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Tous droits réservés © Société de philosophie du Québec, 1989 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 4 juin 2019 02:05 Philosophiques Un conseil de Freud aux philosophes Gérard Vachon Volume 16, numéro 1, printemps 1989 URI : https://id.erudit.org/iderudit/027063ar DOI : https://doi.org/10.7202/027063ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Société de philosophie du Québec ISSN 0316-2923 (imprimé) 1492-1391 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Vachon, G. (1989). Un conseil de Freud aux philosophes. Philosophiques, 16, (1), 3–42. https://doi.org/10.7202/027063ar Résumé de l'article Dans son article de 1913, «L’intérêt de la psychanalyse», Freud déclarait que la philosophie pouvait profiter des lumières de la psychanalyse parce que celle-ci peut dévoiler la motivation subjective et individuelle de doctrines philosophiques prétendument issues d’un travail logique et impartial, et ainsi désigner à la critique les points faibles du système d’un philosophe. Mon texte présente quelques exemples de l’utilisation de la psychanalyse pour identifier l’impact de l’inconscient sur la pensée de certains philosophes tels que Parménide, Berkeley, Kant, Sartre. À la lumière de ces exemples, j’examine brièvement quelques questions à propos du conseil de Freud : Est-il praticable ? Quand peut-on l’appliquer ? Comment en rendre l’application moralement acceptable ? Selon quels critères juger de la valeur de vérité d’interprétations psychanalytiques de ce genre ? Quels sont les bénéfices, et en valent-ils la peine ? PHILOSOPHIQUES, Vol. XVI3 Numéro I5 Printemps 1989 ARTICLES UN CONSEIL DE FREUD AUX PHILOSOPHES par Gérard Vachon RÉSUMÉ. Dans son article de 1913, «L'intérêt de la psychanalyse», Freud déclarait que la philosophie pouvait profiter des lumières de la psychanalyse parce que celle-ci peut dévoiler la motivation subjective et individuelle de doctrines philosophiques prétendument issues dun travail logique et impartial, et ainsi désigner à la critique les points faibles du système d'un philosophe. Mon texte présente quelques exemples de l'utilisation de la psychanalyse pour idencifier l'impact de l'inconscient sur la pensée de certains philosophes tels que Parménide, Berkeley, Kant, Sartre. À la lumière de ces exemples, j'examine brièvement quelques questions à propos du conseil de Freud : Est-il praticable ? Quand peut-on l'appliquer ? Comment en rendre l'application moralement acceptable ? Selon quels critères juger de la valeur de vérité d'interprétations psychanalytiques de ce genre ? Quels sont les bénéfices, et en valent-ils la peine ? ABSTRACT. In his article of 1913, « The Claims of Psycho-Analysis to Scientific Interest», Freud stated that philosophy could profit from psychoanalysis because it can indicate the subjective and individual motives of philosophical theories which are ostensibly based on impartial logical work, and in this way it can draw critical attention to the weak spots in a philosopher's system. This paper presents a few examples of the use of psychoanalysis to identify the impact of the unconscious on the theories of certain philosophers, e.g., Parmenides, Berkeley, Kant, Sartre. In the light of these examples, I examine briefly a number of questions concerning Freud's recommendation : Can it be put into practice ? In what circumstances ? How can it be applied in a way that is morally defensible ? By what criteria can one evaluate the truth value of such psychoanalytic interpretations ? What are the advantages, and are they worth the effort required ? 4 PHILOSOPHIQUES INTRODUCTION En 1913, Freud publiait dans la prestigieuse revue Scientia un article intitulé « L'intérêt de la psychanalyse ». Pendant longtemps, ce texte était difficile d'accès en traduction française ; nous devons à Paul-Laurent Assoun d'en avoir fourni, en 1980, non seulement une nouvelle traduction, mais aussi une préface et un commentaire qui font ressortir l'importance de cet article.l Depuis, en 1984, la traduction du professeur Assoun est également parue dans la collection «Bibliothèque de psychanalyse», dirigée par Jean Laplanche.2 La revue Scientia offrait à Freud une excellente occasion de présenter la psychanalyse « à un cercle de savants qui s'intéressent à la synthèse des sciences».3 Cette «jeune science» pouvait légitimement revendiquer l'intérêt d'autres sciences, y compris la philosophie, à laquelle Freud consacrait un court exposé intitulé « L'intérêt philosophique », dans lequel il offrait deux conseils aux philosophes. En premier lieu, la philosophie doit tenir compte des contri- butions de la psychanalyse à la psychologie, comme elle le fait pour tous les progrès les plus importants des sciences spécialisées. En particulier, les philosophes doivent prendre connaissance des phénomènes de l'activité psychique inconsciente et éviter deux erreurs qu'ils ont — sauf quelques exceptions — entretenues : celle de faire de l'inconscient quelque chose de mystique, insaisissable et intangible dont la relation au psychique était dans l'obscurité, ou bien l'erreur d'identifier le psychique avec le conscient et de conclure que l'inconscient ne pouvait être l'objet de la psychologie. Le deuxième conseil, celui que nous voulons étudier ici, était formulé ainsi : La philosophie peut encore obtenir une stimulation de la psychanalyse d'une autre manière, c'est-à-dire dans la mesure où elle devient elle- même l'objet de celle-là même. Les doctrines et systèmes philosophiques sont l'œuvre d'un nombre réduit de personnes d'une frappe individuelle éminente ; dans aucune autre science, la personnalité du travailleur 1. Sigmund FREUD, L'intérêt de la psychanalyse, Paris, RETZ — C.E.P.L., 1980 2. Sigmund FREUD, Résultats, idées, problèmes, I, 2890-1920, Paris, Presses Universitaires de France, 1984, pp. 187-213. 3. Ibid., p. 188. UN CONSEIL DE FREUD 5 scientifique ne joue approximativement un si grand rôle, plus que précisément dans la philosophie. Or, ce n'est que la psychanalyse qui nous met en état de donner une psychographie de la personnalité... Ainsi, la psychanalyse peut dévoiler la motivation subjective et individuelle de doctrines philosophiques qui sont prétendument issues d'un travail logique impartial et désigner à la critique les points faibles du système. S'occuper de cette critique même n'est pas l'affaire de la psychanalyse, car, ainsi qu'on peut le concevoir, la détermination psychologique d'une doctrine ne concerne aucunement sa justesse scientifique.4 L'inconscient peut être un des facteurs déterminants de la pensée de tout homme, et donc le conseil de Freud pourrait s'appliquer à tous. Cependant, le rôle de l'individu étant encore plus important, en philosophie, que dans d'autres sciences, l'impact de l'inconscient sur la pensée du philosophe méritait, aux yeux de Freud, une attention particulière. Dans ce qui suit, nous allons : (1) signaler des difficultés que présentent l'application du conseil de Freud ; (2) étudier quelques cas où l'on a tenté d'identifier l'influence de l'inconscient sur la pensée de certains philosophes ; et (3) tirer quelques conclusions qui se dégageront de notre enquête. LES DIFFICULTÉS D'APPLICATION DU CONSEIL DE FREUD On trouve assez peu d'exemples de tentatives d'identifier l'effet de l'activité psychique inconsciente sur le travail des philo- sophes. Une première raison qui vient à l'esprit serait que, d'un côté comme de l'autre, les relations entre Freud et les philosophes ont, la plupart du temps, pris le caractère de la confrontation plutôt que celui de la collaboration.5 Le texte que nous venons de voir est relativement affable envers les philosophes. Freud leur adresse bien quelques reproches, mais les invite poliment à corriger leurs erreurs. Il reconnaît à la philosophie le titre de science, tout comme à la psychanalyse, et il parle en termes élogieux des qualités des philosophes. Finalement, il invite les philosophes à profiter des lumières de la psychanalyse, 4. Ibtd., pp. 201-202. 5. Pour une étude très éclairante des relations de Freud avec les philosophes et la philosophie, voir Paul-Laurent ASSOUN, Freud, la philosophie et les philosophes, Paris, P.U.F., 1976. 6 PHILOSOPHIQUES mais souligne que c'est à la philosophie de faire ce travail et de juger elle-même de la justesse scientifique de ses doctrines. Habituellement, Freud était loin d'être aussi courtois envers les philosophes. Par exemple, quelques années plus tôt, en 1909, il les combinait avec les psychologues pour leur assener le reproche suivant : 1 1 serait très désirable que les philosophes et les psychologues, qui élaborent par ouï-dire, ou à l'aide de définitions conventionnelles, d'ingénieuses doctrines sur l'inconscient, fissent d'abord des observations concluantes en étudiant les phénomènes de la pensée obsessionnelle ; on pourrait presque l'exiger, si cette tâche n'était de beaucoup plus pénible que leurs méthodes habituelles de travail.6 Ou encore, beaucoup plus tard, en 1932, dans les Nouvelles conférences, il déclarait : La philosophie ne s'oppose pas à la science ; se comportant elle-même comme une science, elle en emprunte aussi parfois les méthodes, mais s'en éloigne en se cramponnant à des chimères, en prétendant offrir un tableau cohérent et sans lacunes de l'univers, prétention dont tout nouveau progrès de la connaissance nous permet de constater l'inanité. Au point de vue de la méthode, la philosophie s'égare en surestimant la valeur cognitive de nos opérations logiques et en admettant la réalité d'autres sources de la uploads/Philosophie/ un-conseil-de-freud-aux-philosophes.pdf
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- Publié le Jan 03, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
- Langue French
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