Vocabulaire européen des philosophies. Dictionnaire des intraduisibles, Paris,
Vocabulaire européen des philosophies. Dictionnaire des intraduisibles, Paris, Seuil / Le Robert, 2004. GENDER Anglais - fr. Difference des sexes, identité sexuelle, genre - all. Geschlecht - esp. genero - it. genere ® GENRE, SEXE, GESCHLECHT, et BEHAVIOUR, MULTICULTURALISME, NATURE, PEUPLE, PLAISIR, PULSION Depuis que, vers la fin des années 1960, biologistes, sociologues, psychanalystes et philosophes en sont venus à prendre en compte, dans l’étude de la sexualité, ce que les auteurs anglo-saxons désignent sous le nom de gender, le débat a gagné le champ d’autres langues européennes sans qu’on se résolve à rendre gender, par exemple en français par « genre », en italien par genere, en espagnol par genero, en allemand par Geschlecht. Cette sorte d’esquive s’explique par la signification que les auteurs anglo-saxons puis, plus spécialement, les féministes américaines ont donnée à gender par rapport à ce qu’on appelle sex dans le monde anglophone et sexualité en français. Le débat sur la différence des sexes (masculin et féminin) a pour point de départ le livre de Robert Stoller intitulé Sex and Gender (1968) – d’ailleurs traduit en français sous le titre Recherches sur l’identité sexuelle (1978). Dans la préface à l’édition française de son ouvrage, Stoller définit « les aspects de la sexualité qu’on appelle le genre » comme étant « essentiellement déterminés par la culture, c’est-à-dire appris après la naissance », tandis que le sexuel proprement dit se caractériserait par ses composantes anatomiques et physiologiques, en tant qu’elles déterminent « si l’on est mâle ou femelle ». Si gender est un terme réputé intraduisible, cela tient à ce qu’il ne recouvre pas le terme de sexualité. En effet, la sexualité, telle que l’entend la psychanalyse, disparaît dans la distinction établie par les auteurs américains entre le sexe biologique et la construction sociale des identités masculine et féminine. Distinction que bon nombre de ses tenants commencent à réinterpréter et que la psychanalyse contemporaine ne peut que remettre en cause plus radicalement encore. I.LA DISTINCTION ENTRE « SEX » ET GENDER » ET SES RÉINTERPÉTATIONS Le terme anglais sex peut raisonnablement se traduire en français par sexe, les deux langues définissant la sexualité comme « l’ensemble des notions physiologiques et psychologiques » qui caractérisent celle-ci. Pourtant, il est parfois erroné de traduire sex par sexe, étant donné qu’en anglais sex est opposé dans beaucoup de circonstances à gender, ce qui n’est pas le cas en français. La distinction entre sex et gender, que Stoller avait mise en relief en 1968 et qui a été adoptée par la pensée féministe au début des années 1970 (voir, en particulier, A. Oakley, Sex, Gender and Society, 1972), représente pour ce courant un argument politique et sociologique au nom duquel on s’impose de distinguer les aspects physiologiques et psychologiques du sexe, autre de quoi on déboucherait sur un essentialisme biologique qui aurait valeur normative en matière d’identité sexuelle. Les tentatives scientifiques pour séparer, à ce sujet, les apports respectifs de la nature et de la culture se sont ensuite multipliées dans le dernier tiers du XXe siècle. Mais le recours à la distinction entre sexe et genre est resté spécifique de la terminologie anglaise. L’Oxford English Dictionary mentionne, à propos de gender, l’emploi qu’en fait A. Oakley (« Les différences de sexe peuvent être “naturelles”, mais les différences de genre ont leur source dans la culture »). Et le même ouvrage fait référence à l’usage féministe du terme comme représentant l’une des significations majeures de celui-ci : Dans l’usage moderne, et spécialement chez les féministes, gender est une sorte d’euphémisme qui, pour le sexe de l’être humain, vise souvent à accentuer les distinctions sociales et culturelles par opposition à la distinction biologiques entre les sexes. Dans ce contexte, la psychanalyse, et la signification qu’elle accorde à la différence des sexes, ne connaissait pas, dans le monde anglo-saxon, l’influence décisive qu’elle a eue en France. Au sein de ce dernier, c’est le comportementalisme qui était dominant dans la période où s’imposait la distinction entre sex et gender, domination spécialement entretenue par la psychologie et la philosophie britanniques. Cette distinction se trouvait alors en consonance avec un climat de confiance quant aux possibilités de modifier les comportements relatifs aux rôles sexués jusque- là soumis à des critères normatifs. Du coup, il apparaissait comme non nécessaire que le comportement féminin allât de pair avec le sexe féminin biologique. Après les années 1990, l’emploi du terme gender devint de plus en plus commun et passa dans l’usage général là où auparavant on aurait utilisé sex. (Dans la version électronique de l’Oxxford English Dictionary figure, à la rubrique gender, la citation suivante du Financial Times : « L’école peut […] modifier l’éducation d’un enfant sans considération de race, de gender ou d’origine de classe ».) Il s’ensuit que les psychologues ou les féministes qui se réfèrent actuellement au gender ne sont pas supposés tenir strictement à la distinction du sexe et du genre. De plus, la théorie féministe a, pour une large part, rejeté cette distinction pour les raisons suivantes : (1) Il est difficile de distinguer ce qui relève du sex et ce qui relève du gender. (2) On refuse l’idée que « gender, comme construction cutlreulle, serait imposé superficiellement sur la chose en question, comprise comme corps ou comme sexe » (voir. J. Butler, Bodies that Matter, p.5). Ce refus se fonde sur l’argument selon lequel le sexe ne pet être considéré comme une tabula rasa neutre (voir M. Gatens, « A Critic of the Sex/Gender Distinction »). (3) La féministe américaine Judith Butler soutient que le sexe est matérialisé rétrospectivement comme « primaire » et que cela résulte du fait que notre abord du gender envisage le culturel comme « secondaire ». Elle décrit « la répétition ritualisée par laquelle les normes du gender produisent et stabilisent non seulement les effets de genre, mais la matérialité du sexe » (Bodies that Matter, op.cit., p.X-XI). Son ouvrage présupposait que « le sexe se forme non seulement comme une donnée corporelle sur laquelle la construction du gender serait imposée artificiellement, mais aussi comme une norme qui gouverne la matérialisation des corps ». (4) Certains théoriciens interprètent le sexe lui-même comme une construction culturelle. C’est cette perspective qu’adopte Thomas Laqueur lorsqu’il déclare : Que la biologie définisse les sexes semble parfaitement évident : que pourrait donc signifier le sexe par ailleurs ? […] Mais, à y regarder de plus près, il n’y a pas de faits indiscutables d’o découlerait une saisie de la différence des sexes […]. Dans les organes [génitaux féminins] où l’on avait vu jusqu’alors des versions internes de l’apanage externe du mâle – le vagin comme pénis, l’utérus en guise de scrotum –, le XVIIIe siècle reconnut une nature entièrement différente. La Fabrique du sexe, 1992 (Making Sex, 1990), p.10-11. Aussi cet auteur explique-t-il qu’il s’attache, dans ses recherches, à retracer « une histoire de la manière dont le sexe, non moins que le genre, se fait » (ibid.) (5) Les féministes, ou d’autres théoriciens, qui recourent aujourd’hui au terme gender, n’adhèrent pas nécessairement à la distinction établie primitivement entre sex et gender, en particulier parce que le terme gender est devenu un euphémisme pour désigner le sexe. Et pareillement, lorsqu’un(e) théoricien(ne) utilise sex, il (elle) n’entend pas sous ce terme une notion qui, contrairement à celle de gender, serait universelle, abstraction faite de l’histoire et de la culture. L’argument de Thomas Laqueur a acquis une véritable portée à cet égard. II. LA NOTION DE « GENDER » AU REGARD DE LA PSYCHANALYSE Si gender est intraduisible dans beaucoup d’autres langues, c’est donc parce que ce vocable est lié à l’histoire de deux problèmes différents qui se sont développés parallèlement en empiétant l’un sur l’autre sans se rencontrer. Or, par rapport à la distinction étbalie par Stoller entre le sexe biologique et la construction sociale des identités masculine et féminine, la psychanalyse voit dans la sexualité une combinaison de facteurs physiologiques et psychologiques. Mais, alors que se déployait la problématique de Stoller et des féministes américaines, la réévaluation, en France, des concepts fondamentaux de la psychanalyse montrait la nécessité de renoncer au dualisme du physiologique et du psychique pour en venir à comprendre ce que sont les pulsions et le fantasmes, comme terrain sur lequel se forment les identités sexuées. Lorsque Freud définit en 1905 le corps érogène (dans Trois Essais sur la théorie sexuelle) et qu’il précise en 1915 (dans Pulsions et Destins de pulsions) selon quels éléments hétérogènes se constituent les pulsions – poussées, but, source, objet –, il introduit l’idée que lesdites pulsions ont un destin, ce qui en fait tout autre chose que des données physiologiques ou psychologiques. Le terrain sur lequel se décide le fait que tel être humain se sent femme ou homme concerne les destins de ses pulsions, l’articulation de celles-ci avec des scénarios de jouissance sexuelle dans lesquels le sujet est en rapport avec des figures d’altérité prélevées en partie dans les détails de son commerce précoce avec les adultes. La sexuation a donc pour terrain uploads/Philosophie/ vocabulaire-europeen-des-philosophies.pdf
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- Publié le Jul 28, 2021
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