Jean MOTTE dit FALISSE Dr en criminologie Psychologue clinicien Maître de confé

Jean MOTTE dit FALISSE Dr en criminologie Psychologue clinicien Maître de conférences Co-directeur de l’Ecole de criminologie critique européenne – ECCE. Responsable du D.U. de criminologie culturelle. Faculté de Droit Université Catholique de Lille. Vers une criminologie inter-culturelle ? Article paru dans les Annales de Droit de Louvain, 2018/ n°1, vol. 78. Editions LARCIER et UCL. La criminologie est en soi une science trop vaste, complexe et problématique pour en donner une définition définitive et exhaustive. Au vu de quoi la première tentation serait de ne rien en dire, ou de faire comme si tout le monde en avait la même connaissance et opinion. La tentation suivante serait de prétendre tout en dire d’un seul tenant, par prétention encyclopédique. La troisième tentation serait enfin, pour céder à la mode audiovisuelle des films et séries, de centrer nos dires sur des notions de sang et de cadavres, de tueurs en série et de profiling, d’empreintes ADN et de police scientifique. Ce qui équivaut à confondre la criminologie et la criminalistique qui en est une de ses diverses branches. Le mieux est dès lors de s’en reporter à une définition simple, ayant le mérite de la clarté et compréhensible par tous. Ainsi, Durkheim (1) nous enseigne-t-il que la criminologie est cette science spéciale dont l’objet est tout acte puni. Jean-Marie Renouard (2), dans la même veine, la définit comme la science du crime et des réponses à lui apporter pour le prévenir, le réduire ou s’en protéger. Voici donc qui laisse entendre que, comme toute science, la criminologie possède un objet propre : le crime. Mais nous voyons à l’évidence qu’il s’agit d’une science pluridisciplinaire, rencontrant à leurs croisées et se constituant des données du droit, de la médecine, de la psychologie, de la sociologie, de l’Histoire et des sciences politiques, de l’économie, de la philosophie… Elle est donc sensée partager les objets respectifs de chacune de ces disciplines et savoirs. C’est déjà là une difficulté notable. Mais la difficulté s’accroit plus encore lorsqu’on observe que certaines de ces disciplines, telles que le droit ou la philosophie, ne peuvent être considérées comme des sciences à titre expérimental, partageant avec les autres un principe épistémologique de critère quantitatif. La criminologie peut-elle alors affirmer la cohérence d’un seul et même objet d’étude ? Peut- elle prétendre à une cohérence objective et naturelle de son discours ? Et si nous voulons, pour répondre à cette double question, en asseoir le socle épistémologique sur la notion d’inter-culturalité, il nous faut au préalable nous poser la question des liens de sens entre science et culture. Dans un deuxième temps, nous chercherons à éclairer ces mêmes liens entre chacune des principales disciplines contribuant à un savoir criminologique et ce concept de culture. Enfin, nous nous efforcerons de montrer l’intérêt et la spécificité d’une criminologie inter-culturelle dans le champ de la recherche et de l’enseignement universitaire. 1. Science et culture : un sens naturel ? Le Petit Robert (3) nous dit que la science est une connaissance exacte et approfondie, ou un ensemble de connaissances. En évitant pour l’heure un débat philosophique, il apparaît évident que toute activité de connaissance suppose le fonctionnement cérébral, soit la participation nécessaire de cet organe naturel en nous qu’est le cerveau. Et les recherches en médecine et en psychologie évolutionniste ont montré que les modules spécialisés qui le composent ont chacun en propre une fonction holistique. A propos de la culture, le même dictionnaire évoque successivement le développement de facultés de l’esprit ; un ensemble de connaissances acquises permettant de développer le sens critique ; l’ensemble des aspects intellectuels d’une civilisation. De telle sorte que le concept de connaissance apparaît central et commun aux notions de culture et de science. A ce stade de la réflexion, rien ne dit cependant que la culture soit partie prenante de la nature. Nous serions au contraire tentés de supporter les théories les opposant l’une à l’autre. C’est en reprenant ici la définition de l’art, forme de manifestation culturelle, que donnait Maldiney (4) en tant « qu’il nous donne la vérité du sentir », pour l’appliquer à la culture toute entière qu’il devient évident que cette dernière suppose l’implication essentielle des perceptions sensorielles et des fonctions motrices, ainsi que des organes qui les supportent. On peut donc parler d’une nature sensori-motrice de la culture. La théorie szondienne des pulsions (5), fondée par une hypothèse génétique et ouvrant à une compréhension d’un inconscient individuel autant que collectif, définit le vecteur de contact en fonction de cette même dimension sensori-motrice. Et Jacques Schotte (6) situe ce vecteur contactuel en première place dans la chronologie d’un développement du système pulsionnel décrit par Szondi. De telle sorte que toute forme de conscience ferait suite à l’émergence d’une forme primitive de connaissance partagée dans l’implicite d’un Inconscient collectif et dans le mouvement synchrone de la vie relationnelle et sociale. Au vu de ces constats, il est possible de dire que la culture et le savoir sont parties intégrantes de la nature humaine. Soit à dire que tous deux sont en confusion naturelle dans la mesure d’une impossible différenciation radicale entre le sujet examinateur et l’objet examiné. Cette hypothèse correspond d’ailleurs au postulat de base de la phénoménologie. Examinons dès lors en quoi elle s’applique aux diverses disciplines constitutives de la criminologie. 2. Les disciplines de la criminologie et leur dimension culturelle. A. Le droit. Le droit participe aux sciences criminologiques, depuis leurs origines, par le fait de ses liens avec le droit pénal et les sciences criminologiques. Qu’il soit question de la rationalité pénale de Cesare Beccaria (7) ou des apports de la pensée positiviste d’Enrico Ferri (8), il est évident que toute compréhension de la criminologie renvoie à celle du droit et de son objet central, le fait infractionnel. Notons qu’il est alors possible de parler à son sujet d’une culture du droit, soit d’un ensemble de connaissances, aussi bien de principes que d’us et de pratiques. Cette culture du droit recouvre d’ailleurs tous les implicites de son domaine de savoirs : un vocabulaire et un mode de langage qui impliquent une coutume ou une tradition. Mais on peut aussi parler d’un droit de la culture, à savoir un droit qui prend la défense de coutumes et pratiques autant que de traditions et convictions. C’est le cas du droit des minorités ethniques, des langues régionales, des pratiques cultuelles… B. La médecine. C’est avant tout par le biais de la médecine légale et de la biologie criminelle que la criminologie se trouve enrichie des apports de la science médicale. On en trouve les prolongements actuels dans l’expertise médico-légale tout comme au travers de diverses notions propres à la criminalistique : l’anthropométrie, les empreintes digitales ou génétiques, la toxicologie, l’autopsie cadavérique… A l’identique de ce qu’il en était pour le droit, on peut comprendre le sens d’une culture médicale comme le fait d’un ensemble de connaissances pratiques et de principes. Par contre, le concept de médecine culturelle correspond plus exactement à la compréhension de l’anthropologie en tant qu’étude de la structure et de l’histoire physique de l’espèce humaine. L’anthropologie ainsi comprise a joué un rôle de première importance dans la naissance et l’essor de la criminologie. Des médecins tels que Cesare Lombroso ou Alexandre Lacassagne (9) en sont une illustration. Mais on peut aussi parler de médecine traditionnelle, en ce qu’il s’agit d’un savoir médical propre à un temps et à un lieu donnés, susceptible de viser aussi des questions de normes ou de règles et de leur transgression. A titre d’exemple, nous pouvons citer la constance de la pratique de la saignée comme panacée au Moyen-Age, l’obligation de la circoncision dans les monothéismes juif et musulman, la persistance des actes d’excision et d’infibulation dans nombre de société africaines actuelles… C. La psychiatrie et la psychologie. La psychiatrie est bien évidemment une discipline de la médecine et participe à ce titre au champ de la criminologie. Elle y occupe cependant une place particulière au regard de l’importance de ses apports depuis le 18ème siècle et l’influence d’une pensée rationnelle dans les sciences du psychisme. Ainsi, les contributions des fondateurs de la psychiatrie moderne, tels Pinel, Esquirol et Morel, ont directement enrichi la pensée de l’école positiviste italienne. De même, il faut ici penser aussi à des auteurs ultérieurs, tels que Lasègue (10), Magnan (11), Kraepelin (12), Bleuler (13) et Freud (14), Dupré (15), De Greeff (16), Balier (17) …, pour n’en citer que quelques uns, et comprendre l’importance des apports de la psychiatrie à la connaissance criminologique. Elle y participe avec la psychologie au travers des disciplines voisines que sont la psycho-criminologie, la psychologie criminelle, la psychiatrie criminelle, ou la clinique criminologique. On retrouve l’expression d’une culture des sciences du psychisme dans les enseignements de l’anthropo-phénoménologie. Cette dernière autorise en effet la compréhension et le recours aux divers courants disciplinaires de l’étude du psychisme que sont les neurosciences, le cognitivo-comportementalisme, la psychanalyse, la psychologie systémique, la psychologie sociale… On évoquera de même l’intérêt de la psychologie intégrative dans cette perspective de compréhension d’une uploads/Philosophie/ vers-une-criminologie-interculturelle 1 .pdf

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