Pierre Achard Discours et sociologie du langage In: Langage et société, n°37, 1

Pierre Achard Discours et sociologie du langage In: Langage et société, n°37, 1986. Sociologie et discours. pp. 5-60. Abstract Achard Pierre, "Discourse and sociology of language". From part of the experience built up in France over twenty years about discourse and enunciation, the author tries to pinpoint some consequences of these theoretical elaborations and of these observations in the field of sociology. The reflect theory proving insufficient in its different forms, he shows first that enonciation provides the grounds for taking language into account in all social processes. To this, one must add the more or less stabilised regularities of discursive formations. Discourse analysis enables one to treat these problems technically through distribution and paraphrasis. The author also examines where to locate the diversity of languages and their practical relationship to this socio-linguistic dynamics and ends up with a brief exploration of perspectives. Résumé Utilisant une partie de l'expérience acquise en France depuis vingt ans sur le discours et l'énonciation, l'auteur tente un balisage des conséquences de ces elaborations théoriques et de ces observations dans le domaine sociologique. Partant de l'insuffisance de la théorie du reflet sous ses diverses formes, il montre d'abord que l'énonciation fournit la base d'une prise en compte de la dimension du langage dans tout processus social. A celle-ci on doit ajouter les régularités plus ou moins stabilisées que constituent les formations discursives. Les travaux de l'analyse de discours permettent un traitement technique de ces problèmes par les distributions et les paraphrases. L'auteur examine également la place à donner à la diversité des langues et à leurs rapports pratiques dans cette dynamique socio-langagière et conclut par une brève exploration des perspectives. Citer ce document / Cite this document : Achard Pierre. Discours et sociologie du langage. In: Langage et société, n°37, 1986. Sociologie et discours. pp. 5-60. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lsoc_0181-4095_1986_num_37_1_2066 ANALYSE DE DISCOURS ET SOCIOLOGIE DU LANGAGE (*) Pierre ACHARD CNRS-INALF (URL 3) La question du discours est aujourd'hui l'une des ques tions théoriques centrales de la sociolinguistique , et il semble bien que cette notion ait fait l'objet de travaux plus spécifiques en France que dans d'autres pays. Les débats ayant lieu en France et en français sur ces sujets sont malheureuse ment à peu près ignorés hors des frontières de la francophonie et la confrontation entre les conceptualisations du discours en français et en anglais se font mal, au risque même de laisser se développer des sens incompatibles de cette notion homonyme dans les deux langues (1). Cet article vise plutôt à exposer la théorie du discours telle que l'auteur peut la concevoir, et l'effet de son existence sur les recherches sociolinguistiques , qu'à faire l'histoire des problématiques dans lequel cette notion s'est construite. I - LA QUESTION DU LANGAGE EN SOCIOLOGIE Ce que l'on appelle "sociolinguistique" n'est, selon moi, pas un domaine ou un sous-domaine, mais plutôt le point de rencontre (ou de confusion) entre trois questions d'origine différente : - la question sociologique de la place du langage dans les sociétés humaines et dans le processus social - la question linguistique de la variation langagière, et des problèmes que celle-ci (supposée essentiellement descriptible en termes sociologiques) pose à la théorie linguistique - la question pratique de l'utilisation sociale du langage (apprentissage et pédagogie, normalisation, terminologie, traduction en situation, planification linguistique, etc.). (*) Je remercie les nombreux collègues qui ont bien voulu me faire part de leurs commentaires critiques, et tout particulièrement D.Maldidier, b.Gardin, P.Fiala, J .Bout et , C.Micharc \ , J .M.Marandin. J'ai essaye de tenir compte ae leurs remarques , et je reste seul responsable des défauts que c- texte ne peut manquer ae comporter. Nous nous intéresserons ici à la première de ces ques tions, tout en tenant compte du fait qu'elle ne peut être traitée sans faire référence d'une façon ou d'une autre aux deux autres. C'est cette référence obligée qui, selon moi, rend plausible l'existence de quelque chose qu'on peut appeler sociolinguistique, qui ne se réduit ni à la sociologie du langage, ni à la linguistique sociale, ni à la linguistique appliquée. Ce n'est pas un domaine autonome de recherche, mais plutôt une conséquence du fait qu'un sociologue, linguiste ou praticien s' intéressant à ces questions ne peut les traiter du point de vue de sa discipline qu'à condition d'être en mesure de construire lui-même les éléments de théorie dont il a besoin dans les autres domaines, ceux qu'il peut trouver pré élaborés ayant toutes chances de ne pas convenir à ses be soins. Le rôle central que j'attribue à la notion de discours dans la sociolinguistique tient, on le verra, au fait qu'elle suppose cette attitude de recherche active dans le rapport inter-disciplinaire sans pourtant perdre de vue la spécificité épistémologique des disciplines. Il doit par ailleurs être souligné que le sociologue, le linguiste ou le praticien sont ici des locuteurs abstraits, et non nécessairement des indivi dus: comme toute production discursive, la recherche est un fonctionnement social. Si ce texte est centré sur la question de la sociologie du langage, ce n'est pas seulement parce que son auteur est sociologue, mais parce qu'il me semble que cette question est actuellement la moins bien explicitée. En effet, de par sa perspective, la linguistique appliquée ne vise pas une théori- sation spécifique, mais plutôt la systématisation de savoir- faires, et leur mise en perspective critique chaque fois qu'un point théorisé ailleurs peut recevoir une pertinence. Quant à la question de la variation langagière et de son traitement en linguistique, les travaux de l'école sociolinguistique issue des travaux de Meillet, Martinet, Weinreich et Labov montrent qu'un point de vue "cor rélationniste" (reposant sur une socio logie des couches sociales) peut aborder le problème direc tement, au moins en première approximation. Far contre, la question d'une sociologie du langage n'a reçu à ce jour aucune réponse entraînant un consensus même lâche de la communauté scientifique. Or la problématique de l'Analyse de Discours telle qu'elle se construit en France semble à même d'apporter de nouveaux éléments d'appréciation de ce problème. 1-1 LA "THEORIE DU REFLET11 La position la plus courante de la sociologie à l'égard du langage est l'indifférence. Il est alors implicitement supposé que l'on peut étudier le social directement, par l'observation des comportements, par le questionnaire et par l'intermédiaire de statistiques objectivantes. Un tel fonc tionnement présuppose plusieurs genres d'hypothèses. Elles reposent, me semble-t-il, sur l'opposition implicite entre un "réel" d'ordre physico-économique, et des "représentations" qui n'en sont qu'une traduction plus ou moins ineffective. - 7 - Ainsi, dans un article récent d'une revue sociologique repré sentative (2), les auteurs posent-ils la question initiale de leur article sous la forme: "How do social and economic conditions influence the preva lence of artistic pursuit? This is the basic issue in the study of relationship between social structure and culture, since various forms of art constitute prototypical expres sions of culture. However, conceptual and methodological difficulties have impeded systematic social research on the significance of social structure development , as has often be noted (...) Thus, social research in the aerea typically neglects the central question of what social conditions are asociated with the extent of artistic activities of diffe rent kinds and deals instead with some related questions , such as the recrutment and carreers of artist, audience composition, and art institutions. To be sure, these are theories about the ways an era's underlying cultural values affect art (...) but, despite some penetrating insights, these are not formulated as systematic theories testable in rigourous research. The structural approach adopted here utilizes concepts that have empirical indicators and thus make possible quantitative research on the significance of social conditions for artistic endeavor" . On remarque à quel point le langage est absent de cette problématique. La causalité supposée, allant de l'économique vers le "culturel" doit être verifiable à travers des concepts qui ont des indicateurs "empiriques" (c'est-à-dire supposés non langagiers), et la "signif iance" est recherchée à travers un traitement "quantitatif". L'auteur, bien sûr, n'ignore pas que les phénomènes dont il traite sont médiatisés par des processus langagiers (les "valeurs culturelles"), mais le texte cité est basé sur l'hypothèse que cette dimension est effaçable et que la sociologie est constructible en méconnais sant innocemment le rôle du processus langagier dans son déroulement. Sans dénier toute pertinence à une telle démar che, il est néanmoins nécessaire de constater que le problème du rôle du langagier reçoit une solution "spontanée" , sans discussion spécifique. Dans ce cadre, les éléments de sociologie du langage qui peuvent être construits (par exemple P. Bourdieu : 198 2 ) se contentent de reconduire au sein de l'activité langagière les hypothèses globales implicitement adoptées par ailleurs: "Essayer de comprendre linguistiquement le pouvoir des manifestations linguistiques, chercher dans le langage le principe de la logique et de l' efficacité du langage d'institution, c'est oublier que V autorité advient au lan gage du dehors, comme le rapjbelle concrètement le skeptron que l'on tend, chez Homère,' à l'orateur qui va prendre la parole. Cette autorité, le langage tout au plus la repré uploads/Philosophie/achard-pierre-analyse-de-discours-et-sociologie-du-langage.pdf

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