Le problème de la fondation de la phénoménologie de Merleau-Ponty ; ou comment

Le problème de la fondation de la phénoménologie de Merleau-Ponty ; ou comment Eugen Fink peut-il l’avoir influencé Professeur: Dra. Annabelle Dufourcq Étudiante: Anna Luiza Coli I – Introduction L’objectif de ce travail n’est pas de nier l’originalité de la phénoménologie de Merleau-Ponty face à la phénoménologie husserlienne, ni d’affirmer sa filiation avec Eugen Fink, comme l’écrit Bryan Smith1 dans son article controversé dans lequel il accuse Ronald Bruzina2 de l’avoir fait. Soutenir une telle affirmation reviendrai à porter un jugement hâtif et non moins abusif à l’image de ce que Smith écrit sur la philosophie de Fink ! Cette analyse va donc s’intéresser au dialogue qui s’est effectivement déroulé entre Merleau-Ponty et Eugen Fink lors de leur rencontre aux archives de Husserl à Louvain en 1939, après la mort du fondateur de la phénoménologie. Tout d’abord il faudra mettre en lumière certaines affirmations que fait Merleau-Ponty déjà dans l’Avant-Propos de son importante œuvre Phénoménologie de la Perception, et qui laissent transparaitre déjà des traces de sa rencontre avec Fink, bien avant qu’il commence à prendre part au mouvement phénoménologique. Ensuite, dans un deuxième moment un accent sera mis également sur l’importance de la contribution de Fink au développement de la phénoménologie ultérieure de Husserl. Ce rôle essentiel qu’a joué Fink a été oublié pendant longtemps, à cause de la difficulté rencontrée dans la promotion de ses travaux qui ont eu du mal à survivre à la politique allemande du Troisième Reich et de l’après-guerre. Ce travail découle d’une lecture simultanée de certaines passages de Merleau-Ponty et Fink, qui mettent en évidence leurs convergences en ce qui concerne la prise en charge de la tâche même de la phénoménologie. Ce qui revient plutôt à isoler la position que chacun a pris par rapport à la figure de Husserl ou même contre elle. D’un côté, Eugen Fink, l’assistant et de la dernière décennie de la vie de Husserl, qui non seulement a eu accès à tous les travaux produits par Husserl sous la forme de manuscrits inédits, 1 SMITH, Bryan. “The Meontic and the Militant: On Merleau-Ponty’s relation to Fink”. In International Journal of Philosophical Studies, 2011, vol. 19 (5), pp.669-699. Texte accesible sur ligne en: http://www.tandfonline.com/doi/pdf/10.1080/09672559.2011.600771 2 Un des plus importants spécialistes sur l’œuvre d’Eugen Fink. Il a édité plusieurs œuvres en allemand et a traduit encore tant d’autres aux lecteurs anglophones. Voir : https://philosophy.as.uky.edu/users/rbruzina 2 mais qui aussi a eu une collaboration intense et même quotidienne avec lui. Cette proximité lui permis au fil des ans de discuter avec Husserl des grands thèmes et des dilemmes de la phénoménologie, de voir ses limites, ses développements et les grands projets systématiques pour l’avenir du mouvement phénoménologique.3 C’est peut-être en raison de ce contact très étroit avec la pensée husserlienne, de cette position privilégiée que Fink a pu de manière précoce et fructueuse mettre en lumière les difficultés et les problèmes de la phénoménologie et, aussi très tôt, proposer à son tour une alternative qui – bien qu’elle ait pris ses distances par rapport au premier fondement de la phénoménologie – a bien reçu l’approbation du fondateur Husserl. 4 De l’autre côté nous avons justement Merleau-Ponty, qui, après la guerre et l’expérience de l’occupation de la France par les Nazis, change radicalement sa position philosophique au constat de l’échec des systèmes métaphysiques et étiques traditionnels.5 Peu de temps après ces expériences extrêmes, il a commencé sa relation avec Husserl et sa phénoménologie. Après sa mort, cependant, comme indiqué par une lettre de Merleau-Ponty à H.L. Van Breda, à l’époque responsable pour les Archives Husserl à Louvain, il a montré un grand intérêt pour le travail inédit de Husserl et de ses assistants, qui à ses yeux était d’une grande valeur. Merleau-Ponty écrit : “Je poursuis un travail sur la Phénoménologie de la Perception, pour lequel il me serait extrêmement utile de connaître le tome II des Ideen. Il en existait un exemplaire dactylographié que les élèves de Husserl consultaient. Cet exemplaire existe-t-il encore, et pensez-vous qu’il me serait possible d’en obtenir communication sur place [à Louvain] ? [...] Je me permets de vous demander en même temps si l’ouvrage de Fink dont un fragment vient de paraître dans la Revue Internationale de Philosophie, doit être imprimé bientôt en Belgique. » 6. Le texte de Fink auquel Merleau-Ponty fait référence ici c’est le « Das Problem der Phänomenologie Edmund Husserls ».7 Suite à cet extrait, Van Breda nous donne un précieux témoignage de sa rencontre avec Fink : “Au cours de ces quelques jours de visite [de Merleau-Ponty aux archives Husserl, j’eus tout d’abord l’occasion de le présenter à M. Eugen Fink qui, comme je l’ai déjà dit plus haut, venait d’arriver à Louvain pour y collaborer aux Archives. Bien que, dans la conversation, chacun d’eux se butât alors à des difficultés très sérieuses pour s’exprimer dans la langue de l’autre, ils eurent un long échange de vues, passionnant d’ailleurs, où, pour une première fois, le rôle de traducteur entre phénoménologues de nationalités différentes me fut dévolu ; rôle qui, dans les années à venir, devait encore m’échoir bien souvent. » (p. 413). 3 Voir l’exposé détaillé de cette collaboration dans : BRUZINA, R., Edmund Husserl & Eugen Fink: Beginnings and Ends in Phenomenology (1928-1938). Yale University Press, 2004. 4 Voir l’extrait écrit par Husserl que Bruzina traduit dans son Introduction à la traduction de la Sixième Méditation Cartésienne de Fink, p.xx : « At the request of the distinguished editorship of Kantstudien I have carefully gone through this essay, and I am happy to be able to say that there is no statement in it that I could not make fully my own, that I could not explicitly acknowledge as my own conviction.» .Comme nous verrons à la suite, Fink a publié une version de sa Sixième Méditation dans la Kantstudien. Cette version a reçu un Vorwort de Husserl, dont l’extrait ci-dessus a été pris. 5 Texte intéressant sur ce thème « Sens et non-sens » (Gallimard, 1945). 6 Lettre du 20 mars 1939, mentionnée par H.L. Van Breda dans son article sur la fondation des Archives de Husserl à Louvain en « Merleau-Ponty et les Archives-Husserl à Louvain » en : Revue de Métaphysique et de Morale, 1962, n.67 (4), p.413. 7 Texte qui est paru dans le deuxième numéro de cette même Revue (pp.226-270). 3 Ici nous allons suivre ce dialogue que nous donne Merleau-Ponty déjà dans la première page de l’Avant-Propos de la “Phénoménologie de la Perception” en nous réservant le droit de regarder au-delà des références explicites à la VIe. Méditation et à Fink, où nous tenterons de trouver les traces les plus essentielles de ce « passionnant échange de vues ». II - L’histoire de la Sixième Méditation Cartésienne et comment Merleau-Ponty a eu accès à ce texte : Comme Bruzina note dans son introduction à la traduction anglaise de la Sixième Méditation Cartésienne, l’existence de ce travail de Fink a été longuement débattue par toute une génération de philosophes intéressés par la phénoménologie. L’indisponibilité de ce texte a soulevé plusieurs hypothèses différentes, selon lesquelles il n’aurait pas survécu à la Seconde Guerre Mondiale ou qu’il aurait été détruit par Fink lui-même, car il est bien connu que, peu de temps avant sa mort, il aurait détruit un grand nombre d’écrits, parmi lesquels, on s’en doute, le livre célèbre sur le temps, issu de sa collaboration avec Husserl sur les manuscrits de Bernau.8 Ainsi, les quelques personnes qui ont eu accès au travail de Fink sont celles qui étaient en rapports étroits avec Husserl et, à travers lui, ont rencontrés Fink. La première mention publique de Fink en France a été faite en 1941dans le livre Le cogito dans la philosophie de Husserl de Gaston Berger. La difficulté d’accès à ce texte a perduré jusqu’en 1971, quand les premiers exemplaires ont finalement été remis aux Archives Husserl. Sa publication a été faite après la mort de Fink en 1975. En tant que ‘sixième’ Méditation Cartésienne, ce travail de Fink a été conçu comme une séquence des cinq autres méditations de Husserl, qui, après une révision fondamentale et une restructuration, seraient publiés ensemble comme un travail de collaboration entre Husserl et Fink. Cependant, comme Fink écrit dans une lettre à Van Breda d’octobre 1946, les événements politiques après 1933 ont rendus impossible à l’époque l’achèvement ce plan. Selon Bruzina, la nécessité d’une révision systématique de ses méditations a été mise en évidence par Husserl après le succès de ses lectures de l’introduction à la phénoménologie intitulés « Méditations Cartésiennes » à la Sorbonne en février 1929, ce qui a suscité la traduction de cette œuvre en français par Gabrielle Pfeiffer et Emmanuel Levinas. Husserl effectivement rendre une version révisée déjà en mai 1929. Peu de temps après, cependant, il 8 Je reproduis ici la note d’édition des œuvres complètes de Fink (Philosophische Werkstatt, v.I, p. xxxiv) : « Le Professeur Friedrich-Wilhelm von Hermann, comme il a aidé à préparer une bibliographie de Fink à l’époque qu’il était uploads/Philosophie/alcoli-merleau-ponty-et-fink.pdf

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