Épistémologie des sciences sociales Sous la direction de Jean-Michel Berthelot
Épistémologie des sciences sociales Sous la direction de Jean-Michel Berthelot Année : 2012 Pages : 608 Collection : Quadrige Éditeur : Presses Universitaires de France ISBN : 9782130607243 Avant-propos par Jean-Michel Berthelot Il est toujours délicat de justifier la parution d’un nouvel ouvrage. Les bonnes raisons de l’auteur – ou, comme c’est le cas ici, des auteurs – ne sont pas forcément celles des lecteurs. L ’auteur d’un ouvrage scientifique ne vise pas d’abord à satisfaire l’attente d’un public, mais à proposer une réponse à une question. Évidemment, cette formulation est un raccourci. Mais l’auteur postule que, dans le domaine de savoir où s’exerce sa compétence, existent des problèmes non résolus, mal clarifiés, ou mal posés qu’il peut, par sa réflexion théorique ou ses recherches empiriques, contribuer à éclairer. Naïvement peut-être, il postule également que cette entreprise intellectuelle est susceptible d’intéresser tous ceux qui sont amenés à se frotter à ces problèmes, qu’ils soient chercheurs, étudiants ou esprits curieux. Les sciences sociales constituent ici notre problème. Plus précisément, prenant au sérieux le terme de « science », c’est-à-dire l’appréhendant comme une prétention à la constitution d’un savoir objectif qui soumet sa validité à la critique rationnelle, nous interrogeons le régime de connaissance des disciplines regroupées sous cette appellation commune. Cette orientation est clairement distincte d’autres projets éditoriaux possibles. Il ne s’agit pas de faire un résumé ou une synthèse du savoir des sciences sociales ; il ne s’agit pas plus d’adopter le point de vue normatif d’une philosophie des sciences, distribuant bons points et mauvaises notes ; il ne s’agit pas, enfin, de lancer un énième manifeste sur ce que devraient être ces disciplines. Plus modestement, notre ambition est analytique : elle vise à saisir et à comprendre les cadres de pensée, les opérations de connaissance, les programmes et les théories que les diverses sciences sociales ont été amenées à construire. Leur mise en évidence a sans doute une portée didactique en ce qu’elle autorise la constitution d’un tableau raisonné de ces disciplines et des problèmes épistémologiques qui les traversent. En ce sens, cet ouvrage est également un manuel et le souci informatif et documentaire y est fortement présent. Mais il ne peut être la simple mise en forme pédagogique d’un savoir préalablement constitué. Derrière la modestie du projet analytique se dissimule la conscience des difficultés de l’entreprise : Qu’entendre exactement par « sciences sociales » ? Quelles disciplines retenir ou exclure ? Qu’entendre par « épistémologie des sciences sociales » ? Était-il possible de dégager une orientation commune d’analyse capable de résister à la dispersion des spécificités disciplinaires ? Comment contrôler les diversités d’écoles, d’interprétation, de points de vue ? Cet ouvrage est, simultanément, une réponse et un processus de réponse à ces questions : il peut être lu à divers niveaux selon que l’on retient la factualité des réponses et des développements ou qu’on les compare les uns aux autres et traque les problèmes cachés, les questions pendantes. Nous assumons cette dualité d’un texte achevé et simultanément incomplet, d’une mise en forme dont la pertinence est revendiquée sans que soit déniée la légitimité de sa critique et de son éventuelle remise en cause. Un auteur unique aurait sans doute fait des choix gommant les aspérités les plus manifestes. Un rassemblement d’auteurs, issus de disciplines et de traditions différentes, oblige à la confrontation et au frottement. Dans la rédaction de cet ouvrage, chacun assume la pleine responsabilité de son texte. En revanche, un processus d’élaboration collective a été suivi, de l’adhésion à un projet initial commun à la discussion argumentée de chaque chapitre. Certains ont ainsi donné lieu à deux, voire trois versions, et la plupart ont bénéficié du regard critique de tous. Toutes les thèses revendiquées par chaque auteur ne sont pas forcément partagées. Mais aucune n’apparaît déraisonnable ou tendancieuse. Elles dévoilent et consolident à la fois l’espace argumentaire des sciences sociales. Trois pistes, trois niveaux de lecture sont ainsi possibles, selon l’intérêt du lecteur. I L ’ouvrage est un édifice à trois étages. Le premier vise à présenter l’espace de connaissance des disciplines retenues, tel qu’il s’est constitué historiquement et noué dans un certain nombre de théories ou de programmes majeurs. Le deuxième prend acte de la proximité thématique et épistémologique de ces disciplines et se consacre à un certain nombre de problèmes transversaux : action et cognition, histoire et structure, modèle et récit, etc. Ces problèmes n’ont pas été choisis au hasard. Ils concentrent, certains depuis le début du siècle, une partie importante de l’effort théorique et réflexif mené au sein des sciences sociales. Le troisième, enfin, cherche l’unité de la pluralité : Peut-on réduire l’extrême diversité du domaine à une sorte de carte cognitive et programmatique ? Quels sont les présupposés ontologiques et épistémologiques qui sous-tendent les sciences sociales et quelle analyse philosophique peut-on en faire ? Une première lecture consiste à suivre chaque auteur dans sa façon d’élaborer le problème qui lui est soumis. La première partie, « Les grands territoires et leurs paradigmes » est inaugurée par la discipline la plus ancienne, l’histoire, immédiatement conjuguée au pluriel : « Les sciences historiques ». Jacques Revel y rappelle que l’appartenance de l’histoire aux « sciences sociales », malgré le succès du programme de l’École des Annales, a suscité des controverses diverses et continue de ne pas aller de soi. L ’histoire est multiple et plurielle, et sa diversité se redouble de la longue durée dans laquelle elle s’inscrit, de l’Antiquité à nos jours. Diverses modalités de reconstituer son régime de connaissance sont donc possibles. Jacques Revel suggère celle associée au concept de « régime d’historicité » qui articule trois registres : « La construction d’un rapport au temps historique ; Les modalités cognitives d’un savoir sur le passé ; Les formes dans lesquelles ce savoir peut s’énoncer. » Deux régimes peuvent être ainsi distingués de l’Antiquité à nos jours : aux valeurs de l’exemplarité, de la narrativité, de la rhétorique qui façonnent l’historiographie ancienne, se substitue, à partir de la fin du xviiie siècle, une conception nouvelle de la connaissance historique et du métier d’historien : celle d’une « connaissance par les sources », c’est-à- dire d’un « discours contrôlé » sur un certain type de réalité. L ’idée de contrôle – ou de véridicité – est présente dès les origines de l’histoire, et se trouve dans la définition de l’informateur ou du témoignage donnée par les anciens. Mais elle devient centrale dans l’histoire moderne avec le développement de la critique des sources et l’appel aux disciplines auxiliaires susceptibles d’expertiser la matérialité des traces. De la mise en œuvre des techniques du travail historique découlent les problèmes épistémologiques qui agitent la discipline : le mot d’ordre résumé dans la célèbre formule de Ranke, « montrer comment les choses ont vraiment été », a ouvert la voie à une problématisation du « fait historique » et des conditions de la connaissance historique. Jacques Revel suit ainsi les débats où les historiens se trouvèrent pris, entre les injonctions contradictoires des tenants du monisme ou du dualisme explicatifs. Dans cette opposition, les opérations de connaissance mises en œuvre par les historiens, tranchent en faveur d’une réalité plurielle où formalisation, modélisation, application du modèle déductif- nomologique de Hempel, même minoritaires, peuvent coexister sans heurt avec le travail de restitution narrative d’un moment ou d’une situation historiques déterminés. La géographie, à laquelle est consacrée le deuxième chapitre, est une discipline ancienne, dont il est rare qu’une description soit fournie dans les ouvrages d’épistémologie. Or, après une période de relatif consensus sur ses objets et ses méthodes, elle connaît aujourd’hui une phase de ruptures, propice à la réflexion théorique et réflexive. Jean-François Staszak reconstitue cette évolution. Fondamentalement science de « l’espace humain », la géographie problématise cette notion en s’intéressant non à une substance – ou à une forme –, mais à un rapport, celui de l’Homme et de son espace, mouvant, chargé de sens « où le plus court chemin entre deux points n’est pas nécessairement la ligne droite… ». L ’approche classique, notamment représentée par l’école vidalienne, privilégie la singularité des lieux et propose comme unité d’analyse, la région : « Chaque région constitue un individu géographique » qu’il faut décrire dans la corrélation de ses multiples aspects, tant physiques, qu’historiques et culturels. Cette conception idiosyncrasique – chaque région a sa personnalité spécifique –, descriptive et souvent littéraire, se voit battue en brèche par le développement d’une géographie quantitative, privilégiant la recherche des lois d’organisation de l’espace, et adoptant une norme stricte de scientificité, fondée sur l’analyse statistique des données et la construction de modèles. Cette démarche « néo-positiviste » ouvre l’analyse à de nouvelles techniques de recueil et de traitement de l’information et aboutit à la production de modèles hypothético-déductifs raffinés dans divers domaines. Cependant, cette nouvelle orientation épistémologique est également contestée et la géographie contemporaine prend diverses voies critiques – géopolitique, culturaliste, phénoménologique, postmoderniste – qui la rapprochent des autres sciences sociales, en lui faisant partager leur pluralité et leurs incertitudes. Le troisième chapitre traite de uploads/Philosophie/ epistemologie-des-sciences-sociales.pdf
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- Publié le Sep 18, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
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