vers les écrivains noirs de la bourgeoisie, le marquis de Sade et Nietzsche. Posant ainsi une complicité secrète entre le mythe et la raison, ils auraient inauguré une critique des Lumières qui, selon eux, aurait permis aux hommes une domination de la nature externe au prix d’une répression de leur nature interne. La raison ainsi réduite à l’horizon téléologique d’une domination de la nature et des pulsions, régresserait à l’état de raison instrumentale « asservie à une conservation de soi déchaînée ». Cette réduction de la raison au pouvoir entraînerait un nivellement inacceptable de l’image de la modernité, une sous-estimation de la teneur rationnelle de la modernité culturelle. Pour avoir pratiqué une forme radicale de critique, Horkheimer et Adorno se seraient livrés « à un scepticisme effréné vis-à-vis de la raison, au lieu d’examiner des raisons qui permettent de douter de ce scepticisme. » Ils seraient « restés insensibles aux traces et aux formes existantes d’une rationalité communicationnelle. » 1 Comment peut-on parler d’une telle forme de rationalité quand il s’agit des années 1940 ? D’autre part, J. Habermas n’est-il pas resté étrangement sourd à la proposition essentielle de l’ouvrage qui désigne très précisément le berceau ou le moteur de la dialectique de la raison, c’est-à- dire l’intrication funeste entre la libération de la peur et la recherche aussitôt de la souveraineté ? Et suffit-il, pour apprécier les motifs des auteurs, d’invoquer pudiquement « les années les plus obscures de la Seconde Guerre mondiale » et de les interpréter comme l’histoire figée en nature ? L’excès de la théorie critique, si excès il y a, doit se lire sur le fond d’une catastrophe sans précédent, au cours de laquelle la raison instrumentale fut mobilisée au service de l’extermination du peuple juif et de tous ceux qui portaient le 1. J. Habermas, Le discours philosophique de la modernité, Gallimard, 1988, p.155. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Saint-Etienne - - 161.3.244.177 - 28/02/2014 12h15. © Editions Kimé Présentation III visage de l’altérité. Ajoutons que penser la catastrophe n’implique pas nécessairement de se laisser glisser sur la pente du catastrophisme. Quoi qu’il en soit, le texte de J. Habermas met délibérément ses lecteurs face à l’alternative suivante, quant à l’interprétation de la modernité. Soit la modernité est pensée comme une figure de la raison dont les défaillances proviendraient seulement de son inachèvement — la modernité : un projet inachevé. Soit la modernité est conçue comme une dialectique de l’émancipation, c’est-à-dire comme une époque sous l’emprise d’un mouvement paradoxal par lequel l’émancipation moderne a pu et peut encore se renverser en son contraire, à savoir en barbarie. A l’évidence, il apparaît que choisir de retraverser la première théorie critique, sans considérer avec condescendance qu’elle serait dépassée, revient à choisir l’hypothèse de la dialectique de l’émancipation. Peut-être le temps est-il venu, à notre corps défendant, de ne plus se laisser bercer par les pensées plutôt lénifiantes du processus de la civilisation, pour de nouveau interroger, non sans inquiétude ni vertige, l’hypothèse de la dialectique de la civilisation ? Il ne s’agit pas pour autant de s’installer au grand Hôtel de l’Abîme, mais seulement d’apprendre à pratiquer la non- résignation. Une des figures et non des moindres de la non- résignation est le refus de laisser s’enfermer les disciplines sur elles-mêmes, en les confrontant à leur extériorité. L’Ecole de Francfort entre philosophie et sociologie : cet « entre-deux » où se déploie la théorie critique n’est ni le signe d’une indécision ou d’un compromis, ni la marque de l’interdisciplinarité, mais l’ouverture d’un espace de tension destiné à rester tel, inventif et créatif car, à travers tensions et différences, il permet l’instauration continuée et diversifiée d’un lien. Ecoutons les dernières propositions d’Adorno dans Résignation : « Celui qui pense n’est jamais en rage dans la critique. La pensée a sublimé la rage. Comme celui qui pense ne doit pas se l’infliger, il ne veut pas non plus l’infliger aux autres. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Saint-Etienne - - 161.3.244.177 - 28/02/2014 12h15. © Editions Kimé IV Présentation Le bonheur qui point dans l’œil du penseur est le bonheur de l’humanité. La tendance universelle à la répression va contre la pensée en tant que telle. La pensée est bonheur, même encore là où elle détermine le malheur : en l’exprimant. C’est ainsi seulement que le bonheur pénètre jusque dans le malheur universel. Celui qui ne se laisse pas prendre ce bonheur, celui-là ne s’est pas abandonné à la résignation. » Que soient remerciés ici les traductrices, Antonia Birnbaum, Sonia Dayan-Herzbrun, Nicole Gabriel, Géraldine Muhlmann, les traducteurs Olivier Bertrand, Michel Métayer ainsi que Annie Dequeker et Jeannine Lesage pour leur précieuse collaboration. Miguel Abensour, Géraldine Muhlmann Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Saint-Etienne - - 161.3.244.177 - 28/02/2014 12h15. © Editions Kimé AVANT-PROPOS Olivier Bertrand Editions Kimé | Tumultes 2001/2-2002-1 - n° 17-18 pages 7 10 ISSN 1243-549X Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Saint-Etienne - - 161.3.244.177 - 28/02/2014 12h15. © Editions Kimé TUMULTES, numéro 17-18, 2002 Avant-propos Olivier Bertrand E.H.E.S.S. Herbert Marcuse, né en 1898 à Berlin, se joint à l’Institut de Recherches sociales (Institut für Sozialforschung) de Francfort en 1933, soit l’année suivant la présentation, sous la direction de Heidegger, de sa thèse d’habilitation sur L’ontologie de Hegel et la théorie de l’historicité1. Malgré une forte influence de ce dernier à l’origine, il fait siennes très rapidement les thèses centrales de l’Institut et en forme pendant les années 30, avec Horkheimer et Adorno, le noyau dur, avant de s’en détacher progressivement à partir du début des années 40. Some Social Implications of Modern Technology est un texte d’exil, écrit en 1941 aux Etats-Unis, dans lequel on retrouve les deux visées complémentaires de la pensée de Marcuse, à savoir, premièrement, dévoiler la domination, dans le fascisme bien sûr, mais également dans les sociétés libérales où elle se manifeste d’une façon moins brutale mais peut-être plus étendue et plus sournoise, et deuxièmement, mettre à jour les possibilités d’émancipation bloquées et occultées par la domination. 1. Herbert Marcuse, L’ontologie de Hegel et la théorie de l’historicité, Paris, Gallimard, 1972. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Saint-Etienne - - 161.3.244.177 - 28/02/2014 12h15. © Editions Kimé Avant-propos 8 En un premier temps, Marcuse analyse uploads/Philosophie/ tumultes-n17-18-lecole-de-francfort-la-theorie-critique-entre-philosophie-et-sociologie-02-2001-01-2002.pdf
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- Publié le Mai 21, 2021
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